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Enjeux d’un modèle monétaire pour une Afrique face à ses défis : Abdoul Mbaye égrène les manquements et propose des solutions


Rédigé par leral.net le Lundi 30 Mai 2022 à 15:39 | | 0 commentaire(s)|

L’ancien premier ministre sénégalais trouve que le modèle des systèmes monétaires existant en Afrique n’est pas optimal. Abdoul Mbaye qui s’exprimait lors d’une conférence sur le thème : « Les enjeux d’un modèle monétaire pour une Afrique face à ses défis » a fait des propositions portées sur les ruptures nécessaires pour transformer le modèle retenu en exemple attrayant (dans l’objectif de son possible élargissement) ou à imiter (dans le souci de sa reproduction dans d’autres sous régions de notre Continent).
Enjeux d’un modèle monétaire pour une Afrique face à ses défis : Abdoul Mbaye égrène les manquements et proposes des solutions
En raison des leçons de l’histoire récente qui détermine les prochains défis de souveraineté de notre planète dont le caractère crucial a été mis en exergue par la crise de la Covid-19 puis la guerre Ukraine-Russie, la nouvelle géopolitique planétaire accouchera d’un nouvel ordre ou nouvel équilibre mondial. C’est l’avis de l’ancien premier ministre sénégalais.

Abdoul Mbaye, en l’occurrence, trouve que la périphérie de ce monde essentiellement occupée par l’Afrique, s’éloignera encore davantage de la route de la prospérité. Le développement autocentré est le nouveau chemin, selon M. Mbaye. Qui soutient qu’il n’est possible que dans le cadre de nations regroupées pour devenir fortes ensemble.

Pour Abdoul Mbaye, l’heure est d’ailleurs déjà celle des grands ensembles dictant leurs règles et exigences, fussent-elles idéologiques, géopolitiques, économiques et commerciales. Le modèle monétaire ne peut être, selon lui, celui du format réduit, mais plutôt celui du regroupement et de l’intégration entre pays au sein d’une région ou d’une sous-région. « Sans toutefois perdre de vue que l’ambition du périmètre trop étendu peut créer inefficacité et lenteur mesurée en termes de décades perdues, met-il en garde dans la foulée.

Le modèle monétaire qu’offre l’Uemoa reste (…) imparfait et figé

S’exprimant le 26 mai dernier lors conférence organisée par le Forum des Initiatives citoyennes, le président du parti politique Act (Alliance pour la citoyenneté et le travail) est d’avis que « le modèle monétaire que nous recherchons aujourd’hui ne peut donc être que d’intégration monétaire d’une part, et ne peut cependant servir un ensemble en termes de progrès économique global qu’en existant dans le cadre d’une intégration économique d’autre part ».

C’est le modèle qu’offrent au monde l’Uemoa et l’Umoa depuis au moins 1994 lorsque la création de l’Union économique a été retenue comme indispensable pour consolider et préserver l’Union monétaire après le choc de l’unique dévaluation que le franc Cfa ait connu, souligne l’ancien Pm. Qui ajoute que c’est ce modèle qui a ensuite été imité par l’Union européenne mais qui n’est, cependant pas, le modèle parfait.

« Ce modèle reste en effet à mes yeux imparfait et figé. », soutient-t-il, avant de renseigner que c’est pourquoi il a été longtemps soumis à de vives critiques. Celles-ci, d’après lui, ont imposé les réformes de décembre 2019 mais pour lui, ces réformes sont insuffisantes lorsqu’elles n’ont pas correspondu à de simples leurres.

« Il me semble par conséquent nécessaire de faire le choix de véritables ruptures qui pourraient nous conduire vers le juste modèle en mesure de créer un mouvement global d’émergence économique partagé entre les différents membres d’une union économique et monétaire constituée. L’objectif étant bien entendu que chaque membre gagne davantage en union que seul. C’est également ce principe qui doit permettre la mesure de la réussite du projet. », confie le banquier.

La politique monétaire se doit donc de replacer le rôle des réserves et celui de leur nature comme primordiaux

Toutes les réformes ou ruptures que je souhaite proposer pour cheminer vers un modèle monétaire optimal, dit Abdoul Mbaye, le sont à l’aune des défis de souverainetés, qu’il s’agisse de la protection, du renforcement ou de la recherche de souverainetés en dyptique : 1-souveraineté globale de l’ensemble concerné, et 2-souveraineté individuelle de chaque pays membre. Pourquoi ? S’interroge le ministre qui apporte en ce sens des réponses.

