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Interdiction de « Charlie Hebdo » au Sénégal, une décision ministérielle sage et courageuse.


Rédigé par leral.net le Mardi 20 Janvier 2015 à 08:38 | | 0 commentaire(s)|

Interdiction de « Charlie Hebdo » au Sénégal, une décision ministérielle sage et courageuse.
Après les attentats des frères Kouachi du 07 janvier 2014 sur les locaux du journal « Charlie Hebdo », suivi de l’assassinat par Amedy Coulibaly d’une policière municipale à Montrouge le 08 janvier et de sa sanglante prise d’otages dans « l’hyper Cacher » de la porte de Vincennes qui ont fait en tout 17 morts, tout le monde civilisé s’est indigné. Des manifestations de soutien ont eu lieu un peu partout dans le monde. A Paris, une marche républicaine fut organisée le dimanche 11 janvier 2015, marche à laquelle ont participé plus d’un million et demi de personnes dont quarante quatre chefs d’Etat et de gouvernement. Parmi ces personnalités de très haut rang figurait le Président sénégalais Macky Sall.

Le slogan le plus visible était « je suis Charlie ». En participant à cette manifestation le Président sénégalais voulait apporter son soutien propre et celui du peuple sénégalais à un pays et un peuple ami et frère, le peuple français endeuillé et meurtri par un acte horrible et barbare. Les peuples sénégalais et français ont une longue histoire commune. Cette histoire commune a été par moment douloureuse mais aussi fraternelle. Par sa présence à cette marche, Macky Sall voulait aussi, montrer lors de ce grand rendez-vous que le Sénégal soutient la démocratie, la liberté de la presse, la liberté d’opinion, la liberté d’expression et que le Sénégal ne cautionne et ne saurait cautionner sous quelque prétexte que ce soit des actes de barbarie et ou de terrorisme.

Mais, le Président sénégalais n’était pas sans savoir que les terroristes ont dit agir au nom de l’Islam pour disent-ils venger le prophète Mohammed (psl) suite à la reproduction des caricatures de celui-ci dans le journal « Charlie Hebdo » en 2006. Le journal avait repris, en guise de soutien, les caricatures publiées dans le journal danois « Jyllands-Posten ». A l’époque, il y eut une vague de protestations dans le monde entier pour dénoncer la provocation de « Charlie Hebdo » qui a été accusé de blasphème. Le peuple sénégalais qui compte au moins 95% de musulmans s’était senti blessé et était sorti très majoritairement dans la rue pour protester. Ailleurs, des manifestants s’en étaient pris à des intérêts français dans le monde.

La présence du Président sénégalais à la marche de Paris était donc une question très sensible. Partir ou ne pas partir, voici le dilemme auquel semblait se confronter le Président Machy Sall. Le Président décida finalement de se rendre à Paris pour manifester. Beaucoup d’autres personnalités comme l’ancien Président sénégalais Me Abdoulaye Wade ont condamné cette tragédie et apporté leur soutien au peuple français dans ces moments difficiles. Le Président américain Barack Obama a semblé regretter l’absence de hautes autorités américaines à ce grand rendez-vous de l’histoire et a dû, par la suite, envoyé son Secrétaire d’Etat John Kerry présenter les excuses du Président et du peuple américain.

Mais, nombreux sont ceux qui comme moi, ont désapprouvé ce choix du Président Macky Sall. D’aucuns considéraient que la participation du Président sénégalais à cette marche de « je suis Charlie » pouvait être regardée comme un acte qui légitime ou du moins qui approuve la caricature du prophète Mohammed (psl). D’autres comme moi, sans faire ce raccourci et faire un procès d’intention au Président sénégalais, ne pouvaient simplement pas comprendre le silence presque coupable des autorités africaines face au carnage perpétré par les terroristes de « Boko Haram » au Cameroun et au Nigéria. En effet, pendant que Paris était devenue le mur des lamentations et la capitale du monde libre, mes frères et sœurs du Nigéria ont subi pendant cinq jours un des massacres le plus abominable.

Seize villes ou villages comme la ville de Baga ont été enraillés de la carte par le groupe terroriste « Boko Haram » décimant ainsi de la manière la plus effroyable hommes, femmes et enfants. Amnesty International parle de 2000 victimes mais d’autres sources indiquent clairement qu’il pourrait s’agir de 4000 à 5000 victimes sans compter les déplacés. Le Président Macky Sall et certains de ses collègues africains ont semblé ignorer sinon négliger la tragédie africaine donnant ainsi la priorité aux vies occidentales.

Fort du soutien national et international, le journal « Charlie Hebdo » décide de sortir un numéro spécial le mercredi 14 janvier 2015. Ce numéro fut tiré jusqu’à presque cinq millions d’exemplaires et l’objectif au moment où je mets en ligne cet article est désormais de sept millions d’exemplaires. Jamais ce journal au bord du gouffre et de la faillite n’a eu autant d’audience et de retombés économiques avec une publicité gratuite. Ce numéro spécial qui a publié à sa page de couverture une caricature du prophète Mohammed est traduit en plusieurs langues, vendu dans plusieurs pays s’est arraché comme des petits pains. Mais au Sénégal, sur instruction du Président de la République Macky Sall, le Ministre de l’intérieur prit la sage et courageuse décision d’interdire la diffusion et la distribution « par tout moyen » de ce numéro ainsi que le journal « libération » qui avait repris ces caricatures.

