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Human Rights Watch dénonce l'exploitation sexuelle, le harcèlement et les abus dans les écoles sénégalaises


Rédigé par leral.net le Jeudi 18 Octobre 2018 à 18:24 | | 0 commentaire(s)|

Dans un village de la région de Sédhiou située dans le sud du Sénégal, Fanta, 23 ans, a parlé à Human Rights Watch d’une « relation » secrète qu’elle avait avec son professeur âgé de 30 ans, et qui a commencé quand elle avait 16 ans. « J’avais honte en classe … mes camarades de classe savaient que je sortais avec lui », a confié Fanta à Human Rights Watch. « Et d’autres enseignants le savaient aussi, mais ils n’ont rien dit ».

Fanta s’est rendu compte qu’elle était enceinte à l’âge de 17 ans. Lorsque son père a essayé de trouver un arrangement avec l’enseignant – une mesure habituelle des familles qui veulent régler leurs problèmes discrètement pour éviter le mépris de leur village – celui-ci a nié être le père de l’enfant que Fanta attendait. Cheikh, le père de Fanta, a déclaré à Human Rights Watch : « Je lui ai dit ‘Tu as détruit l’éducation de ma fille’, mais il a tout nié. ». Même après qu’il soit devenu évident que Fanta était enceinte, l’école n’a jamais enquêté sur la question, et le principal ne l’a pas contactée. Fanta s’est sentie encore plus honteuse des dénégations du professeur : « Je me suis sentie humiliée devant mes camarades de classe. »

Au Sénégal, les filles comme Fanta sont confrontées à des niveaux élevés de violence sexuelle et sexiste, notamment d’exploitation sexuelle, de harcèlement et d’abus, de la part d’enseignants et autres responsables scolaires. Malheureusement, ces filles ont peu d’options pour obtenir justice. Ces cas ne sont pas souvent signalés ou étudiés par les autorités scolaires. Dans certains cas, les familles préfèrent négocier avec les hommes qui rendent les filles enceintes, notamment en concluant un accord avec eux pour qu’ils apportent un soutien financier aux filles pendant la grossesse, plutôt que de demander réparation par les voies officielles. Mais dans de nombreux autres cas, ces filles n’informent pas leur famille car les tabous et la stigmatisation associés à ces grossesses sont très préjudiciables.

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© 2018 Human Rights Watch
L’ampleur et la prévalence des abus sexuels à l’égard des élèves ne sont pas connues de manière précise ; toutefois, des recherches menées par des organisations non gouvernementales, des organismes des Nations Unies ainsi que des universitaires indiquent que la violence sexuelle et sexiste liée aux écoles constitue un grave problème dans le système éducatif du pays.

Basé sur des recherches menées en 2017 dans les régions de Kolda, Sédhiou et Ziguinchor, dans le sud du Sénégal, ainsi qu’à Dakar et dans les environs de la capitale, ce rapport expose la pratique peu médiatisée d’exploitation sexuelle, de harcèlement et d’abus dans le cadre de l’école perpétrée en grande partie par des enseignants ainsi que des responsables scolaires. Le rapport exhorte le gouvernement du Sénégal à adopter des mesures clés pour mettre un terme à ces pratiques illégales – qui équivalent parfois également à des infractions pénales – dans ses écoles.

Ce rapport, utilisant la définition de l’exploitation sexuelle de l’Organisation mondiale de la santé comme « le fait d’abuser ou de tenter d’abuser d’un état de vulnérabilité, d’un rapport de force inégal ou de rapports de confiance, à des fins sexuelles », explique comment les adolescentes sont exposées à l’exploitation sexuelle, au harcèlement et aux abus de la part des enseignants et de membres du personnel scolaire dans les établissements publics du premier et du deuxième cycles du secondaire.

