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[Enquête] Salaires de misère, absence de couverture sociale et intimidations : des enseignants racontent leur calvaire

Rédigé par leral.net le Mercredi 13 Octobre 2021 à 18:45 | | 0 commentaire(s)|

C’est la galère pour certains enseignants de l’enseignement privé laïc. Pendant les vacances, ils peuvent rester trois mois sans salaire. Malgré les énormes sommes d’argent que brassent les écoles privées, les enseignants n’en profitent pas. Entre salaires de misère, intimidation, exploitation, absence de prise en charge médicale, ils joignent difficilement les deux bouts. Durant les trois mois […]

C’est la galère pour certains enseignants de l’enseignement privé laïc. Pendant les vacances, ils peuvent rester trois mois sans salaire.

Malgré les énormes sommes d’argent que brassent les écoles privées, les enseignants n’en profitent pas. Entre salaires de misère, intimidation, exploitation, absence de prise en charge médicale, ils joignent difficilement les deux bouts. Durant les trois mois de vacances, de nombreux enseignants sont sans salaire, confirme Khadijatou Badji, qui offre ses services dans un établissement à la Cité Fadia. « Quand vous m’avez appelée, j’étais dans un véhicule, en provenance du tribunal du travail », confie la jeune dame. Très amère, Mme Badji soutient que les enseignants ont travaillé jusqu’au 16 juillet dernier, raison pour laquelle ils doivent empocher une rémunération. L’enseignante perçoit un salaire de 75.000 FCfa par mois. Cyriaque Diatta a, lui, été licencié à la fin de l’année avec comme prétexte « l’alcoolisme ». Ce qui est à son avis faux. Le vrai problème, explique l’enseignant, c’est qu’il a osé dénoncer le traitement salarial « dérisoire ». « Pour avoir porté au tribunal nos revendications, j’ai été licencié. Le responsable de l’établissement veut ainsi intimider les autres enseignants qui seraient tentés de se rebeller », relate M. Diatta qui servait dans un établissement privé à Guédiawaye où il a fait plus de 12 ans.

Titulaire d’un master 2 en Histoire, Djibril Kébé a échoué au concours de la Faculté des sciences et technologies de l’éducation et de la formation (Fastef), mais il enseigne dans des établissements de Grand-Yoff et des Hlm. « Nous n’avons pas de contrat. Pendant les vacances, c’est la galère. Pourtant, les parents d’élèves paient la mensualité du mois de juillet », dénonce M. Kébé. Selon ce dernier, dans le moyen-secondaire, les enseignants sont payés par heure. « Dans certains établissements, on paie 1500 FCfa/heure. Pour les classes d’examen, c’est 2000 FCfa », note l’enseignant qui ajoute que, parfois, des écoles paient 1000 FCfa l’heure ou moins.

Le contrat de travail, un luxe

« Dans beaucoup d’écoles privées, les enseignants n’ont pas de contrat de travail. On ne s’en sort pas, car les salaires sont très faibles. Pire, pendant les vacances, on ne nous donne rien », dénonce Yacine Diagne, professeur de francais-histoire géographie. Mme Diagne qui fournit ses services dans le même établissement depuis 2008, affirme avoir même honte de dévoiler le montant qu’elle gagne par mois, tellement il est dérisoire.

L’État interpellé

Enseignant dans une école franco-arabe de la commune de Fissel (département de Mbour), Cheikh Tidiane Sarr déplore, à son tour, la cupidité des chefs d’établissement. « Nous travaillons sans contrat avec des salaires dérisoires », déplore M. Sarr. Très amer, il se demande comment s’en sortir avec un salaire de 50.000 FCfa par mois en plus d’être laissé en rade pendant les trois mois de vacances. Il invite l’État à accorder une oreille attentive aux enseignants, surtout aux arabisants qui sont dans une situation critique.

Selon Khadijatou Badji, dans la plupart des écoles privées, il n’y a pas de prise en charge médicale ni de cotisation à l’Ipres non plus à la Caisse de sécurité de sociale (Css). « Quand on tombe malade, il n’y a aucune prise en charge. Certains chefs d’établissement n’hésitent pas à ponctionner votre salaire à la fin du mois », selon le nombre de jours d’absence pour des raisons médicales, déplore Mme Badji.

Cette situation de précarité est telle que beaucoup d’enseignants ont peur d’intégrer les syndicats pour éviter d’être licenciés, poursuit-elle. « Nous n’avons pas de prise en charge. Si on tombe malade et on n’a pas de certificat médical, on vous coupe les jours d’absence. C’est difficile », se plaint Djibril Kébé. Des débuts d’organisation pour mettre fin à la précarité sont en cours avec le Syndicat indépendant des enseignants du privé du Sénégal (Sieps).

 

Aliou KANDÉ

 

SOCÉ FALL, SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DU SIEPS

« Les enseignants du privé n’ont pas de salaires, mais des bourses dérisoires »

Les enseignants qui interviennent dans le privé laïc sont très mal payés. À la place d’un salaire, on leur donne des bourses dérisoires. Pire, pendant les vacances, ils ne perçoivent rien. L’information est de Socé Fall, Secrétaire général du Syndicat indépendant des enseignants du privé du Sénégal (Sieps).

