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Grandes écoles: ces jeunes Français qui ont choisi l'Afrique

Opportunité. Mais qu'est-ce qui fait courir les jeunes entrepreneurs français en Afrique ?


Rédigé par leral.net le Samedi 25 Février 2017 à 18:38 | | 0 commentaire(s)|

À 22 ans, Aimé de La Villejégu n'a pas encore terminé ses études qu'il a déjà décidé d'embarquer avec un aller simple pour l'Afrique. Au sein du Programme grande école de l'EM Lyon Business School, ce jeune Parisien a déjà pas mal bourlingué : trois mois de stage au Ghana, dans la ville côtière de Cape Coast, avant de rejoindre Accra, la capitale. Puis direction la Côte d'Ivoire. Arriver à Abidjan, la capitale économique à la croissance fulgurante, sans stage ni emploi, n'a pas été facile.

Le jeune homme se souvient : "C'est en arpentant les rues peu familières des quartiers d'Adjamé, Abobo, Attécoubé ou Cocody qu'est venu le déclic." À chaque coin de rue, le même constat : les Africains vivent au rythme du mobile. Le petit appareil s'affiche partout : dans les kiosques, sur les panneaux publicitaires, à la télévision. Le secteur explose littéralement : en 2014, il y avait 62 millions de smartphones en circulation en Afrique, il y en aura 350 millions en 2017 !

Les téléphones ont envahi le continent et avec eux sont nés des besoins nouveaux : comment les entretenir, quelles garanties proposer... Remplacer son mobile, qui peut coûter jusqu'à 140 euros, n'est pas donné à tout le monde. D'où l'idée de lancer des kiosques de réparation, comme il en existe en France.

C'est ainsi qu'en avril 2016, après un investissement sur fonds propres de 10 500 euros, est née Zebra, une société qui propose de réparer des téléphones en quarante minutes à des prix raisonnables dans les points de vente stratégiques d'Abidjan. L'entreprise est rentable depuis le premier mois. Aimé de La Villejégu a été vivement soutenu par son école, qui l'a autorisé à reporter son année d'examen et l'a assisté pour la communication de son entreprise.

Pour l'EM Lyon, il est un acteur du changement. Comprenez : quelqu'un qui crée sa propre affaire pour impacter la société. Comme lui, de plus en plus de jeunes entrepreneurs tout droit sortis de l'école choisissent l'Afrique comme terre de projet.

Doctrine

Le tropisme africain des entrepreneurs français n'est pas nouveau. Certaines initiatives ont même été de belles réussites, à l'image du banquier Michel Kahn, DG de Bank of Africa au Burkina Faso et en Ouganda dans les années 2000. Sa doctrine, "Si vous voulez une carrière, ne partez pas travailler en Afrique ! En revanche, si vous avez une vision, un business qui vous passionne, allez-y !", a été une boussole pour de nombreux investisseurs.

De grands groupes français comme Bolloré ont également très tôt misé sur le Continent pour leur développement. Mais la nouveauté, ce sont les profils : de jeunes loups à peine sortis de l'école, souvent titulaires d'un double cursus ingénieur/business développeur.

Exit les formations généralistes, il est désormais acquis que l'Afrique possède ses spécificités : les 54 pays qui la composent, répartis en zones régionales, ont pour principal point commun un environnement des affaires peu attractif, des instruments législatifs incomplets, sans oublier la gangrène de la corruption.

Et les formations dévolues à l'entrepreneuriat social, qu'elles soient des séminaires ou des masters spécialisés, fleurissent partout en France et dans le monde (Essec, HEC, université de Lausanne, université de Virginie, les moocs des Trophées solidaires...).
 

 

 

 



C'est que le potentiel économique africain est considérable. La dernière étude McKinsey et Company précise qu'en 2025 le marché africain va représenter 5 600 milliards de dollars, dont 2 100 milliards pour la consommation des ménages. "Cette croissance va générer de nouvelles opportunités et sera notamment propice à la création d'entreprises, explique Thierry Sibieude, professeur titulaire de la chaire d'entrepreneuriat social de l'Essec. Depuis la création de cette chaire, de nombreux étudiants ont choisi l'Afrique, avec de belles réussites, comme La Fabrique à Ouagadougou, Djantoli au Mali ou encore Nest For All à Dakar."

En 2050, le PIB du continent pourrait se rapprocher de celui de l'Union européenne et sa population, frôler les 2 milliards. Une réalité qui change aussi la donne en Europe et en France. La transformation des économies africaines d'un côté, la libéralisation des politiques économiques de l'autre, ainsi que la forte croissance démographique qui accélère l'urbanisation n'ont fait qu'accentuer cette image d'eldorado pour le Vieux Continent.
 

"L'Afrique est face à un véritable défi, celui de créer suffisamment d'emplois pour les 11 à 13 millions de jeunes qui, chaque année, viennent gonfler les rangs de la population active. Dans ce contexte, créer son entreprise est une solution pour éviter d'être frappé par le chômage et pour générer durablement de la valeur et de la richesse dans les territoires", soulève Thierry Sibieude, chargé de nouer pour l'Essec des partenariats avec les meilleures formations sur le continent.
 

Pendant longtemps, ce sont les firmes étrangères, les multinationales notamment, qui ont soutenu l'entrepreneuriat en Afrique, en finançant des projets et en conseillant les entrepreneurs. Aujourd'hui, l'écosystème devient plus dense. Certains pays, tels le Maroc, la Côte d'Ivoire ou la Tanzanie, offrent les meilleures conditions pour lancer une activité.

Dans d'autres pays portés par une croissance de 7 à 8 %, comme le Botswana, le Mozambique, les marchés se diversifient et deviennent matures, les structures d'aide sont plus nombreuses. Les territoires se dotent d'équipements structurants et les États légifèrent pour faciliter la création d'entreprise.
 