Human Rights Watch a mené des entretiens avec 42 filles et jeunes femmes âgées de 12 à 25 ans et a mené des discussions de groupe auprès de 122 élèves du secondaire, dont la plupart ont fréquenté 14 collèges et 8 lycées dans différentes régions du pays.

Human Rights Watch a constaté que certains enseignants abusaient de leur position d’autorité en harcelant sexuellement les filles et en entretenant des relations sexuelles avec elles, un grand nombre d’entre elles ayant moins de 18 ans. Les enseignants les attirent souvent avec la promesse d’argent, de bonnes notes, de nourriture ou de biens matériels comme des téléphones portables et de nouveaux vêtements. Les élèves — et dans une certaine mesure, les enseignants et les membres du personnel scolaire — ont souvent qualifié cela de « relations » entre les enseignants et les élèves. Human Rights Watch estime que ce type de caractérisation minimise la gravité de ces abus, affecte leur signalement et brouille la perception par leurs auteurs de la gravité de ces abus. Bon nombre des cas documentés dans ce rapport devraient être traités et poursuivis en tant qu’exploitation sexuelle et abus sexuel d’enfants.

L’exploitation sexuelle et le harcèlement par les enseignants se font de diverses manières : certains enseignants approchent leurs élèves – pendant les cours ou les activités du soir – demandant une faveur ou réclamant leurs numéros de téléphone. Lorsque les filles refusaient les propositions des enseignants, elles pensaient que les enseignants les punissaient d’avoir rejeté leurs avances en leur attribuant des notes inférieures à celles qu’elles méritaient, en les ignorant et en ne leur permettant pas de participer aux discussions ou aux exercices en classe. Souvent, l’exploitation et le harcèlement ont duré pendant des mois, ou dans un cas des années.

Les filles sont également touchées par les stéréotypes de genre et les connotations sexuelles auxquelles elles sont confrontées en classe. Certaines filles ont affirmé à Human Rights Watch que leurs enseignants utilisent un langage ou des gestes inappropriés – par exemple, décrivant le corps ou les vêtements des filles de manière sexuelle – lorsqu’ils s’adressent directement aux élèves ou font référence à d’autres élèves de leur classe. Certaines filles sont inquiètes quand elles savent qu’un enseignant fait des avances à une amie ou une camarade de classe. Lorsque ces types de harcèlement ou d’abus ont lieu, les enseignants, les parents ou même leurs camarades de classe accusent souvent les filles d’attirer l’attention inutile des enseignants ou de provoquer les enseignants avec leurs tenues.

Le Sénégal ne dispose pas d’un code de conduite national contraignant décrivant les obligations des enseignants, des responsables scolaires et des acteurs de l’éducation vis-à-vis des élèves. Cependant, les enseignants du Sénégal, comme leurs homologues de nombreux autres pays, jurent d’adhérer à un serment éthique et professionnel non contraignant lorsqu’ils commencent leur carrière d’enseignant, s’engageant à ne jamais utiliser leur autorité sur les élèves à des fins sexuelles.

Les comportements des enseignants décrits dans ce rapport constituent non seulement une violation flagrante de ces obligations professionnelles et éthiques, mais également un crime en vertu du droit sénégalais lorsque les filles ont moins de 16 ans. Le harcèlement et la coercition à des fins sexuelles et l’abus de pouvoir et d’autorité sur un enfant de moins de 18 ans par un enseignant est passible d’une peine maximale de 10 ans.

Des médias sénégalais ont signalé des viols commis par des enseignants dans des écoles à travers le pays, ce qui soulève de graves préoccupations quant à ce qu’un grand nombre de filles pourraient vivre. Depuis 2013, les médias rapportent qu’au moins 24 enseignants du primaire et du secondaire ont été poursuivis pour viol ou actes de pédophilie – tous deux constituant des infractions sexuelles en vertu de la législation sénégalaise. Bien qu’il soit important que ces poursuites aient eu lieu, nos conclusions suggèrent que les poursuites, la sanction professionnelle par les supérieurs ou la réparation d’autres formes de violence sexuelle, en particulier l’exploitation sexuelle, ont été limitées.