 

Les enseignants qui interviennent dans les établissements privés laïcs broient du noir pendant les vacances. Pendant cette période, ils ne perçoivent pas de salaire, ce que le Secrétaire général du Syndicat indépendant des enseignants du privé du Sénégal (Sieps) qualifie d’ailleurs de bourses dérisoires.

« À mon avis, il n’y a pas de salaire dans les écoles privées laïques du Sénégal. On peut parler tout simplement de bourses scolaires qu’on nous octroie. Aujourd’hui, que ce soit à Dakar ou dans les régions, les enseignants sont très mal payés et les 90% ne reçoivent ces bourses dérisoires que pendant huit, neuf ou dix mois dans l’année », confie Socé Fall dans cet entretien. Et plus grave, affirme-t-il, certaines écoles ne payent que six mois intégralement et la moitié du traitement financier des mois d’octobre et de juin. Le syndicaliste précise que ces écoles ne paient pas les mois de juillet, août et septembre. Selon M. Fall, le seul argument qu’elles servent est que l’enseignant n’a pas commencé au début du mois d’octobre et n’a pas terminé le mois de juin. À son avis, il est clairement dit dans la convention collective que l’enseignant en position de contrat à durée déterminée (Cdd) doit percevoir sa rémunération d’octobre à juillet. Au Sénégal, regrette Socé Fall, « chaque promoteur d’école privée décrète son propre calendrier scolaire, ses propres horaires de travail à la vue et au su du corps de contrôle sans aucune conséquence ». Le Secrétaire général du Sieps de souligner qu’il n’y a que le Chef de l’État qui a la prérogative de fixer le calendrier scolaire.

« Prenons l’exemple de cette année 2020-2021. Le Président a émis un décret qui fixe la fin de l’année scolaire au 14 août, mais il n’y a eu aucun responsable d’école qui a l’intention de payer ce que j’appelle la bourse à son personnel qui bénéficie de Cdd. Certains, pour éviter de payer, ont refusé de signer des contrats ou se sont permis de proposer des contrats-maison ou verbaux. Ils emploient toutes sortes de subterfuges possibles pour ne pas respecter les droits. Au moment où je vous parle, beaucoup d’écoles n’ont pas payé le mois de juillet alors que les élèves ont payé de novembre à juillet, voire même le mois d’août dans certains cas », dénonce M. Fall. Il dit pouvoir affirmer que dans plus de 90% des écoles du privé laïc, les enseignants ne sont pas en vacances, mais en chômage.

Il soutient que la situation est pire pour les enseignants du moyen-secondaire. Déjà que pendant l’année scolaire, poursuit le leader du Sieps, il peut arriver qu’ils reçoivent 25 000 FCfa quand il y a une fête dans le mois. « Même quand les élèves organisent leurs journées culturelles, ces valeureux enseignants ne sont pas rémunérés alors que leur présence est obligatoire à ces manifestations. Dans l’élémentaire, c’est humiliant. Certains travailleurs perçoivent des sommes en deçà du Salaire minimum interprofessionnel garanti (Smig) qui est de 58 000 FCfa. On a des collègues dans la banlieue et à Grand-Dakar qui perçoivent des salaires en deçà de 50 000 FCfa, dénonce Socé Fall. Il se demande comment peut-on utiliser des enseignants pendant neuf mois, avec toute la pression, et le stress qu’ils subissent et les laisser végéter sans moyens de survie pendant trois à quatre mois.

A. KANDÉ

Privé laïc et privé catholique

Pas le même traitement salarial

Le paiement des salaires dans les établissements privés d’enseignement est une équation qui se pose très souvent en période de vacances scolaires. Mais malgré la crise, ceux-ci arrivent à trouver des astuces pour s’acquitter de cette responsabilité conformément au cahier de charges. C’est le cas cette année, à Dakar, où les déclarants responsables ont éprouvé d’énormes difficultés pour satisfaire à ce devoir grâce aux frais d’inscriptions mobilisés dès la rentrée.

