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J'ai découvert ma force intérieure quand mon mari a mis fin à ses jours

Rédigé par leral.net le Samedi 13 Mai 2017 à 18:45 | | 0 commentaire(s)|

J'ai de la chance. En lisant mon histoire, vous penserez peut-être que non, mais je vous assure que je suis chanceuse.


J'ai de la chance.

En lisant mon histoire, vous penserez peut-être que non, mais je vous assure que je suis chanceuse.

J'ai 36 ans, et ma vie a été relativement facile et sans histoire durant 31 ans.

Mes parents s'aiment et sont encore ensemble, et ma sœur et moi sommes les meilleures amies du monde. Quand j'étais jeune, mes plus grandes inquiétudes étaient de savoir si j'allais trouver un travail et où sortir le samedi soir.

 

À 31 ans, j'ai découvert que j'avais un souffle au cœur depuis ma naissance. Personne ne l'avait détecté parce que j'étais en bonne santé et que mon corps s'en était accoutumé jusqu'à ce moment-là. Mais le problème a été réglé avec une opération chirurgicale, et je me sens maintenant bien mieux qu'avant.

 

J'ai rencontré l'amour de ma vie à trente ans passés, et nous nous sommes mariés. Aujourd'hui encore, je sais que c'est avec lui que j'ai connu l'amour le plus fort. Il s'appelait Rob, et il était l'homme le plus beau, le plus intelligent, mais aussi le plus exaspérant et le plus compliqué que j'aie jamais rencontré.

 

Il était journaliste scientifique et il m'épatait toujours par son humour, sa gentillesse envers les autres et son acceptation inconditionnelle de ma personne. Il me magnifiait, il faisait ressortir le meilleur de moi-même.

Mais il était aussi compliqué.

Rob souffrait de dépression depuis son enfance, et il était si réservé sur ce sujet que quand nous nous sommes rencontrés pour la première fois, je n'avais pas idée à quel point cette maladie l'affectait.

J'imagine que c'est en tentant de soigner sa maladie par lui-même (il avait aussi beaucoup de mal à reconnaître l'ampleur de sa dépression) que Rob était devenu toxicomane. Il me l'a caché pendant trois ans, avant de me l'avouer.

Le cœur brisé par son mensonge, j'ai tout de même compris pour la première fois, que tout dans la vie n'est pas noir ou blanc.

Elle passe en réalité par toutes les nuances de gris. Généralement, on apprend ça dans la douleur, mais tandis que la tristesse nous envahit, notre compassion et notre compréhension d'autrui augmente considérablement.

Elles n'en parlent peut-être pas, mais toutes les personnes autour de nous se fraient leur propre chemin dans la vie et, à un moment ou à un autre, s'arrêtent pour contempler leur vaste tristesse, leur honte ou leur bonheur.

En mai 2015, Rob a mis fin à ses jours.

Chacun de nous a son opinion sur le suicide, mais je sais qu'il ne l'a pas fait parce qu'il ne nous aimait pas ou ne se préoccupait pas de nous. Parce que s'il faut retenir une seule chose de lui, c'est qu'il aimait sans jugement ni réserve, et que même s'il était parfois difficile à vivre, il était facile à aimer.

Il est mort parce qu'il ne pouvait plus supporter le combat qui se déroulait dans sa tête, un combat qui durait depuis si longtemps.

Sa mort a anéanti tout ce que je pensais savoir. Tout ne fut qu'obscurité pendant un moment; je gisais au fond de mon propre océan.

Et puis, lentement, de minuscules rayons de soleil sont venus percer l'obscurité.

Je ne peux pas dire que ça a été facile. Le fait que je sois toujours là, que je n'aie pas succombé à mon propre chagrin, est la conséquence du travail le plus difficile de toute ma vie.

Les gens m'ont dit que j'étais forte, sûrement parce que j'ai repris le travail et que je ne suis pas devenue un zombie après le choc. J'ai profité de mon poste au HuffPost pour mettre en place une plateforme où les gens pourraient parler santé mentale, masculinité et suicide.

J'ai écrit un livre sur Rob et notre vie commune, parce que j'ai l'impression qu'une grande partie de ce qui l'obligeait à sauver les apparences, c'est que la dépression ou l'addiction sont taboues dans notre société. Sans parler du suicide.

Être qualifiée de forte est un compliment, et je préfère être considérée comme forte plutôt que faible. Mais j'ai une relation compliquée avec ce mot parce que, la plupart du temps, je ne me sens pas forte. Certains jours, je suis de nouveau au fond de cet océan, à me demander comment j'ai atterri là.

Le problème avec la peine, c'est que c'est un amour sans ancrage. La peine ne peut avancer, elle recule, s'étirant vers le passé parce que l'avenir avec la personne perdue, n'existe plus. Et quand on pense à la puissance de l'amour, puis qu'on comprend qu'il ne peut plus être, cela peut provoquer un immense chaos interne.

Quand Rob est mort, et que tout n'était que brouillard, feu et douleur, je ne me suis pas dit: "Je dois être forte." Je me fichais de ce que les gens pouvaient penser de moi. Mais même si je n'avais pas de plan, que mon seul but pendant des mois, était seulement de réussir à me lever et à me coucher, je m'accrochais à l'idée de la personne que je voulais être.

Je voulais être digne. Faire preuve de compassion. Si quelqu'un vivait la même chose que moi, je voulais être capable de lui tenir la main et de l'aider. Je voulais être le genre de personnes que mon mari voyait en moi, même si je n'y croyais pas vraiment moi-même.

La force intérieure n'est pas quelque chose d'inné. Je sais que je ne l'avais pas avant le suicide de Rob. Comment aurais-je pu? Je n'en avais pas encore besoin à ce moment-là.

Je l'ai acquise à la fois par chance et parce que j'ai dû me battre pour survivre. J'ai eu la chance d'avoir de vrais amis et une famille qui m'évitaient de boire la tasse quand une vague arrivait et que j'étais trop épuisée pour continuer de me maintenir à flots. Mais pour ce qui est de me battre, j'étais seule.

Chaque jour, il fallait mener ce combat. Et il le faut encore. Les victoires étaient tapies dans des centaines de petites décisions qui orienteraient ma vie et définiraient la personne que je commençais à devenir.

Si quelqu'un me demandait: "D'accord, mais qu'as-tu fait concrètement pour survivre à ça?" je ne pourrais lui répondre. Ce que je sais, c'est que j'ai dû continuer à faire les choses que j'aimais (travailler, courir et écrire), que j'ai appris à dire non plus souvent, et que j'ai compris que ce chagrin serait toujours avec moi, mais qu'il ne me submergerait pas en permanence.

Parce que la force intérieure est une capacité à voir le monde pour ce qu'il est et à s'y adapter: le monde change tout le temps, évolue, grandit. Il faut vivre dans le moment présent plutôt que de se demander sans cesse ce qu'il pourrait arriver de mal. Même si vous n'oublierez jamais ceux que vous avez perdus, la force qui bat dans votre cœur vous permettra de rester ouvert à toutes les possibilités.

source: HuffPost britannique