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Financement de l'emploi des jeunes: "Président, encore une erreur" (Aly Khoudia Diaw, sociologue)

Le président de la République entame depuis quelques mois, une politique hardie d'offre d'emplois et de possibilités d'employabilité envers la jeunesse sénégalaise. Tous les experts s'y sont mis comme si c'était quelque chose de nouveau. Et chaque expert pense qu'il a cassé la baraque, après avoir proposé son expertise dans le domaine, alors que théoriquement, il n'a fait que répéter ce que d'autres experts, bien avant lui, ont dit et redit.


Rédigé par leral.net le Vendredi 23 Avril 2021 à 13:32 | | 0 commentaire(s)|

Financement de l'emploi des jeunes: "Président, encore une erreur" (Aly Khoudia Diaw, sociologue)
Cette fébrilité du président de la République est manifeste surtout après les événements de mars dernier, qui ont vu des personnes descendre dans la rue, toutes motivées par des raisons diverses. Vous vous êtes encore trompé, monsieur le président de la République.

Il fallait depuis longtemps faire le bilan des stratégies passées pour comprendre pourquoi ça ne marche jamais. Aucun de vos collaborateurs n'ose vous parler d'évaluation des politiques précédentes de financement de l'emploi des jeunes. Parce que tous savent que c'est un échec, car les fonds empruntés n'ont jamais été remboursés.

Les jeunes qui sont financés connaissent bien la notion de "fonds perdus", pour comprendre que l'Etat va considérer les projets financés qui n'ont pas donné les résultats escomptés, comme " pertes et profits". L'ancêtre de ce mode de financement reste sans nul doute le Fonds national de promotion de l'emploi des jeunes sous Wade (FNPJ) et à sa suite, tous les programmes qui sont se sont succédé et qui ont lamentablement échoué. Vous n'avez pas créé d'emploi, vous avez donné de l'argent.

Vos collaborateurs vous disent financement de projets, mais ils ne disent jamais comment administrer (manager un projet), mes étudiants diront une entreprise. Au Sénégal, on a l'habitude de dire qu'on va d'abord former les jeunes avant de les financer. Les jeunes comprennent juste que c'est simplement pour vous donner bonne conscience et justifier la délégation des fonds.

Nous n'entrerons pas dans la profondeur des détails, mais on va simplement expliquer que l'échec de la politique d'emploi peut avoir plusieurs causes, mais nous, nous dirons que c'est une question de mentalité ou si vous voulez, de perception.

D'abord le Sénégalais n'a pas conscience que l'Etat soit un bien commun et il a raison, car depuis notre naissance, nous ne voyions que les mêmes têtes au sommet de l'Etat, qui transmettent les rênes du pouvoir à leur progéniture et en s'accaparant systématiquement des ressources de ce pays.

Dans notre grande majorité, les deniers publics ne sont pas les nôtres, car le lien ne nous apparait pas de manière claire et distincte. Enfin, le Sénégalais ne perçoit pas la dimension philosophique du travail, mais surtout l'importance à cultiver l'amour du travail dans chaque conscience, comme "manière de libération" de l'individu en société. Au Sénégal, et peut-être ailleurs, on ne réussit pas pour soi, mais on réussit pour les autres, autres étant désigné ici comme la communauté, les amis, voisins et ennemis.

Au Sénégal, la reussite doit être apparente, visible, manifestée, montrée, mais très peu démontrée, car le Sénégalais aime se valoriser d'abord auprès de ses parents et ensuite, auprès de la communauté. Ce qui fait que le premier chèque encaissé et destiné à démarrer un projet, va servir à réaliser un vieux rêve, et Dieu sait que nous en avons tous. Ce désir presque inconscient de se valoriser aux yeux des autres, commence par la famille (père et mère) d'abord, sur la communauté ensuite.

Le premier réflexe dans la réussite du Sénégalais c'est de penser à sa mère, à son père et à sa famille. Il faut les emmener à la Mecque d'abord, ensuite leur construire une belle maison et les prendre en charge le restant de leur vie. Pour tous les jeunes qui n'ont jamais tenu ne serait- ce que dix mille francs en poche, recevoir du jour au lendemain, des millions, peut donner le sentiment de jouer désormais dans la cour des "millionnaires".

Ainsi l'apparence matérielle, élevée au rang de valeur et de priorité dans nos sociétés, va prendre le dessus sur les autres formes de considération. Le tout nouveau millionnaire va investir dans la "sape" (chaussures, vêtements, collier bling-bling,) et dans la "chair" (filles, boite et blow), pour montrer son nouveau statut. Mais ce n'est pas tout, la famille va s'arranger pour lui transférer les factures, la location et les dépenses familiales, ce qu'il va accepter de bon cœur dans la mesure où désormais, il est monté très haut dans l'estime parentale et familiale.

