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Johnny Hallyday : pourquoi les familles se déchirent (souvent) lors des héritages

Rédigé par leral.net le Samedi 17 Février 2018 à 14:25 | | 0 commentaire(s)|

Au-delà de l'aspect économique, pourquoi la répartition de l'héritage est-elle régulièrement une expérience douloureuse ? Franceinfo a interrogé François de Singly, sociologue spécialiste de la famille.


Laeticia Hallyday et ses filles, Jade et Joy, à côté de Laura Smet et David Hallyday, aux obsèques de Johnny Hallyday, à Paris, le 9 décembre 2017. (LUDOVIC MARIN / AFP)
Laeticia Hallyday et ses filles, Jade et Joy, à côté de Laura Smet et David Hallyday, aux obsèques de Johnny Hallyday, à Paris, le 9 décembre 2017. (LUDOVIC MARIN / AFP)

A chaque disparition, les étapes se succèdent. Après les pompes funèbres, vient la mise en bière ou l'incinération, les salutations aux proches, le dernier verre tous ensemble. Puis, c'est le rendez-vous chez le ou la notaire, la lecture du testament et la répartition des biens, qui devient parfois un sujet de vives tensions, à l'instar des Hallyday.

Deux mois après la mort de Johnny Hallyday, ses enfants Laura Smet et David Hallyday contestent le testament qui les déshériterait au profit de sa veuve Laeticia Hallyday. Mais derrière cet inventaire économique et légal du patrimoine, se cachent aussi "des enjeux affectifs, identitaires extrêmement lourds", explique François de Singly, sociologue de la famille, chercheur au Centre de recherche sur les liens sociaux (Cerlis). Pourquoi l'héritage déchire autant les familles ? Quel sens a-t-il dans notre société ? Le chercheur répond à franceinfo.

Franceinfo : Pourquoi l'héritage occupe une place centrale dans nos familles ?

François de Singly : Dans les familles contemporaines, l'héritage a une place importante, mais pas forcément centrale. Historiquement, il était primordial car il signifiait l'accès au travail. Si mon père était boulanger, j'attendais qu'il meure pour hériter de sa boulangerie et travailler à mon compte. De la même façon, jusqu'à la fin du XIXe siècle, les parents se mariaient sans amour. Dans les familles bourgeoises, les enfants étaient élevés par les bonnes, les employés. L'héritage des parents était économique.

Depuis le début du XXe siècle, les familles transmettent via l'héritage leurs biens, mais aussi leur amour. Avec l'allongement de l'espérance de vie, les individus héritent plus tard, vers 50-60 ans, ils n'ont généralement plus autant d'attentes matérielles et le curseur se déplace sur l'affectif. La mort, c'est comme dans une séparation de couple. On fait un bilan. On se remémore ce que le défunt nous a donné durant son vivant, ce qu'on lui a partagé et puis finalement on découvre ce qu'il nous lègue. Cela peut être très violent. 

C'est la preuve que j'ai été aimé(e) par le ou la défunt(e), et comment je l'ai été par rapport aux autres membres de la famille.François de Singlyà franceinfo

Le droit français stipule pourtant que les enfants reçoivent l'intégralité des biens du défunt, sous réserve des droits de l'époux(se) survivant(e) ?

Oui, en France, depuis la Révolution française, le lien de filiation est central, bien plus que le lien conjugal. Les enfants héritent de façon égale de leurs parents. C'est pour ça que le cas de Johnny Hallyday surprend car l'épouse est en position "supérieure" par rapport aux enfants. 

Pour de nombreuses familles, le droit français évite au moins les conflits liés aux questions financières. Cependant, imaginez trois enfants dont les parents vieillissent et l'un d'eux s'occupe plus de son père et sa mère. Au moment du décès, tout le monde touche la même somme. La personne qui aura passé cinq ans de sa vie à s'occuper de ses parents n'aura légalement pas le droit de demander plus, mais cela peut être vécu comme une injustice. C'est pour ça que certains écrivent des testaments, pour anticiper ces arbitrages et distinguer leurs héritiers. Il ne faut pas oublier non plus que ces règlements se font souvent dans des moments où les personnes sont déstabilisées par la mort de leur proche, et cela peut exacerber les tensions.