Pour qui souhaite entreprendre sur place, Belmond Mpegna, professeur à la tête du séminaire Doing Business in Africa de Neoma, conseille d'abord de reprendre des cours d'histoire. Au mieux, de comprendre l'apport économique mais aussi politique de l'Afrique dans le monde : "Connaître le rôle qu'a joué l'Afrique dans l'économie mondiale est une sorte de préparation mentale pour la rencontre vers ce nouveau marché."

Depuis deux ans, à raison de cinq séminaires annuels de cinq jours, une quarantaine d'étudiants reçoivent un enseignement spécifique autour des enjeux des règles du commerce international appliqués au contexte africain. Objectif : offrir une large palette de connaissances dans les domaines législatif, du management, du marketing ciblés sur le continent.

Affinités

Pour Thierry Sibieude et Belmond Mpegna, l'appétence des jeunes étudiants français pour l'Afrique s'explique par leurs liens historiques et culturels. Notamment dans les pays francophones d'Afrique occidentale et centrale, où les affinités se créent plus facilement que dans les autres zones que sont l'Asie ou l'Amérique latine.

Et les projets se multiplient en même temps que de nouveaux besoins apparaissent : "Dans les transports, des jeunes étudiants de Neoma ont par exemple lancé un système à la BlaBlaCar au Cameroun, où le secteur n'est pas très bien organisé, raconte Belmond Mpegna. Pour l'instant, les jeunes Français sont plutôt dans la duplication de ce qui marche en Europe ou aux États-Unis."
 

Pour Thibault Lesueur, 28 ans, passé par Néoma Business School durant quatre ans, avant un master à Skema Business School, l'aventure entrepreneuriale a commencé avec deux camarades d'école dans le jardin de ses parents, dans l'est de la France. Parti en Tanzanie pour un stage au sein d'une ONG, Thibault y croyait a priori. Et à raison : un an après avoir monté sa société Solaris Offgrid, son business model est déjà rentable. "On a désormais 25 salariés en Tanzanie. En 2016, on a apporté l'électricité à environ 5 500 personnes. En 2017, on veut multiplier cet impact par dix, que ce soit en Tanzanie ou ailleurs", affirme-t-il.

En plus d'apporter une solution énergétique dans les zones les plus reculées du pays, son entreprise prend parfois des airs d'incubateur. Quand il apporte de l'électricité à un kiosque de coiffure, par exemple, le propriétaire peut venir solliciter chez lui des conseils pour mieux s'équiper, faire un business plan et devenir un entrepreneur à son tour. Pas sûr qu'il aurait rapidement gagné ce rôle "social" dans une carrière en France.

 

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Rentable. En Tanzanie, Thibault Lesueur, qui a créé Solaris il y a un an, a déjà 25 salariés. © DR

 

 

Alexandre Castel, serial entrepreneur en Afrique, en sait quelque chose. Au début, ce trentenaire sorti de HEC et de l'École des mines de Douai s'était lancé un pari fou. Avec son business plan établi sur les bancs de l'école, il a fondé en 2012 avec deux associés Station Energy, au Sénégal. Un réseau franchisé de stations de production autonome d'énergie solaire permettant d'électrifier les habitations et de louer des batteries dans les zones les plus éloignées. Très vite, l'ambitieux directeur obtient des fonds, cumule jusqu'à 13 boutiques franchisées, des magasins de produits surgelés, dix distributeurs en Côte d'Ivoire, et projette de s'étendre au Burkina Faso. Orange lui a même remis en 2014 le prix de l'Entrepreneur social en Afrique.

 

 

 

 

Preuve de l'engouement des jeunes Français pour l'Afrique, Alexandre n'a pas choisi de rentrer après la fin de son aventure chez Station Energy. Il a décidé de retenter sa chance. Cette fois-ci en Côte d'Ivoire. C'est l'un des pays qui attirent le plus les jeunes sortis d'école, comme le Kenya, la Tanzanie ou encore le Sénégal. Il est désormais à la tête de Nexoo, une entreprise qui propose des solutions digitales et la connexion des objets en Afrique de l'Ouest, et met en place un réseau de hotspots wi-fi gratuits dans Abidjan. Mais ces réussites n'étouffent pas les obstacles que le jeune entrepreneur affronte sur le terrain depuis six ans.

 

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Serial entrepreneur. À 31 ans, Alexandre Castel a déjà monté deux entreprises en Afrique. © REA/Ana Pollard

 

 

Car le tableau est loin d'être idyllique. Corruption, népotisme, faiblesse des ressources humaines, problème de cadres juridiques : entreprendre en Afrique n'est pas aisé. "Les contraintes sont nombreuses ; c'est aussi ce que nous enseignons à nos étudiants", reconnaît Belmond Mpegna.

Ces mêmes problématiques préoccupent Aimé de La Villejégu, qui redoute son retour en France, où il doit passer ses examens. Il ne sait pas encore à qui il va confier son entreprise durant son absence, faute de personnel bien formé. "En tant qu'entrepreneur en Afrique, on mûrit beaucoup plus vite, on fait la part des choses, mais je conseille d'être pragmatique et tout le temps sur le terrain. Il ne faut rien lâcher."

Thibault Lesueur, lui, recommande d'être préparé à ces situations complexes lorsqu'on est jeune diplômé. Il regrette, comme Alexandre Castel, de ne pas avoir reçu ces nouvelles options de formation sur l'entrepreneuriat en Afrique. Mais qu'importent les difficultés: ces jeunes entrepreneurs restent motivés et confiants. Comme si l'Afrique donnait des ailes.


Alain Lolade