leral.net | S'informer en temps réel

Il y a 75 ans : Les tirailleurs sénégalais étaient massacrés à Chasselay

Du 19 au 20 juin 1940, il y a 75 ans, les soldats du 25e régiment de tirailleurs sénégalais reçoivent l’ordre de “résister sans esprit de recul”. Face à eux, l’armée nazie en surnombre et mieux équipée. Alors que la France a déjà capitulé, les soldats vont se battre jusqu’à la mort, et être les victimes du racisme des Allemands.


Rédigé par leral.net le Jeudi 25 Juin 2015 à 10:55 | | 0 commentaire(s)|

Il y a 75 ans : Les tirailleurs sénégalais étaient massacrés à Chasselay
Lyon, 19 juin 1940. Les Allemands prennent la préfecture ; l’occupation de Lyon est officielle. La veille, des réservoirs d’essence situés quai Rambaud ont été incendiés. La fumée masque le soleil dans certains quartiers adjacents. Il faudra attendre le 7 juillet pour que les soldats se retirent ; Lyon fera alors partie de la zone libre. L’armée française ne parvient pas à tenir tête à l’invasion allemande. En son sein, des tirailleurs sénégalais recrutés dans les colonies. Contrairement à ce que leur nom indique, ceux-ci ne sont pas issus d’un seul pays, mais de toute l’Afrique noire, et dépendent des troupes coloniales.

Les victimes oubliées de la Seconde Guerre mondiale

À la fin de la Première Guerre mondiale, des troupes françaises issues des colonies d’Afrique sont stationnées en Allemagne, notamment en Sarre. À propos de leurs enfants nés d’unions avec des femmes de la région, Hitler écrira dans Mein Kampf qu’il s’agit d’“un complot juif visant à bâtardiser l’Europe”. Rapidement, ils vont être mis au ban de la société et devenir des boucs émissaires. À partir de 1935, suite aux lois de Nuremberg, les mariages mixtes entre Noirs et Blancs sont interdits. En 1937, la Gestapo effectue des rafles et fait stériliser de force les Noirs. Considérés comme des animaux, traités de “honte noire”, ils sont capturés et envoyés en camp de concentration.

Les soldats des colonies, cibles prioritaires ?

En France, les troupes des colonies vont être les premières victimes de la répression nazie. Pour certains historiens, telle Catherine Coquery-Vidrovitch, 65 000 tirailleurs s’engagèrent au combat entre mai et juin 1940 ; 29 000 seront massacrés. Les consignes de Goebbels ont été claires : il faut “dénoncer les Français comme des sadiques négrifiés [...] cette racaille de couleur”. L’infanterie SS a pour ordre de “ne prendre vivant aucun prisonnier nègre”. Dès lors, les soldats capturés sont automatiquement fusillés. Entre le 12 et le 16 juin 1940, 105 hommes du 26e régiment résistent contre les nazis près de Chartres et donnent une leçon de bravoure aux Allemands. Lorsque ces derniers réussissent à renverser la situation, ils massacrent les hommes en prétextant qu’il s’agirait de violeurs de femmes et d’enfants.
Au début de la guerre, des mises en scène sont régulièrement organisées après les captures de “Sénégalais”. Les troupes coloniales sont montrées comme des “sauvages”, usant du “coupe-coupe”, mutilant et violant sans aucune pitié. Lorsqu’un officier nazi a besoin de montrer l’exemple dans les rangs de prisonniers, les Noirs sont abattus en priorité. Chaque acte de rébellion de leur part engendre inévitablement l’exécution de plusieurs d’entre eux. La convention de Genève sur le statut des prisonniers de guerre ne sera jamais respectée, et la population française ne protégera que rarement les survivants et autres évadés. Résolus à attiser la haine envers le soldat noir, les Allemands se plaisent à détruire les plaques d’identification des tirailleurs et abandonnent leurs corps à l’air libre.

