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«Génocide» des Rohingyas: Aung San Suu Kyi défend la Birmanie devant la CIJ

Rédigé par leral.net le Mardi 10 Décembre 2019 à 09:19 | | 0 commentaire(s)|

L'ancienne icône de la démocratie Aung San Suu Kyi est à La Haye pour défendre la Birmanie à partir de ce mardi 10 décembre devant la Cour internationale de justice (CIJ). Le pays est accusé de « génocide » contre les Rohingyas.


Près d’un million de personnes forcées à l’exil, des accusations de crimes de guerre, viols, tortures, exécutions sommaires... La Birmanie va devoir justifier la répression sanglante exercée par l’armée envers les Rohingyas depuis 2017. Et c’est Aung San Suu Kyi, l'ancienne opposante historique à la junte birmane, qui fait le déplacement à La Haye pour défendre son pays.

Icône des droits de l’homme pendant des années, prix Nobel de la Paix en 1991, elle dirige aujourd’hui le gouvernement civil en Birmanie. Sa décision de se déplacer en personne est jugée incompréhensible par les militants des droits de l’homme, comme Chris Lewa. «Elle n’a jamais utilisé son autorité morale pour essayer d’arrêter la situation et elle continue à nier, dénonce l’activiste, qui travaille depuis 20 ans auprès des Rohingyas avec l’association Arakan Project. Elle a été plutôt silencieuse pendant la partie la plus grave du conflit, mais là, elle a même nié ouvertement les violences qui se sont passées. Pour les activistes, elle essaie de couvrir les militaires pour soi-disant défendre la Birmanie contre les pays, occidentaux ou autres, qui essaieraient de souiller sa réputation.»

La Gambie en première ligne pour défendre cette minorité musulmane persécutée

Au premier rang de ces pays : la Gambie, qui a porté cette affaire devant la Cour internationale de justice. Le gouvernement gambien a saisi l’institution au nom de l’Organisation de la Coopération islamique, qui regroupe 57 pays musulmans.

L’accusation se fonde sur un texte en particulier : la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide. La Gambie accuse le gouvernement birman d’avoir violé cette convention, et d’avoir cherché à exterminer les Rohingyas en tant que groupe ethnique, sur une base politique et religieuse. Une extermination menée via des transferts forcés de populations, des meurtres et des viols systématiques exercés par l’armée birmane.

De très graves accusations qui s’appuient notamment sur des enquêtes de l’ONU et sur celles d’avocats gambiens, qui ont recueilli plus de 600 témoignages de Rohingyas dans les camps de réfugiés au Bangladesh.

Les victimes « nous ont raconté leurs histoires, expliquait à Reuters le ministre gambien de la Justice, Abubacarr Tambadou, au moment du dépôt de plainte, le 2 décembre dernier. Leur impuissance face à des meurtres de masse, à des tueries de masse, à des viols, à de la torture de masse. Des histoires d'enfants brûlés vifs. Des histoires qui me sont toutes familières. Que j'ai déjà entendues alors que j'étais procureur au Tribunal international pour le Rwanda. J'ai aperçu le génocide à travers toutes ces histoires. J'ai passé une quinzaine d'années à interagir avec les victimes du génocide rwandais de 1994. Et je peux dire que les témoignages recueillis aujourd'hui chez les Rohingyas sont très similaires avec les histoires que j'ai entendues par le passé. Donc je me suis dit que ce n'était pas juste, qu'il fallait faire quelque chose. »

La Gambie a ainsi demandé à la Cour internationale de Justice d’acter les manquements de la Birmanie à ses obligations juridiques. Elle exige aussi des réparations pour les Rohingyas, en particulier la citoyenneté birmane pleine et entière - car les Rohingyas sont pour l’heure apatrides -, et le droit de revenir sur le sol birman sans être inquiétés.

Quelle ligne de défense pour les autorités birmanes ?

Pas question pour la Birmanie de reconnaître un quelconque génocide. Elle se battra sur le plan légal, en soulignant par exemple l’accord de rapatriement signé avec le Bangladesh. Des centaines de milliers de Rohingyas se sont réfugiés dans ce pays frontalier, où ils s’entassent dans des camps surpeuplés. La Birmanie s’est engagée à autoriser leur retour sur son sol, ce qui sert d’argument à la délégation birmane à la CIJ : quand on veut commettre un génocide, avance-t-elle, on ne s’engage pas à reprendre sur son sol les victimes de ce génocide.

Une ligne de défense difficile à tenir, compte tenu des conclusions accablantes des enquêtes de l’ONU sur le dispositif militaire mise en place par la Birmanie pour réprimer les Rohingyas.

La Birmanie fait également l’objet de plusieurs autres procédures devant différentes instances internationales. Elle risque en particulier une procédure criminelle devant la Cour pénale international. Cette fois, ce n’est pas la Birmanie en tant qu’État qui serait poursuivie, mais les hauts responsables de l’armée, mis en cause par les Nations Unies. Dans cette perspective, la décision de La Cour internationale de justice après les audiences pourrait servir de coup de semonce. Elle devrait être rendue d'ici 3 à 4 semaines.


En Birmanie, des rassemblements en soutien à Aung San Suu Kyi

Depuis l’annonce du déplacement d’Aung San Suu Kyi devant la CIJ, les manifestations de soutien se sont multipliées en Birmanie. Décriée par la communauté internationale, la lauréate du prix Nobel de la Paix reste très populaire dans son pays, rappelle notre correspondante à Rangoun, Sarah Bakaloglou. La majorité de la population considère en effet les Rohingyas comme des immigrants illégaux.

Le choix de se rendre en personne devant la Cour international de justice n’est pas anodin pour la dirigeante. Aung San Suu Kyi espère rassembler derrière elle le pays, alors que son leadership est mis à mal à la fois par les groupes ethniques armés et par les nationalistes, soutiens des militaires. Avec en tête un objectif : les élections générales de 2020. « Si les choses ne marchent pas dans son sens, elle pourra ensuite se présenter comme une martyre, analyse l’historien franco-luxembourgeois Jacques Leider au micro de RFI. Ou dans le cas contraire, capitaliser sur sa prestation. »




RFI