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En Afrique, la croissance ne se « mange pas » !


Rédigé par leral.net le Vendredi 13 Janvier 2017 à 09:15 | | 0 commentaire(s)|

Christine Lagarde, la directrice générale du Fonds monétaire international en compagnie de Macky sall, le président de la république du Sénégal.
Christine Lagarde, la directrice générale du Fonds monétaire international en compagnie de Macky sall, le président de la république du Sénégal.
Alors que 2017 s’ouvre sur des perspectives économiques assez moroses pour le continent, la multiplication des tensions sociales remet à l’ordre du jour la problématique de la répartition de la croissance en Afrique. Plusieurs pays ont en effet enregistré ces derniers temps, un rythme de croissance assez dynamique sans que cela n'impacte réellement le niveau de vie des populations. A l’heure où la conjoncture impose aux Etats des cures d’austérité, le débat se pose de nouveau avec acuité.
 
Les ivoiriens ont de l'humour, c'est certain ! En réponse à l'embellie que mettent en avant autorités nationales et institutions internationales sur le dynamisme retrouvé de l'économie ivoirienne qui affiche actuellement l'un des taux de croissance les plus consistants de l'heure, les populations répondent que « la croissance ne se mange pas ! ». Une manière « humoristique » de dire que les fruits de cette croissance qui peut friser l'insolence dans la conjoncture économique mondiale actuelle ne leur profite pas encore. C'est du reste ce qu'attestent la poussée de fièvre sociale qui secoue ces derniers temps le pays avec la mutinerie des soldats suivie de la grève générale des agents de l'Etat. Les doléances mises en avant par les manifestants sont pour l'essentiel axées autour de l'amélioration de leurs conditions de vie et de travail alors que le pays enregistre depuis quelques années un rythme de croissance annuel moyen compris entre 7 et 8%.
 
Il s'agit là d'un vrai paradoxe des économies africaines puisque d'autres pays du continent ont également connu cette amère expérience d'une croissance dynamique mais qui ne rejaillit pas dans le niveau des populations, qu'il s'agisse de leurs conditions de vie ou de leurs pouvoirs d'achat.
 
C'est le cas de le dire, au- delà de leur impact conjoncturel sur l'économie du pays, l'une des plus dynamiques du continent, ces troubles sociaux remettent à l'ordre du jour la problématique de la croissance partagée en Afrique. D'autant plus que ce n'est pas le premier ou le seul pays à connaître cette situation et que les prochaines années s'annoncent encore plus difficiles sur le plan économique, ce qui tend à effriter les marges de manœuvre de plusieurs Etats en matière de mise en œuvre de politiques sociales destinées à améliorer le niveau de vie des populations.
 
Persistance de la pauvreté et des inégalités sociales
 
En 2013 déjà, le cabinet panafricain Afrobaromètre qui regroupe plusieurs instituts de recherche en sciences sociales et en économie du continent, avait fait l'actualité en présentant les résultats de son rapport sur les conditions de vie dans 34 pays africains.  Selon les conclusions de cette étude qui reste encore d'actualité, en dépit de la croissance moyenne annuelle de 4,8% enregistrée par le continent sur la décennie 2001-2011, « la grande majorité des africains a le sentiment de ne pas en avoir profité ».
 
La croissance n'est pas à l'évidence synonyme de réduction de la pauvreté car ils ont été plus de 53% des sondés à estimer, au regard de l'évolution de leurs conditions de vie, que le développement économique de leur pays ne leur bénéficie pas. C'était pourtant durant la période des vaches grasses en Afrique et à l'heure où le retour à la réalité impose des réductions drastiques de budgets notamment au détriment des secteurs sociaux, la situation a de quoi soulever de nouvelles inquiétudes.
 
Dans les faits, certes, la pauvreté a légèrement reculé sur le continent mais l'impact reste encore relativement faible au vu de la dynamique de croissance qu'a connu le continent ces dernières années. Dans un autre rapport publié en janvier 2016 par Afrobaromètre, sous le titre « Dividende de la croissance ? La pauvreté vécue décroit en Afrique », il ressort que celle-ci est en baisse dans les deux-tiers des 33 pays concernés par l'enquête sur les tendances relatives à l'évolution de la pauvreté en Afrique. Toutefois, elle demeure encore considérable en Afrique puisque en  2014/2015, par exemple, elle a plus que doublé en une année pour ceux qui ont répondu avoir connu des insuffisances en matière  de nourriture (44%), de manque d'accès à l'eau potable (46%), aux  soins médicaux (49%), au combustible pour la cuisine (38%), et aux revenus en espèces (74%). L'un des principaux enseignements de l'enquête, c'est que «la pauvreté vécue a tendance à baisser dans les pays qui ont progressé dans le développement des infrastructures de base ».
 