C'est le piège des pressions et des attentes familiales, lieu par excellence de l'investissement sur la progéniture et de la reproduction systématique de la transmission de la précarité, car finalement, personne n'émerge. Nous sommes tous victimes de nos familles, nos familles pèsent lourd dans nos vécus, de telle sorte que nous mettons notre propre vie entre parenthèses, pour supporter le poids de toute une famille. Nous n'osons pas refuser car dans notre prime enfance, la communauté nous a enseigné que quiconque déshonore ses parents, sera maudits pour le restant de ses jours.

On nous a appris que tout enfant ou adulte qui ne prend pas en charge ses parents, connaîtra une malédiction le restant de ses jours. Pour dire simplement les choses, un retour de bâton systématique et par tous les moyens, s'impose. Avant, c'était possible, voulu, exécuté. Aujourd'hui, il devient difficile de le faire. Le désir de tous les jeunes aujourd'hui comme hier, a été de satisfaire leurs parents, parfois au risque de leurs propres vies (phénomène de l'émigration clandestine), parfois sur la commission d'actes déviants et marginaux (agression, vols, drogue et prostitution).

Au bout de quelques mois, le jeune qui venait juste de bénéficier d'un financement pour un projet conçu dans la précipitation, voit le projet péricliter et mettre la clé sous le paillasson. Ou pis, acheter un visa et partir tenter l'aventure, avec la caution bienveillante de la famille. Aucun jeune ne pense à rembourser les crédits alloués, car dans sa mentalité, c'est une "affaire politique" ou en tout cas, il est considéré comme une clientèle politique, juste bonne à appâter. On ne se demande jamais pourquoi la boutique du Peul Fouta est durable, alors la boutique des Sénégalais en quartier fait faillite systématiquement.

C'est pourquoi monsieur le Président, vous avez commis une erreur d'appréciation sur la perception que les jeunes Sénégalais ont des différentes politiques d'emploi qui se sont succédé. Vous avez institutionnalisé l'approche travail alors qu'il fallait la professionnaliser. Il y a une différence.

Mes étudiants ne vous demanderont jamais de leur trouver un boulot, ils savent ce qu'il faut faire, non plus ils ne vous demanderont jamais un stage pour être embauchés après, car je leur ai appris à demander un stage pour apprendre comment plus tard, ils vont gérer leurs propres entreprises, ils ne vous demanderont pas un financement car les projets qu'ils vont élaborer seront tellement compétitifs et attrayants que les banques elles- mêmes vont se les arracher. J'ai simplement demandé à mes étudiants de retourner aux sociologies de l'acteur.

Monsieur le Président, c'est votre devoir de répondre à l'attente des Sénégalais, mais ne vous laissez pas entraîner dans le piège de la responsabilité collective. Chaque personne est responsable de sa propre vie et de son propre destin et par conséquent, doit œuvrer pour lui donner un sens. Personne n'est responsable de la vie d'autrui. Chacun est responsable de sa propre vie. Nous devons apprendre à cette génération, que la vie n'est pas basée sur le hasard et sur la chance. Le ver est dans le fruit et si nous voulons réussir, il va falloir réduire l'emprise de la tradition, des coutumes et des mœurs, de la famille, sur nos vies de tous les jours.

A mon avis, monsieur le Président, cette fébrilité de votre part, surtout depuis les événements de mars, cache une volonté politique de votre part, de continuer votre règne. Ce n'est pas grave, vous êtes Sénégalais, vous avez le droit de demander un troisième mandat, il n'est pas sûr que le peuple sénégalais vous l'accorde. Mais j'ai remarqué que vous avez ordonné une remobilisation de vos troupes pour occuper le terrain politique et ne pas le laisser à Khalifa et à Sonko.

Dans les mois à venir, toute la jeunesse sénégalaise va porter son attention sur le financement de projets que vous allez étaler sur une périodicité bien calculée. Parallèlement, toutes vos activités politiques vont reprendre en prévision des Locales et prendront le dessus sur l'affaire Sonko qui va s'émousser petit à petit, en attendant le bon moment de l'exhiber encore, de préférence aux alentours des années 2022 et 2023.

Toute la stratégie sera de capter l'attention des jeunes avec des promesses de financement, d'émigration légale à travers le protocole signé avec l'ambassadeur de l'Espagne récemment, le recrutement de jeunes enseignants. De telle sorte que quand l'affaire Sonko sera vidée, avec à la clé, une condamnation qui le rendra non électeur et non éligible, aucun jeune ne trouvera plus d'intérêt à descendre dans la rue. Mais Président, encore une fois, ce sera une erreur !





Aly Khoudia Diaw, sociologue