Cependant, de nombreux cas d’exploitation et de harcèlement sexuels commis par des enseignants n’ont pas été signalés et les autorités scolaires n’ont pas fait en sorte que leurs auteurs rendent des comptes pour leurs actes. C’est en partie parce que le fait de signaler des cas d’abus sexuels ou de violence à l’école repose en grande partie sur la décision du principal d’agir ou d’ignorer une plainte, et parce que les familles sont réticentes à signaler les cas à la police. Bien que certains principaux prennent au sérieux les allégations, ils tentent de mener des enquêtes informelles, de parler discrètement au personnel et de résoudre les problèmes en interne, afin de protéger leur personnel, de retenir les enseignants ou d’éluder les inspections de l’éducation ou des comités de protection de l’enfant.

En outre, le fait de parler de l’exploitation sexuelle, du harcèlement et des abus est considéré comme un sujet tabou pour un grand nombre de filles. Par ailleurs, un grand nombre d’élèves ne savent que partiellement ce que sont les infractions sexuelles. L’éducation sur tout l’éventail des infractions ou sur la manière de prévenir et de signaler l’exploitation sexuelle, le harcèlement ou les abus est rare et ne fait certainement pas partie d’un effort national.

Même lorsque les filles exploitées sexuellement, harcelées ou maltraitées veulent se manifester, elles hésitent à signaler les cas dans les écoles par crainte d’être stigmatisées ou ridiculisées. Lorsqu’elles se manifestent, les responsables de l’école ne les prennent pas toujours au sérieux et, dans certains cas, on leur dit qu’elles ont provoqué leurs enseignants. Cela a conduit à la méfiance parmi les élèves et le sentiment que la dénonciation des abus n’aura aucun résultat. En conséquence, il est rare que les filles victimes d’exploitation sexuelle, de harcèlement ou d’autres formes de violence voient leurs affaires faire l’objet d’enquêtes ou leurs agresseurs rendre des comptes par le biais du système judiciaire et du ministère de l’Éducation nationale.

De manière louable, le gouvernement a pris des mesures pour lutter contre la violence sexuelle et la discrimination fondée sur le genre dans les écoles, dans le cadre d’efforts plus larges visant à accroître l’accès des filles à l’enseignement secondaire, et leur maintien dans ce système. En 2013, le gouvernement a adopté une stratégie solide de protection de l’enfance, qui a lancé des comités de protection de l’enfance à tous les niveaux administratifs. Avec le soutien international, le gouvernement a également ciblé les ressources, cherchant à mettre un terme aux grossesses chez les adolescentes et à renforcer l’autonomie des filles. Bien qu’un grand nombre de ces programmes n’aient pas encore été reproduits à grande échelle, ils restent tributaires de l’appui financier des bailleurs de fonds et n’ont pas réussi à lutter contre l’exploitation sexuelle généralisée dans les écoles.

Selon les recherches de Human Rights Watch, un grand nombre d’enseignants s’efforcent véritablement de faire en sorte que les élèves étudient dans un environnement d’apprentissage sans danger, afin qu’ils puissent terminer leurs études avec succès. Bon nombre se concentrent sur la lutte contre les abus sexuels à l’école. Par exemple, certains directeurs d’école ont, de leur propre initiative, adopté une politique de tolérance zéro pour les abus liés à l’école et ont ouvertement parlé de comportements illégaux et inacceptables, pour que les filles se sentent en confiance pour signaler tout abus ou comportement nuisible. En outre, certains enseignants engagés ont traité ces questions par le biais de formations sur les droits de l’enfant et la protection de l’enfant et ont organisé des manifestations de sensibilisation à l’école pour briser les tabous associés à ces abus.