On est sans cesse dans un conflit entre un principe d'égalité et un principe affectif. François de Singlyà franceinfo

Pourquoi accorde-t-on autant d'importance aux objets ?

Tous les objets que nous possédons ont un symbole, une histoire. Le père de mon épouse était un grand joueur d'accordéon, réputé. Lorsqu'il est mort, les frères et sœurs voulaient tous avoir l'instrument parce qu'il représentait la passion de leur père et l'image qu'ils avaient de lui.

On ne veut pas seulement un objet qui a appartenu à quelqu'un, on veut sa dimension affective. Il y a pleins d'objets, vieux vêtements et meubles, dont les héritiers ne veulent pas et qui finissent à Emmaüs. Si votre père tondait la pelouse par obligation, vous n'allez pas vous battre pour avoir la tondeuse. Mais si c'était un passionné de fleurs, peut-être qu'avoir le sécateur qu'il utilisait tous les jours sera un enjeu. Si on en revient à David Hallyday et Laura Smet, leur demande va dans ce sens. David Hallyday demande une guitare ayant appartenu à son père et Laura Smet a regretté de ne pas avoir hérité d'un disque dédicacé de la chanson Laura,écrite pour elle.

D'ailleurs, les héritiers ne veulent pas tous les mêmes objets. Ils veulent ceux qui correspondent à la relation et l'image qu'ils avaient du défunt. Je crois que la majorité des personnes ne sont pas obsédées par le montant de l'héritage mais par les symboles associés. 

Les enjeux de la transmission sont donc à la fois économiques et affectifs...

Et identitaires. Il faut que l'objet dont on hérite corresponde à notre identité actuelle. Je pourrais être très proche de ma mère fervente catholique, mais si je suis très éloigné de la religion et qu'elle me lègue son chapelet, je ne vais pas forcément le garder. Cela va me mettre mal à l'aise, il faut que l'objet soit conforme à ce que j’ai envie d’être aujourd’hui. De la même façon, un objet transmis entre deux générations sera peut-être complètement obsolète pour la troisième. Ce que ma mère va me laisser, ma fille n'en voudra peut-être pas ensuite, et le mettra en vente sur Ebay...

Aujourd'hui, l'héritage se transmet encore beaucoup par des logiques de genre. Hériter des bijoux d'une mère pour des filles et perçu comme "normal" mais moins pour les fils. L'héritage suit toujours des logiques de normes sociales.

Les familles aisées sont-elles plus concernées par ces conflits ?

Non, toutes les familles, mêmes les plus modestes, possèdent des objets. On se bagarrera peut-être davantage pour l'héritage économique, mais l'affectif compte tout autant. Vivre avec ses disparus, garder un symbole des défunts, concerne tout le monde. 

Au-delà de la répartition économique, pourquoi les héritiers peuvent-ils être en conflit ?

Dans certaines familles, il y a des enjeux de pouvoir qui étaient autrefois régulés par le droit. Il était normal à l'époque que les garçons héritent plus que les filles. Maintenant, celui ou celle qui hérite d'un bien, d'un objet très distinctif, ou à forte valeur, pourra être perçu comme supérieur(e).

L'enfant qui hérite de la propriété familiale sera perçu comme le ou la cheffe de famille, symbolisera la continuité des défunts et quelque part la lignée de la famille. C'est ce qu'on appelle "l'héritier affectif". Ce statut peut provoquer des querelles.

Pourquoi est-ce souvent plus difficile dans les familles recomposées ?

On questionne dans ces familles la légitimité des héritiers. Est-ce que les enfants d'un premier mariage sont plus légitimes que ceux d'un second ? Si je n'hérite pas, suis-je toujours légitime ? Ai-je donc été aimé comme les autres ? Dans le cas des Hallyday, j'imagine que le sentiment de Laura Smet, en dehors du leg économique, est peut-être d'avoir été oubliée par son père. Pour David Hallyday, il cherche sans doute à rappeler qu'il est vraiment le fils de Johnny Hallyday, même si ce dernier l'a peu éduqué. Ce sont des jugements moraux plus que légaux mais extrêmement lourds dans la construction de soi. 





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