L’héroïque résistance du 25e régiment de tirailleurs sénégalais

Le 19 juin 1940, à Chasselay-Montluzin, près de Lyon, alors que l’armée française recule, la 3e compagnie du 25e régiment de tirailleurs sénégalais ne reçoit pas l’ordre de retraite. Le régiment d’infanterie Gross Deutschland avance vers eux en compagnie de la division SS Totenkopf (connue pour avoir massacré une centaine de prisonniers britanniques au lieu-dit le Paradis). Ils vont rencontrer une résistance inattendue. Alors qu’ils n’ont presque aucune expérience du combat, les soldats africains vont résister avec une rage inédite. Pourtant, Pétain a demandé le cessez-le-feu, Lyon est abandonnée aux Allemands et déclarée ville ouverte. La Panzerdivision est déjà aux portes de la ville.
L’une des dernières batailles se déroulera au couvent de Montluzin à Chasselay. À l’intérieur, les religieuses soignent les blessés. Un officier allemand arborant un drapeau blanc s’approche d’un barrage français et proclame que l’armistice a été signé – ce qui est faux (elle ne le sera que le 22 juin). Le nazi hurle de ne pas tirer. Pourtant l’adjudant français Requier fait feu. L’homme s’écroule, les mitraillettes allemandes s’abattent sur le régiment. Les tirailleurs se battent, utilisant le couvent comme place forte, et surprennent les nazis, qui tentent plusieurs contre-attaques en vain. Ils doivent se résoudre à envoyer les blindés. Le 19 juin, les Allemands réussissent à prendre les lieux, abattent les tirailleurs et deux des trois officiers blancs accusés d’avoir dirigé des “nègres”.
Un dernier groupe, commandé par le capitaine Gouzy, s’est retranché à proximité, dans le château du Plantin. Le caporal mitrailleur Scandariato apporte un précieux témoignage sur la suite : “Nous étions environ une vingtaine de Blancs d’encadrement et un grand nombre de tirailleurs sénégalais. Le capitaine nous demanda quels étaient les volontaires pour le dernier baroud d’honneur, la coloniale ne se rendant pas sans un dernier combat. Tous répondirent présents et nous prîmes nos dispositions de combat tout autour du parc.” Les nazis perdront une centaine d’hommes et auront cinquante blessés. Les tirailleurs se battent jusqu’à ne plus avoir de munitions.
Contraints de se rendre, ils sont immédiatement capturés. Huit officiers français ainsi que soixante-dix soldats africains sont amenés dans un champ. Les officiers sont sommés de se plaquer au sol tandis que les nazis obligent les tirailleurs à fuir en courant. Les mitraillettes des chars ouvrent alors le feu, abattant les hommes dans le dos. Les blindés avancent et achèvent les blessés sous leurs chenilles. Le capitaine Gouzy se rebelle et reçoit une balle de pistolet dans le genou pour seule réponse. Le 20 juin, c'est au tour de 27 tirailleurs d'être fusillés montée de Balmont à Vaise.
Après les massacres de Chasselay, Françoise Meifredy, membre de l’Amitié africaine cherchera les survivants et les aidera à se cacher. Aujourd’hui, il est encore difficile de savoir combien ont survécu. Plus d’une centaine de prisonniers trouvèrent la mort près de Lyon, dans l’indifférence générale. Ils furent les derniers à tomber pour la France avant l’armistice.

Le tata sénégalais

En 1942, apprenant le massacre, le secrétaire général de l’office départemental des mutilés de guerre, des anciens combattants et des victimes de guerre, Jean Marchiani, ancien combattant de 14-18, décide de réunir des fonds pour acheter un terrain à Chasselay. Au lieu-dit le Vide-Sac, où ont été mitraillés les soldats, il fait construire un tata. En Afrique, ce terme qualifie un lieu dédié aux guerriers morts au combat. Ici, il s’agira avant tout d’une nécropole en hommage aux disparus. À l’intérieur, sont inhumés les corps de 196 tirailleurs, de plusieurs nationalités, et de la terre venue d’Afrique est répandue sur les tombes. Symbole d’une période sombre, le lieu sera pourtant officiellement inauguré le 8 novembre 1942 par les autorités de Vichy. Ces dernières auraient souhaité lever une armée coloniale pour ralentir les alliés en Afrique du Nord, mais les nazis ne virent pas l’idée d’un bon œil. Trois jours plus tard, les nazis envahissent la zone libre.
À la Libération, les tirailleurs survivants sont placés dans des camps, attendant d’être rapatriés. En novembre 1944, 1 200 d'entre eux sont rassemblés à Thiaroye à proximité de Dakar au Sénégal. Le 1er décembre 1944. Ils demandent le paiement de leurs indemnités et soldes lors d'une manifestation. Ils ne recevront que les balles tirées par les gendarmes français. Le bilan officiel fait état de 35 morts. Quant au tata, il faudra attendre 1966 pour qu'il soit déclaré nécropole nationale.

lyoncapitale.fr