« Revenons à la guerre Russie-Ukraine, et avant cela, au gel des avoirs de pays que l’on cherche à détruire (exemple de l’Iran). », fait-il remarquer. Les avoirs à l’étranger sont constitutifs des réserves en devises, elles-mêmes contrepartie essentielle de l’émission monétaire et instrument indispensable pour le commerce et la croissance d’une Nation. Selon lui, le blocage de ses avoirs est devenu une arme de combat majeure pour contraindre un pays souverain à baisser les armes, à abandonner des postures jugées par lui d’intérêt national.

Les réserves apparaissent comme l’élément majeur de souveraineté d’un État. Car, explique-t-il, en dépendent la sécurité militaire (achat armements), la sécurité alimentaire (achat de produits alimentaires essentiels ou en complément de productions nationales), la sécurité sanitaire (achats médicaments et équipements) et même la sécurité intérieure mise en cause par les conséquences en matière de pénurie et de hausse des prix.

A cet effet, il signale que la politique monétaire se doit donc de replacer le rôle des réserves et celui de leur nature comme primordiaux avant même ce qu’elles produisent comme monnaie dont elles sont une des contreparties.

Pour étayer ses propos, Abdoul Mbaye ne juge pas nécessaire d’aller loin. « Plus près de nous, au sein de la zone Uemoa, des décisions de sanction ont été prises par la Conférence des chefs d’état de l’Union (9 janvier 2022) endossant celles de la Cedeao contre le Mali. Ces sanctions ont été prises en l’absence des représentants de cet état, comme moyen d’agir contre de nouveaux pouvoirs nationaux et donc comme attentat à une souveraineté nationale (sans jugement de valeur à porter) ; elles l’ont donc été en violation de la règle principale de l’unanimité des Traités devant permettre la prise de décisions par les organes supérieurs en charge de la gouvernance des institutions communes. », constate le président de Act.

A l’en croire, cela doit par conséquent conduire à une double réflexion. D’une part, sur l’exposition au diktat des autres pays membres ligués contre un autre pays membre d’une Union monétaire, alors qu’il a renoncé à son pouvoir régalien de battre monnaie au profit de la Banque centrale unique. D’autre part, sur l’exposition de l’ensemble des pays membres à des sanctions contre leur organisation, décidées de l’étranger. « Imaginons que demain, les pays occidentaux pourraient par exemple décider de geler les avoirs chez eux des pays Umoa parce que ces derniers ne soutiendraient pas suffisamment la cause LGBTQ. », souligne Abdoul Mbaye.
Réformes sur le franc Cfa, toujours pas de souveraineté pour les pays de l’Uemoa
Le banquier et ancien premier ministre du Sénégal a fait une analyse, lors cette conférence, sur les récentes réformes concernant le Franc Cfa et trouvé des manquements en ce sens.
1. Le changement de la dénomination du franc Cfa au cours de l’année 2020
Il était pourtant important d’y donner suite car correspondant à une demande forte ; mais force est de reconnaître que le passage vers la dénomination Eco fut annoncé comme un leurre visant à « calmer le jeu » car cela était impossible dans de tels délais. Cette promesse de nouvelle dénomination devrait être tenue, la seule problématique significative est celle du coût des remplacements des signes monétaires. Toutefois retenons qu’un changement de dénomination n’apportera aucun gain en termes de souveraineté. Le faire croire est un autre leurre.
2. Le choix d’intégrer la nouvelle zone d’émission de la future monnaie de la Cedeao qui s’appellera « Eco »
Ce fut un second leurre fait pour calmer les activistes en affichant une volonté de rejoindre l’Afrique en s’éloignant de la France ; mais ceux qui prenaient cet engagement savaient que ce projet entamé en 2009 ne serait pas tenu avant très longtemps. Relevons qu’il n’y aurait pas eu d’évolution en termes de souveraineté.
3. La fin de la présence de ressortissants français dans les instances de gouvernance de la zone Umoa
C’est certes un acquis mais qui reste toutefois mineur, des rapports écrits (art 5 de l’Accord de coopération du 21/12/2019) se substituant à des présences physiques. Les rencontres physiques étant organisées sur demande (art 6), le retour d’un représentant de la France étant prévu en cas de crise (art 8), Il n’y a donc pas d ‘évolution majeure en termes de souveraineté.
4. Le maintien de la parité fixe par rapport à l’Euro (dans l’attente de l’intégration à la zone Eco)
C’est un maintien de dépendance par la parité ; il n’y a donc pas de gain de souveraineté. Et dans l’hypothèse d’un franc Cfa qui serait surévalué par rapport à l’Euro, c’est le choix de privilégier le commerce avec la zone Euro, donc un frein à une indépendance commerciale accrue.
5. Le maintien d’une « garantie illimitée » du franc Cfa par la France mais excluant la contrainte de dépôt obligatoire d’une partie des réserves de la Bceao dans les livres du Trésor français