A la recherche d'une croissance plus inclusive
 
Si jusque-là, l'évolution économique de l'Afrique est mesurée à l'aune du rythme du PIB porté essentiellement par la hausse des cours des matières premières qui prévalaient il y a quelques années, l'impact de cette croissance sur le vécu des populations relève de plus en plus dans les politiques publiques. En ce sens d'ailleurs, le président ivoirien Alassane Dramane Ouatarra n'a cessé d'insister pour que désormais, le cap des actions prioritaires du nouveau gouvernement visent l'amélioration des conditions de vie des populations. Un peu partout sur le continent, le lexique politique des gouvernements fait de plus en plus référence à des « politiques sociales », des « programmes de redistribution de richesse » ou de « croissance inclusive et partagée ». La persistance des inégalités qui s'accompagne de tensions sociales à répétition sur le continent accentue cette nouvelle donne et les différentes conférences qui portent sur le développement de l'Afrique en prennent de plus en plus compte. Lors de la conférence économique africaine 2015 organisée en novembre de la même année par le bureau des Nations Unies en charge des questions économiques en Afrique (UNECA), les dirigeants africains réunis pour l'occasion ont été unanimes pour reconnaître que « pour réduire la pauvreté et l'inégalité, l'Afrique a besoin d'économies inclusives et une qualité de croissance avec une répartition équitable ».
 
S'il est ainsi vrai que le continent  a enregistré une forte croissance économique durant la dernière décennie, la pauvreté et les inégalités continuent de se développer, ont relevé les participants. Il ne suffit donc pas d'enregistrer une croissance économique dynamique pour espérer profiter de ses fruits en l'absence de véritables mécanismes de « répartition équitable ».
 
D'après l'économiste Carlos Lopes, ancien secrétaire exécutif de la Commission Economique pour l'Afrique (CEA), « l'éradication de la pauvreté, tout en stimulant la prospérité est aujourd'hui, le plus grand défi pour l'Afrique ». Selon lui, « cette croissance sans qualité impose aux Etats africains de travailler sur l'inclusion, la création d'emplois et la réduction de la pauvreté ».
 
 « Il y a eu une forte croissance mais que la réalité est différente ».  Carlos Lopez
Des politiques publiques pour une véritable redistribution des richesses
 
La société civile africaine semble d'ailleurs avoir pris les devants pour réclamer une nouvelle approche en matière de partenariat économique pour les pays du continent. Le 12e sommet alternatif citoyen des Organisation de la société civile (OSC) africaine qui vient de se tenir au Mali du 7 au 8 janvier en prélude au sommet Afrique-France, a adopté une résolution sur « la mise en place de politique publique sociale et environnementale basée sur la redistribution des richesses, la production vivrière pour garantir la souveraineté alimentaire, la justice sociale et environnementale ».
 
 L'appétit des investisseurs internationaux pour le potentiel du continent ainsi que l'approche encore en vigueur en matière de partenariat économique ont été fustigés tout au long des débats. « Attirées par une croissance prévisionnelle prometteuse 4,4 %, une démographie galopante avec des milliers de jeunes sans emploi et en parallèle, l'essor d'une classe moyenne, en forte progression, ces forces du libéralisme voient en l'Afrique le nouvel Eldorado, au détriment des peuples et des pays englués dans des relations peu indépendantes et autonomes », s'est ainsi insurgé le président du Forum, Bakary Doumbia qui a également dénoncé l'exclusion des couches sociales des politiques actuelles du développement.
 
Les revendications se rejoignent donc un peu partout en Afrique en faveur de la mise en œuvre de politiques publiques qui donne la priorité à  « une prospérité et une répartition équitable des ressources ainsi qu'un accès, particulièrement aux jeunes, d'un emploi digne, gage de sécurité » selon Massa Koné, membre de la société civile africaine.
 
Le débat est donc relancé et va s'amplifier à l'aune de la nouvelle dynamique des économies africaines qui doivent traverser encore quelques zones de turbulences pour espérer renouer véritablement avec le rythme de croissance de la décennie 2000 à condition de mettre en œuvre les réformes nécessaires. Et c'est là que le bât blesse car comme on l'a vu au Tchad récemment, les premières mesures destinées à atténuer l'impact de la conjoncture actuelle a été de réduire les budgets consacrés aux secteurs sociaux, à reporter les grands investissements et à geler certains traitements salariaux. Des mesures qui s'accompagnent d'un véritable amenuisement du pouvoir d'achat des populations.
 
A l'évidence, une nouvelle approche en matière de développement s'impose pour tenir compte des réalités africaines et surtout des attentes pressantes des populations. Sur les quinze dernière années, l'Afrique est certes parvenue a quasiment tripler son PIB, cependant,le PIB par habitant n'a pas suivi la même tendance et l'impact sur le vécu des populations se fait encore attendre.
 
 Il s'agit pourtant d'un enjeu de taille pour les prochaines années car la dynamique jusque-là constatée est porteuse de hauts risques tant sociaux que politiques. Au Ghana, pays qui a également connu une croissance à deux chiffres durant quelques années, l'absence des retombées sur le panier de la ménagère a expliqué en partie la perte du pouvoir par le régime sortant. En Ethiopie également, la forte croissance des dernières années n'a pas permis d'enrayer le spectre des revendications sociales qui ont affecté le pays il y a quelques mois.
 
Des cas de figure qui interpellent et donnent à réfléchir aux dirigeants africains ainsi qu'à leurs partenaires au développement ...
 
Par Aboubacar Yacouba Barma (Tribuneafrique)