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Dr Bakary Sambe : "Le Rôle que peuvent jouer les confréries pour contrer la menace Terroriste (...) "L’idéologie Salafiste et Wahhabite est déjà bien implantée au Senegal (...)

Suite à la décision de l'Etat du Sénégal de contrôler la construction d'édifice religieux sur toute l'étendue du territoire pour parer à toute pénétration du terrorisme , piccmi.com s'est entretenu avec le Docteur Bakary Sambe , coordonnateur de l'Observatoire des radicalismes et conflits religieux en Afrique (ORCRA) au Centre d'Etude des religions (CER /CRAC) de l'Université Gaston Berger de Saint-Louis. Il a conduit en 2013 avec l'Institut d'Etude de Sécurité (ISS) basée à Dakar, une étude inédite reposant sur une enquête de terrain dans plusieurs régions du Sénégal, intitulée "Grand angle sur le radicalisme religieux et la menace terroriste au Sénégal"


Rédigé par leral.net le Lundi 16 Février 2015 à 07:33 | | 1 commentaire(s)|

Dr Bakary Sambe : "Le Rôle que peuvent jouer les confréries pour contrer la menace Terroriste (...) "L’idéologie Salafiste et Wahhabite est déjà bien implantée au Senegal (...)
Piccmi.com : Que pensez-vous des mesures prises par le Ministère de l'Intérieur , visant a contrôler la construction éventuelle d'édifice religieux qui seraient affiliés à des mouvements terroristes islamistes?

Dr Bakary Samb : Il ne faut jamais perdre de vue le fait que le ministère de l'Intérieur ait toujours été, aussi, celui des cultes. Dans le contexte sous régional et international, les Etats n'ont pas le droit de ne pas s'intéresser à la fabrique par excellence d'un des discours les plus écoutés, suivis et faisant le plus sens dans notre société : celui religieux. Au Maroc et dans nombre de pays à majorité musulmane c'est le Ministère des Habous ou des Awqâf (Arabie Saoudite, par exemple) qui gère, réglemente et contrôle la construction des mosquées, dans des pays laïcs comme la France, la construction de mosquées est soumise à des autorisations administratives. De manière plus générale, au Sénégal, même la construction d'un immeuble ou d'une maison requiert une autorisation. Il faudra simplement que cette mesure ait une portée générale et ne produise pas de discrimination ou de stigmatisation à l'égard de quelque culte ou courant religieux qu'il soit ni ne conduise à des dérives sécuritaires pouvant porter atteinte aux libertés fondamentales y compris celui du culte. Il est vrai que certaines mosquées sous contrôle des franges extrémistes qui excluent même d'autres courants de l'islam et parfois par la violence méritent d'être plus particulièrement surveillées.

Piccmi.com : Le Senegal est-il réellement à l'abri des menaces Terroristes ?

Dr Bakary Samb : Aucun pays n'est à l'abri de cette menace diffuse, sans visage et omniprésente. Les pays aux systèmes de sécurité les plus perfectionnés comme les Etats-Unis, la France et d'autres, sont touchés par ce phénomène. J'avais conduit une étude en juin 2013 en collaboration avec l'Institut d'Etude de sécurité (ISS) dont le rapport avait été qualifié d'alarmiste par beaucoup à l'époque. Deux ans après des personnalités comme le Général Seck et d'autres experts non moins respectables nous rejoignent dans notre conclusion. Pourtant elle allait de soi : le Sénégal ne peut demeurer un îlot de stabilité dans un océan d'instabilité qu'est notre sous-région si des mesures préventives ne sont pas prises par les autorités de ce pays. Du moment que l'idéologie salafiste et parfois wahhabite qui a inspiré la destruction des mausolées der Tombouctou est bien présente chez nous avec déjà un terrorisme intellectuel s'attaquant à toutes les formes de pratiques de l'islam différentes de celle que ces mouvements s'approprient comme étant la seule qui vaille "al-firqa al-nâjiya" (la faction sauvée), l'opérationnalité n'est qu'une question de circonstances. Or ces circonstances sont imprévisibles. Attendent-ils, selon une stratégie propre à l'islam politique -des Frères musulmans aux salafistes djihadistes- le "bon" moment pour s'illustrer par la violence ? Aujourd'hui, tous les spécialistes sont conscients de la menace et de son niveau. Reste à notre pays de s'investir dans la prévention et surtout le combat contre les sources de radicalisation comme la marginalisation productrice de frustrations mais aussi l'injustice sociale, récupérables par les vendeurs d'illusions qui frappent à nos portes s'ils ne sont pas encore bien ancrés. La pire des choses serait de s'enfermer dans des options du tout sécuritaire et négliger le rôle important de la prévention et, surtout, de l'éducation.

Piccmi.com : Quel Rôle peuvent jouer les confréries religieuses du Senegal pour contrer cette menace?

Dr Bakary Sambe: Les confréries jouent un rôle important de rempart contre l’idéologie salafiste et surtout wahhabite, qui, à mon sens est déjà bien implantée dans notre pays, incarnée par des mouvements qui ont pignon sur rue et qui, par une stratégie de dissimulation de leur agenda (une sorte de taqiyya non assumée), infiltrent la société civile, la classe politique et s’affirment comme tels, étant dans un pays où la Constitution ne permet pas la constitution de partis politiques d’obédience religieuse. Mais, je crois que les confréries pourraient jouer un rôle beaucoup plus important, si elles s’attelaient à un véritable travail de modernisation de leur discours, pas dans le sens de la perte de leurs valeurs, mais d’une nouvelle pédagogie du soufisme. Car nous sommes en présence d’une nouvelle jeunesse de plus en plus exigeante dans sa compréhension de la religion, et qui est en demande forte de spiritualité. Si les confréries n’offrent pas ce cadre-là, ils iront regarder ailleurs. Nous sommes dans un monde globalisé, dans un marché de biens symboliques, où circulent des offres, et les consommateurs que sont nos enfants ne consommeront que les offres bien modelées et positionnés sur ce marché-là. Or, ces confréries offrent beaucoup de choses archaïques,parfois en déphasage avec les réalités du moment. Pour jouer leur rôle de rempart, ce discours doit être travaillé et revu. Ces confréries doivent aussi cesser leurs accointances répétitives avec le pouvoir politique, qui les décrédibilisent complètement. Il y a un paradoxe dans le paysage islamique sénégalais, c’est qu’une frange de la population se détourne des confréries, non pas en étant contre leurs enseignements des anciens comme Cheikh Amadou Bamba, ou El Hadj Malick Sy, mais par déception vis-à-vis d’un discours qui ne tient plus compte de leurs réalités. Nos jeunes en quête d'une spiritualité faisant sens pour leurs aspirations rejoignent des mouvements où, derrière un décor de modernité, sous-couvert d'un discours d’un Islam rationnalisé ou dit réformiste, on transmet une idéologie rétrograde de l’Islam. Les confréries doivent assumer leur rôle de stabilisateur car elles ont une force, un impact sur la réalité et sur la vie des gens, de sorte qu’aujourd’hui, elles ne peuvent pas se mettre à l’écart de ce combat pour leur survie et la pérennisation d’un modèle religieux qui a façonné l’espace sénégalais. Les confréries ont un rôle historique à jouer. C'est aujourd'hui un enjeu global de sécurité. C'est pour cela d'ailleurs que les radicaux estiment que pour la réalisation de leur dessein, ce qu'il appellent "une société véritablement islamique", il faut d'abord détruire les confréries. Il ne faudrait pas que ces dernières prêtent donc le flanc.


Source:Piccmi.com

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