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Guerre économique avec les Etats-Unis: la Chine avance l’arme du e-yuan

Rédigé par leral.net le Mardi 9 Juin 2020 à 17:12 | | 0 commentaire(s)|

L’information est passée presque inaperçue. Pourtant, il s’agit d’un tournant majeur dans la rivalité entre la Chine et les États-Unis pour le leadership mondial. En lançant, début mai, l’essai de sa nouvelle monnaie numérique (l’e-yuan), la Chine a surpris ses partenaires-rivaux occidentaux. Il s’agit d’une « arme puissante dans la guerre économique entre la Chine et les États-Unis », analyse Dr Mamadou Mbaye, enseignant à l’Université de Thiès et chercheur au Laboratoire de recherches économiques et monétaires (Larem).


Début mai, Pékin a entamé un important essai de monnaie numérique. Le e-RMB ou e-yuan a été intégré dans les systèmes monétaires de plusieurs grandes villes (Shenzhen, Suzhou, Chengdu, ainsi que dans une nouvelle zone au sud de Pékin, Xiong’an, et dans des régions qui accueilleront certains des événements des Jeux olympiques d’hiver de 2022 à Pékin, rapporte le journal britannique « The Guardian » reprenant le journal officiel China Daily. Certains employés du Gouvernement et fonctionnaires vont commencer à recevoir leurs salaires dans la monnaie numérique. Si le projet date de 2014, ces derniers mois, la banque centrale de Chine a accéléré le développement de l’e-RMB, qui devrait être la première monnaie numérique exploitée par une grande économie. « Cette décision est une alerte aux grandes puissances sur la volonté de la Chine, non seulement de s’affranchir des pratiques financières de ses partenaires/rivaux surtout américains, mais aussi de conforter sa position de leader mondial en termes d’innovations financières et de technologie de paiement digital », analyse Dr Mamadou Mbaye, enseignant à l’Université de Thiès et chercheur au Laboratoire de recherches économiques et monétaires (Larem). Pour cet économiste et spécialiste de la monnaie électronique et du Blockchain, la Chine avait compris qu’il lui fallait une monnaie plus sûre, moins sujette aux fluctuations pour concurrencer, voire remplacer le dollar sur le marché international. La monnaie étant un instrument de liberté et de souveraineté.

S’il faut s’attendre, sur le plan géostratégique, à une réaction des puissances européennes, mais surtout américaine, qui se traduira, dans un premier temps, par une « course technologique » (aux monnaies digitales) et, dans un second temps, une révision de la règlementation internationale pour insérer la monnaie digitale dans le dispositif prudentiel mondial et ainsi essayer de la « normaliser », sur le plan transactionnel, la pénétration de cette monnaie à l’international se fera d’abord avec les partenaires du Sud qui verront la Chine proposer (ou imposer) l’e-Rmb comme monnaie de facturation avant sa généralisation, estime Mamadou Mbaye.

Cette monnaie virtuelle peut s’avérer un atout stratégique pour la Chine dans ses relations commerciales avec le reste du monde. « Au niveau du commerce international, voire plus globalement des relations économiques, la Chine continuera à s’imposer malgré les sanctions qui lui seront imposées. Il ne faut pas oublier que la Chine constitue un énorme marché et les États-Unis ne peuvent pas se permettre de s’en passer », poursuit Mamadou Mbaye. « Sur le plan financier, l’e-RMB pourrait constituer une alternative comme monnaie de règlement et, du coup, la Chine échapperait aux fluctuations du dollar décidées par les Américains ». De manière globale, elle aura plus de liberté dans les échanges et pourra garantir la rentabilité de ses transactions. Il faut aussi rappeler que la Chine est le principal créancier des États-Unis, donc le principal détenteur de la dette américaine. Ce qui fait que Washington « réfléchira à deux fois » avant d’utiliser cette arme « nucléaire » de la dette et des sanctions financières.

Contourner d’éventuelles sanctions américaines

L’enjeu, c’est de pouvoir contourner d’éventuelles sanctions américaines via le dollar. Ces dernières années, Washington a usé et abusé de cette arme pour asphyxier économiquement et financièrement des pays comme l’Iran et le Venezuela, en les empêchant de faire toute transaction avec le dollar. Ces pays ont appris à leurs dépens qu’il est difficile de commercer avec la monnaie de son ennemi. Pékin semble avoir retenu la leçon et chercherait à prendre les devants en accélérant la mise en place de l’e-yuan. En effet, la pandémie de la Covid-19 a ravivé les tensions entre les deux grandes puissances, Donald Trump, le Président américain, allant jusqu’à menacer de rompre « tout lien » avec la Chine. « Cette nouvelle monnaie numérique est une arme puissante dans la guerre économique entre la Chine et les États-Unis. On pourrait penser que c’est à cause de la transmission de la maladie que les populations préfèrent une monnaie dématérialisée mais la Chine se prépare à l’après-Covid-19 avec les menaces de sanctions américaines qui pèsent sur elle », résume Mamadou Mbaye.

Certains pays sous sanctions américaines, comme le Venezuela, avaient déjà opté pour une monnaie digitale dans le cadre de leurs transactions commerciales. Allons-nous assister à l’émergence d’un bloc pro-digital sur le marché international pour contrer les sanctions américaines ? « Tout comme le Venezuela, la Chine, grâce à sa monnaie, réduira l’impact des sanctions financières », note M. Mbaye. Cette ambition est à peine voilée côté chinois. « Une monnaie numérique souveraine offre une alternative fonctionnelle au système de règlement en dollars et atténue l’impact de toute sanction ou menace d’exclusion à la fois au niveau des pays et des entreprises », indiquait le rapport du China Daily cité par le « Gardian ». Il peut également faciliter l’intégration dans les marchés des devises négociés à l’échelle mondiale « avec un risque réduit de perturbation d’inspiration politique ».

S’il estime que l’avènement de l’e-yuan aura un énorme impact sur le plan international, Dr Mbaye reste prudent sur une éventuelle comparaison avec la fin de « l’étalon or-dollar » décidée par Richard Nixon en 1971. Les deux contextes sont très différents. « En 1971, on a assisté à l’essoufflement de la politique monétaire des États-Unis », dit-il. En effet, bien que la référence fût le dollar, les États-Unis ne pouvaient plus contenir le système pour deux raisons fondamentales. « D’abord, ils avaient enregistré un important déficit de leur balance commerciale. Ensuite, ils ne pouvaient plus respecter leur engagement vis-à-vis des pays membres du système de Bretton Woods à cause de l’insuffisance des réserves d’or de leur banque centrale – la Fédéral Reserve (Fed) – pour assurer la parité du dollar.» Cette crise interne était l’une des principales causes de cette situation. « Nous avions assisté à une révolution qui, d’une certaine manière, avait remis en cause les pratiques monétaires en cours à l’époque, notamment avec le cours forcé. La configuration actuelle de l’économie mondiale laisse présager que l’ampleur de cet événement sera moindre que celle de 1971 », conclut Mamadou Mbaye.

Le Soleil