Les efforts existants visant à assurer le maintien des filles dans les écoles secondaires ont souvent complété les initiatives en milieu scolaire visant à réduire les taux de grossesse chez les adolescentes. Ces initiatives se sont plutôt axées sur l’ouverture d’espaces extra-scolaires pour que les élèves puissent discuter de planification familiale et éviter les infections par le VIH et les infections sexuellement transmissibles.

Toutefois, le gouvernement devrait déployer des efforts plus importants pour que les élèves aient accès à une éducation adéquate en matière de santé sexuelle et reproductive. Le gouvernement s’est avéré inutilement lent à adopter un programme national exhaustif de santé sexuelle et reproductive. Au moment de la rédaction de ce rapport, il était réticent à inclure des contenus sur la sexualité dans les programmes d’enseignement en raison des préoccupations selon lesquelles l’enseignement de la sexualité contredirait les valeurs culturelles et morales du Sénégal, ainsi que du fait des pressions exercées par les groupes religieux.

La plupart des écoles secondaires publiques dans les régions où Human Rights Watch a mené des recherches ne fournissent pas de contenu adéquat, complet et scientifiquement précis sur la sexualité ou la reproduction. Dans la plupart des écoles, l’abstinence reste le message principal. Certains des enseignants qui mènent des activités extrascolaires fournissent aux élèves quelques informations sur la contraception, spécifiant que ces informations ne seront appliquées qu’une fois que les élèves seront mariés. En outre, les possibilités offertes aux jeunes d’obtenir des informations utiles au sein de la communauté sont limitées. Bien que le gouvernement ait déployé des efforts pour accroître la couverture des services de santé destinés aux adolescents, notamment en créant des centres spécialisés dans les besoins des adolescents dans la plupart des capitales régionales, il n’a pas garanti une couverture suffisante dans les zones rurales.

Human Rights Watch appelle le gouvernement du Sénégal à adopter une riposte nationale plus forte pour mettre fin à l’exploitation sexuelle, au harcèlement et aux abus dans les écoles. Parmi ses principales priorités, le gouvernement devrait adopter une politique nationale pour lutter contre l’exploitation sexuelle, le harcèlement et les abus dans les écoles. Cette politique devrait clarifier ce qui constitue un comportement illégal ou inapproprié, et indiquer clairement que toute « relation » sexuelle entre le personnel enseignant et les élèves ainsi que l’exploitation et la coercition en échange de notes, d’argent ou d’articles de base, tels que de la nourriture ou des téléphones portables, sont explicitement interdits et passibles d’une sanction professionnelle. Il convient de préciser que ces « relations » considérées comme constituant des infractions sexuelles feront l’objet d’une enquête approfondie et que les auteurs seront punis.

Le gouvernement devrait également s’attacher à accroître la responsabilité pour les infractions sexuelles liées à l’école. Il devrait veiller à ce que les directeurs et le personnel des établissements d’enseignement comprennent leur obligation d’enquêter de manière appropriée sur toute allégation d’exploitation sexuelle, de harcèlement ou d’abus. Il devrait mettre en place des formations adéquates sur la protection de l’enfance pour toutes les enseignantes et tous les enseignants, par le biais d’une formation préalable et continue.

Le gouvernement devrait s’efforcer de mettre fin à la culture du silence autour de l’exploitation sexuelle, du harcèlement et des abus liés à l’école, notamment en rendant les processus de signalement plus clairs, confidentiels et accessibles aux élèves, et déployer une campagne d’éducation publique à l’intention des élèves et des jeunes. Cette campagne devrait s’attaquer aux stéréotypes, aux tabous et à la stigmatisation qui incitent les filles et les jeunes femmes à se sentir coupables d’abus sexuels commis à leur encontre. La campagne devrait également chercher à doter les élèves des connaissances nécessaires pour comprendre ce qu’est l’exploitation sexuelle, le harcèlement et les abus, ainsi que la confiance nécessaire pour parler chaque fois que cela se produit.