Sur la corniche, en remontant vers le nord de la ville, je suis tombé sur la grande statue, - comment l’éviter ? Elle mesure 52 mètres de haut -, un monument pompeusement appelé la "Renaissance africaine". Au sommet d’une colline et d’un tumulus, énorme, en bronze et en cuivre, un homme de métal tend son bras vers l’Atlantique. Et comme il est très fort, il porte son bébé sur son biceps musclé et sa femme court-vêtue par la taille qu’elle a fine.
C’est gros, c’est laid, avec une tendance soviet suprême, gracieux comme un mausolée de Corée du Nord. D’ailleurs, la titanesque sculpture, moulée, a été conçue "par le président" avec l'aide d'un esprit roumain et réalisée par des ouvriers nord-coréens. Quant à l’esprit... Il s’agit de lancer la "Renaissance africaine", un concept flou qui devient plus précis quand les Dakarois y voient une statue à la gloire de Wade le président, Karim, le "bébé sur le biceps" et Viviane, sa femme.
La chose a quand même coûté 15 milliards de CFA, soit 23 millions d’euros. De quoi apporter de l’eau potable aux villages qui en manquent ou offrir quelques milliers de moustiquaires aux gamins qui, - encore aujourd’hui ! - meurent du paludisme dans ce pays. Pour nous consoler, le président Wade a fait installer un restaurant panoramique au sommet et promet que des centaines de milliers de touristes viendront visiter cette pompeuse horreur.
Tant d'efforts finissent par payer... Dakar s’est enlaidie sous Wade. On rase les vieux bâtiments coloniaux et on truffe les rochers de la corniche de monuments massifs au symbolisme douteux, de mosquées épaisses et sans grâce et de buildings en béton modèle années 1970.
Pendant ce temps, dans le centre-ville décati, on marche sur des trottoirs défoncés, encombrés de commerces ambulants, de mendiants et de cartons, entre les taxis déglingués et les berlines climatisées des nouveaux riches, le long de murs sales, de chantiers inachevés et de terrains vagues.
Dakar cultive le clinquant et le désolé, le trop d’argent et la pauvreté. La capitale s’obstine à vouloir perdre son charme colonial d’antan, affiche des envies démesurées d’une cité à la Dubaï et s’essouffle à la poursuite d’un lustre illusoire. La vision de l’architecture urbaine a au moins le mérite d’être cohérente avec le profond sens artistique des créateurs de la statue en bronze de la "Renaissance", un art massif, pompeux, enraidi et couteux. Bien du peuple d’Afrique.
Finalement, le vent de poussière a du bon, qui sait gommer les angles et masquer les perspectives. Témoin, au bord de la mer, perchée au sommet d’une butte, les formes élégantes d’une ambassade historique que la brume de poussière enveloppe comme un manoir fantôme surgissant des eaux profondes de l’Atlantique.