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En Mauritanie, une femme en lutte contre toutes les injustices

La militante Aminetou Mint Al-Moctar pourfend le racisme, l’islamisme et le sexisme qui minent la société mauritanienne.


Rédigé par leral.net le Lundi 27 Novembre 2017 à 17:15 | | 0 commentaire(s)|

Aminetou Mint Al-Moctar est une guerrière, et pas parce que l’armée de son pays – la Mauritanie – participe, au même titre que ses voisins, à la lutte contre le terrorisme au Sahel. Elle se bat sur d’autres fronts, plusieurs à la fois, contre les multiples injustices et inégalités qui minent la société mauritanienne : les ravages passés et présents de l’esclavagisme, le racisme, le radicalisme religieux, les droits des femmes, qu’elle défend à la tête de l’Association des femmes chefs de famille (AFCF)…

Aminetou Mint Al-Moctar porte le fer dans les plaies de ce pays de 4 millions d’habitants éparpillés sur un territoire deux fois grand comme la France. Quitte à tourner ses armes – les mots, l’action sociale – contre les siens, ceux-là mêmes dont le métier des armes assure toujours le prestige : les Beidane, élite parmi l’élite au sein de la communauté maure, qui contrôle le pays.

Dans cette société plombée par les conservatismes en tous genres, le destin d’Aminetou Mint Al-Moctar aurait dû suivre une voie bien différente. Le teint clair de son visage, rehaussé d’un grand-voile qui vole au vent chaud du désert, trahit ses origines. « Née Aminetou Ely, je suis issue d’une grande famille de la noblesse maure qui a toujours profité des inégalités de la société mauritanienne, sans jamais les dénoncer. J’aurais pu continuer ainsi », avoue-t-elle. Les siens tiennent fermement entre leurs mains, les principaux leviers de l’administration, de la politique, de l’armée et de l’économie.

La jeune Aminetou aurait pu choisir la facilité. Un bon mariage arrangé et des études qui, grâce à la puissance des réseaux familiaux, l’auraient directement conduite à des postes à responsabilité, ou du moins à ceux qu’une société « marquée par le patriarcat, concède aux femmes », précise-t-elle – autrement dit, des seconds rôles. S’ajoute aujourd’hui un nouvel élément : « la montée de l’islamisme ». Un souvenir d’enfance lui revient, pas si anecdotique. « Petite, j’étais un garçon manqué, je portais des shorts et je jouais au football. C’est inconcevable aujourd’hui pour une petite fille. »

Proposée pour le prix Nobel de la Paix

A croire que le sang guerrier de ses aïeuls coule dans ses veines, Aminetou Mint Al-Moctar, âgée aujourd’hui de 60 ans, a commencé à se battre dès son plus jeune âge. Contre sa famille, tout d’abord, qui la considère aujourd’hui comme « une traîtresse ». Celle qui est née et a grandi à Nouakchott, raconte que dès l’âge de 12 ans, elle fraye avec les milieux marxistes. Dans les années 1970, dix ans après la vague de décolonisation et en pleine guerre froide, ceux-ci luttent, en Mauritanie comme ailleurs en Afrique, pour améliorer les conditions de vie des plus pauvres. « Les travailleurs, les agriculteurs, les esclaves, les femmes… », énumère celle qui fut proposée en 2015, pour le prix Nobel de la Paix.


Adolescente, elle est plusieurs fois arrêtée par la police. Battue, torturée par les services de sécurité, elle est enchaînée par son père à son retour chez elle. Elle subit les foudres familiales quand elle prend fait et cause pour les esclaves attachés à sa famille. Elle les incite à s’enfuir. A 15 ans, elle choisit de se marier à un journaliste ami de ses parents, pour échapper au carcan familial. « Mon mari était issu d’une famille de marabouts, moi d’une tribu guerrière. C’était très mal vu à l’époque. J’ai accepté le mariage. »

Leur union durera neuf ans mais ne résistera pas à l’engagement politique de cette femme précoce et décidément turbulente. Elle est exclue de l’école et passe dans la clandestinité. Se cache à la campagne chez des Haratines, cette communauté marquée socialement au fer rouge par son ascendance d’esclaves. Quelques années plus tard, elle se remarie à un banquier. Nouvel échec. « Il m’a demandé de choisir entre lui et mes convictions », confie-t-elle. On imagine sa réponse.

Elle enchaîne alors les petits boulots : vendeuse de cigarettes, standardiste, assistante sociale, puis suit une formation de comptable au Maroc, pour finalement se retrouver chef de projet dans un programme d’aide financé par les Qataris. Elle participe alors à l’alphabétisation de centaines de Haratines, puis finit par créer un syndicat. Elle est licenciée.


La Mauritanie est alors en ébullition. Les tensions avec le Sénégal voisin débouchent sur des violences meurtrières. De 1989 à 1991, des dizaines de milliers de Négro-Mauritaniens sont contraints à l’exil. Qui peut dire, même aujourd’hui, combien ont été exécutés sommairement et combien ont été déportés dans des camps d’où ils ne sont jamais revenus ? Aminetou Mint Al-Moctar épouse cette nouvelle cause qui, accessoirement, portera un coup de grâce à son troisième mariage.

Elle crée alors le premier comité mauritanien de solidarité avec les victimes de cette répression qui a tout d’une campagne d’épuration. Les hommes changent à la tête du pouvoir, pas le régime, qui jamais ne reconnaîtra sa responsabilité dans ce drame, ces milliers de morts dissimulés derrière l’expression désincarnée mais consacrée à Nouakchott : « passif humanitaire ». Un quart de siècle plus tard, le dossier est loin d’être clos et les Négro-Mauritaniens continuent de se sentir des citoyens de seconde zone.

Visée par une fatwa

En un matin ensoleillé de décembre, le garde du corps d’Aminetou Mint Al-Moctar patiente sous les arbres fleuris qui ombragent la terrasse d’une chambre d’hôtes proche des locaux de son association. La guerre n’est pas un jeu, Aminetou Mint Al-Moctar le sait. Elle ne se déplace plus sans protection depuis qu’en 2014, une fatwa a été lancée contre elle. « Quiconque la tuera ou lui arrachera les deux yeux, sera récompensé par Allah », avait alors promis Yadhih Ould Dahi, imam d’un courant islamiste radical mauritanien dénommé Ahbab Errassoul (« les amis du prophète »).


La défenseure des droits de l’homme s’était alors attiré les foudres radicales pour avoir été l’une des rares voix, avec l’avocate Fatimata Mbaye, à prendre publiquement la défense de Cheikh Ould Mohamed Ould Mkhaïtir. Ce jeune blogueur issu de la basse caste des forgerons, venait d’être condamné à mort pour apostasie. En octobre 2017, sa peine ramenée par un tribunal d’appel à deux ans de prison, il a été libéré. Mais son cas continue d’enflammer les islamistes, nombreux dans le pays et donc courtisés par les politiciens.


Mi-novembre, le gouvernement a d’ailleurs adopté un projet de loi durcissant la législation contre les auteurs d’apostasie et de blasphèmes, qui seront désormais passibles de la peine de mort, sans tenir compte d’un éventuel repentir. « L’un des problèmes est la formation des juges, explique Aminetou Mint Al-Moctar. La plupart d’entre eux sortent des mahadra [les écoles coraniques] et sont fils de marabouts. Ils ont une vision très traditionaliste et conservatrice de la société. » Exactement ce contre quoi Aminetou, la guerrière, se bat depuis son plus jeune âge, au péril de sa vie.




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