Très souvent compromis pour diverses raisons comme ce fut le cas lors de la fermeture des écoles pour raison de pandémie, le paiement des salaires dans les établissements privés d’enseignement ne constitue plus un casse-tête. Du moins si l’on s’en tient aux propos soutenus par les déclarants responsables de ces structures dont le rôle dans le taux brut de préscolarisation et de scolarisation n’est plus à démontrer. Contrairement à 2020, les établissements scolaires du privé ne sont pas aussi affectés par la crise sanitaire de la Covid-19. Les déclarants responsables de ces écoles n’ont pas rencontré d’énormes difficultés à honorer les salaires et les charges sociales. Dans ce secteur, comme l’ont soutenu nombre de responsables, les enseignants qui ont des contrats à durée déterminée (Cdd) perçoivent normalement leurs salaires sur les neuf mois répartis sur l’année scolaire. Quant aux permanents, à savoir le personnel administratif et technique, ils continuent de recevoir chaque mois leur paie même durant ces vacances. En atteste les propos du Directeur des études du groupe scolaire Yalla Suur-En, Babacar Niasse. Il affirme que le paiement des salaires en période de vacances ne se pose pas dans son établissement. Les enseignants avec qui l’école travaille sont des contractuels ou vacataires. Ceux-ci, informe-t-il, signent des contrats à durée déterminée et ne sont payés que neuf mois répartis sur l’année scolaire. « Il s’agit notamment des enseignants du public qui mettent à profit leurs heures creuses pour dispenser des cours dans notre école, mais également des privés qui nous présentent un dossier avec une autorisation d’enseigner. Ils sont payés à l’heure », dit-il. Il précise qu’en ce qui concerne le reste du personnel permanent, à savoir les manutentionnaires, les chauffeurs, les gardiens et l’infirmière, ceux-ci reçoivent leurs paies sur les 12 mois de l’année. De l’avis de Babacar Niasse, il suffit juste que le gestionnaire crée un équilibre par rapport aux frais d’inscription, aux mensualités, pour supporter les dépenses annuelles.  « Une fois cet équilibre trouvé, que ça soit en période de vacances ou en pleine année scolaire, les frais d’inscription doivent permettre d’assurer le fonctionnement. Ce qui n’était pas le cas pour l’année académique 2019-2020 à cause de la pandémie du coronavirus qui avait tout chamboulé », renchérit-il.

Un contrat respecté à la lettre dans le privé catholique

Du côté aussi des établissements privés catholiques, les salaires sont perçus à partir des scolarités qui sont verser par les parents. À la seule différence des écoles privées laïques, aussi bien les enseignants que les personnels administratifs, techniques et de service, tout le monde est payé sur les 12 mois de l’année. Dans le privé catholique, tout le traitement salarial des personnels enseignants se fait sur la base de la Convention collective nationale du personnel de l’enseignement privé du Sénégal, un contrat qui lie l’Office national de l’enseignement catholique (Onec) et le Syndicat national des enseignants des écoles privées catholiques (Snecs).

D’après le Directeur de l’Office diocésain de l’enseignement catholique (Odec), Abbé Georges Guirane Diouf, le problème du paiement des salaires en période de vacances ne se pose pas dans les établissements du privé catholique. À l’en croire, les personnels de l’enseignement catholique sont embauchés sous contrat en bonne et due forme et rémunérés à partir des 9 mois de scolarités perçues des parents d’élèves. « Ils perçoivent tous, enseignants comme les personnels administratifs, techniques et de service, leurs salaires 12 mois sur 12 », informe Abbé Georges Diouf. Il note également qu’ils payent au niveau des institutions sociales de l’État toutes les charges sociales des personnels salariés de leurs écoles. Il estime que ces contrats sont à respecter par tous, car quelqu’un qui signe un contrat en bonne et due forme doit être payé.

Rosalie Sarr, enseignante dans le privé catholique, confirme les propos d’Abbé Georges. Elle affirme qu’elle est payée sur les 12 mois de l’année scolaire. D’ailleurs, Mme Rosalie Sarr soutient qu’ils ont dans le privé catholique des salaires presque similaires à ceux du public à la seule différence qu’ils ne reçoivent pas l’indemnité de recherche. L’Ipm est payé aussi à 80%. « Un autre avantage et non des moindres, c’est la gratuité de scolarité des enfants des enseignants dans les établissements privés catholiques », a noté Rosalie Sarr.

Contrairement aux enseignants du privé catholique, leurs collègues du privé laïc déplorent leur situation précaire, surtout pour les non-permanents. Trouvé en train de dispenser des cours de vacances au groupe scolaire « Les Pédagogues », Mame Mour Touré, professeur de français, estime que la situation des professeurs au niveau du privé est précaire, surtout pour les non-permanants. Il confie qu’ils sont payés sur la base des horaires effectués en classe. Mame Mour Touré de souligner la galère en période de vacances. « Nous ne sommes pas payés en temps plein. Nous ne percevons que les 9 mois de l’année scolaire. En ce qui concerne les 3 mois de vacances, on essaie de joindre les deux bouts en faisant des cours de vacances. D’autres collègues vont jusqu’à faire des activités subalternes pour subvenir à leurs charges familiales », renchérit-il. Son collège Papa Wari Fall, professeur de Mathématiques, est aussi payé en fonction de la prestation qu’il fournit au sein du groupe scolaire « Les Pédagogues ». Rémunéré également à l’heure, Papa Wari Fall rencontre les mêmes difficultés que ses collègues non-permanents du privé durant les vacances. « Je suis payé en fonction des heures que j’effectue et avec cette somme gagnée durant l’année scolaire, j’arrive à gérer mes dépenses quotidiennes et ma charge familiale », dit-il. M. Fall se dit être dans l’obligation de dispenser des cours de renforcement à des élèves pour combler ce gap. Une situation qu’il déplore. Il soutient que nombre de ses collègues sont dans cette situation.

Maguette Guèye DIÉDHIOU 

 

 



Source : http://lesoleil.sn/enquete-salaires-de-misere-abse...