La suppression du compte d’opérations n’empêche pas la nécessité de détenir des réserves en euros; la garantie illimitée est le maintien d’une illusion qui crée un lien de dépendance, donc affaiblit le degré de souveraineté. Cette posture de garant conservé par la France contribuera à ralentir la marche vers l’Eco en maintenant la suspicion des autres Etats membres de la Cedeao. Soulignons enfin qu’une monnaie émise par une banque centrale compétente n’a pas besoin de garant financier.
Ces constats, dit-il enfin, conduisent ainsi à l’interrogation suivante : où se trouveraient donc les vraies réformes en sus du changement de dénomination du franc Cfa qui ne serait d’ailleurs qu’une petite réforme bien que symbolique, et au coût élevé ?
Par ailleurs, l’ancien premier ministre livre des propositions qui soutiendraient la souveraineté globale et nationale en Afrique.

Réformes créant ou renforçant une souveraineté globale

1. Mettre fin à la garantie illimitée par la France. Parce qu’elle n’existe pas dans les faits, elle n’est pas nécessaire sauf si nous admettons l’incompétence de la Bceao à défendre la monnaie qu’elle émet depuis plus de 60 ans d’indépendance. Pour se prémunir contre le risque possible d’une conjoncture particulièrement défavorable et surprenante qui épuiserait les réserves de la BCEAO en quelques jours, il suffirait de remplacer cette « pseudo garantie » par des accords de prêts à court terme avec des institutions majeures internationales ;
2. Rendre l’essentiel des réserves (sauf celles nécessaires aux opérations de clearing périodiques) comme insusceptibles d’être bloquées sous quelque prétexte que ce soit. Il faudrait donc les conserver essentiellement en or ou métaux précieux sur les territoires nationaux et principalement grâce aux productions nationales de ces métaux.
3. Faire le choix d’une parité flexible par rapport à un panier de devises plutôt que par rapport au seul Euro.

Réformes créant ou renforçant la souveraineté nationale

1. Il n’y a pas de distinction à faire entre une perte de souveraineté acceptable et celle qui ne le serait pas. A l’intérieur de la zone monétaire commune, il est indispensable d’adopter un mode de gouvernance partagée et collégiale de la Banque centrale commune. L’édifice construit doit reposer sur le principe que le renoncement à sa monnaie nationale conduit à faire de la en banque centrale commune sa banque centrale nationale. Il faut rejeter le principe d’une Banque centrale qui serait systématiquement gouvernée par un ressortissant proposé par l’état économiquement le plus fort. C’est d’ailleurs le seul moyen de faire évoluer l’UMOA vers une zone Eco en rassurant les nouveaux partenaires sur l’acceptation de ce principe fort.

2. Il faut réaffirmer l’indépendance totale des institutions de l’UEMOA vis à vis des politiques ; également le principe des prises de décisions à l’unanimité (Conférence Chefs d’État) accordant à chaque État membre un droit de veto.
3. Il faut concevoir des contraintes à créer au niveau des États affaiblissant le stock de réserves commun pour qu’en contribuant à la construction de la souveraineté globale ils créent la leur propre. Le seul respect des critères de convergence ne suffit pas sans contraintes organisant le retour vers leur respect.
Bassirou MBAYE
 
 



Source : https://www.lejecos.com/Enjeux-d-un-modele-monetai...

La rédaction