De passage au Burkina Faso, le Président Macky Sall s’en est expliqué en ces termes : « Notre engagement auprès de la France dans la lutte contre le terrorisme reste constant mais, on ne peut pas au nom de la liberté de la presse, cautionner ou ne pas réagir contre des pratiques qui peuvent être des sources de tensions sérieuses sur l’ensemble de la planète. Il faut savoir que la liberté des uns s’arrête où commence celle des autres. Ceux qui croient à leur religion, il ne faut pas aller chercher des difficultés à leur prophète ou à leur croyance, ce qui ne permet pas une coexistence pacifique. C’est le sens qu’il faut donner à l’interdiction du journal Charlie Hebdo au Sénégal qui ne remet pas en cause notre soutien fraternel qui explique notre présence à Paris lors de la marche contre le terrorisme ».

Il faut dire que comme l’ancien Président Abdoulaye Wade, le Président Macky Sall a été surpris et s’est certainement senti trahi par le numéro spécial de « Charlie Hebdo » qui a décidé de remuer le couteau dans la plaie en caricaturant le prophète Mohammed (psl). Certaines autorités françaises et européennes ainsi qu’une partie de l’opinion publique occidentale étaient embarrassées par cette provocation gratuite. Le pape François s’en est exprimé en ces termes « Chacun a non seulement la liberté, le droit, mais aussi l’obligation de dire ce qu’il pense pour aider au bien commun. Il est légitime d’user de cette liberté mais sans offense. Si un grand ami parle mal de ma mère, il peut s’attendre à un coup de poing, et c’est normal. On ne peut provoquer, on ne peut insulter la foi des autres, on ne peut la tourner en dérision ».

Le directeur du quotidien « le New York times », Dean Baquet a interdit la reprise du numéro spécial de « Charlie Hebdo » avec la caricature du prophète Mohammed (psl) au motif qu’il proscrit la publication de tout ce qui est destiné délibérément à heurter les sensibilités religieuses.

Quoi qu’il en soit, par cet acte d’interdiction, le Président Macky Sall se conforme ainsi bon gré mal gré à la pression de son opinion nationale et montre à la France et à l’Occident que s’il partage avec eux certains principes humains et démocratiques, il doit aussi tenir compte des intérêts de son pays et de son opinion nationale.

Il faut signaler que ce n’est pas la première fois que le Président sénégalais Macky Sall rétro-pédale sous la pression de ces compatriotes. En effet, devant le tollé de critiques des sénégalais face à sa maladresse sur la dépénalisation de l’homosexualité, Le Président Macky Sall s’était ressaisi en faisant montre du même courage devant le Président américain Barack Obama en visite au Sénégal le 24 juin 2013 lorsqu’il s’est agi de répondre au souhait de son hôte de voir l’homosexualité dépénalisée au Sénégal. Sa réponse de l’époque fut courtoise mais ferme et audacieuse. Je la reproduis pour illustration : « La non-discrimination fait partie des principes généraux sur le respect de la personne que toutes les nations peuvent partager mais la question de l’homosexualité est fondamentalement une question de société. Il ne saurait y avoir un modèle fixe dans tous les pays. Les cultures sont différentes tout comme les religions et les traditions. Même dans les pays où il y a dépénalisation de l’homosexualité, les avis sont partagés.

Le Sénégal est un pays tolérant : on ne dit pas à quelqu’un qu’il n’aura pas de travail parce qu’il est homosexuel. Mais on n’est pas prêt à dépénaliser l’homosexualité. C’est l’opinion pour le moment, tout en respectant les droits des homosexuels. Nous ne sommes pas homophobes au Sénégal. La société doit prendre le temps de traiter ces questions sans pression. C’est comme la peine de mort, une question que chaque pays traite à sa façon. Nous l’avons abolie depuis longtemps. Dans d’autres pays (USA) elle s’impose parce que la situation l’exige. Nous respectons le choix de chaque Etat ».

Maintenant, il est temps que le Président sénégalais fasse preuve de beaucoup plus d’engagement, de détermination et de courage sur les questions africaines surtout dans la tragédie qui frappe nos enfants, nos frères et sœurs victimes de la barbarie de « Boko Haram » au Nigéria et au Cameroun. La même solidarité doit prévaloir face à la tragédie que continuent de connaître nos frères et sœurs victimes du virus d’Ebola en Guinée, au Libéria et en Sierre Léone. Sa décision de fermer notre frontière avec la Guinée était une regrettable bêtise.


Depuis Paris,
Cissé Oumar Sadio
Membre de la Fédération PDS de Paris.