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Karim Wade, « Jack Bauer », en route vers 2017 ?

Avocat de l’État dans le procès de la traque des biens mal acquis, Me El Hadji Diouf, connu pour son impertinence, son indépendance d’esprit et sa liberté de ton, met les pieds dans le plat et demande la libération de Karim Wade, l’un des rares dignitaires du magistère de Me Abdoulaye Wade toujours détenu en prison pour enrichissement illicite. Coup de tonnerre dans le ciel serein du landerneau politique sénégalais. Cette sortie inattendue du tonitruant avocat nous offre l’opportunité de lever un coin du voile sur la personnalité de Karim Wade, détesté hier et adulé aujourd’hui par des franges importantes de la population.


Rédigé par leral.net le Mardi 26 Janvier 2016 à 00:18 | | 0 commentaire(s)|

Qui est cet homme qui fait l’actualité dans notre pays ? Brillant, sympathique et organisé pour les uns, cynique, ambitieux et froid, pour les autres, la personnalité de Karim Meïssa Wade ne cesse de diviser les Sénégalais depuis que son père a décidé de lui confier la Présidence du Conseil de Surveillance de l’Anoci, en juin 2004. Pourtant, ses proches sont formels : «Karim Wade n’a rien du fils à papa décrit à longueur de colonnes dans les journaux».

Un de ses amis raconte cette anecdote : «Un soir, Aly Bongo, alors ministre dans le Gouvernement de son père, qui le raccompagnait à la suite d’un dîner dans un restaurant parisien, a été surpris de le voir ouvrir la portière d’une Smart, cette toute petite voiture sortie pour la première fois en 1997 des usines du constructeur allemand Mercedes-Benz. Il s’est alors exclamé : « Karim, ne me dis pas que c’est ça ta voiture ! »». «Eh bien oui, cher ami», répond Karim Wade devant un Aly Bongo médusé.

Cet épisode illustre bien la personnalité de ce banquier d’affaires, titulaire d’un Diplôme d’études spécialisées en finance, qui travaillait jusqu’en février 2003 à la Banque d’Affaires « UBS Investment », anciennement « SG Warburg ». Responsable au sein du département « Corporate Finance pour les régions Afrique et Moyen Orient, il a conseillé de nombreux pays en Afrique » (Afrique du Sud, Algérie, Cameroun, Congo Brazzaville, Côte d’Ivoire, Guinée Conakry, Guinée Équatoriale, Mozambique et Nigeria), notamment dans des opérations de privatisation ou de restructuration d’entreprises publiques. Tout juste avant de rentrer au Sénégal, au début de l’année 2003, Karim Wade et ses équipes avaient structuré et mobilisé plus de 2.500 milliards de Fcfa pour le financement de deux pays du Golfe de Guinée.

Peut-être grisé par ses succès, l’enfant prodige, revenu au pays et nommé Conseiller Spécial du Président de la République, s’est très vite intéressé à l’agenda, aux nominations et communication de son père de Président, «au point d’influencer toutes ses décisions», selon ses détracteurs. L’image de Karim Wade derrière Macky Sall, qui venait juste d’être nommé Premier ministre du Sénégal, en remplacement d’Idrissa Seck, au mois d’avril 2004, est restée dans les mémoires. L’idylle entre les deux hommes a duré jusqu’à l’arrivée de Macky Sall à la tête de l’Assemblée nationale. Une fois l’ancien PM installé au perchoir, leur relation tourna rapidement à l’aigre, suite à la convocation de Karim Wade devant la représentation nationale pour s’expliquer sur la gestion des fonds de l’Anoci.

Toutefois, contrairement à une information largement répandue, ce n’est pas Karim Wade qui a pris l’initiative de refuser de répondre à la convocation de Macky Sall. Bien au contraire ! Confidence d’un fonctionnaire qui a vécu de près cette affaire : «Dès que Karim a reçu la convocation de l’Assemblée nationale, il a réuni ses principaux conseillers en leur demandant de préparer tous les dossiers pour être prêts à déférer à la convocation du Parlement, dans les 48 heures». Malheureusement, des députés de la majorité, qui avaient vu dans cette décision de Macky Sall une occasion de se débarrasser de lui, se sont empressés d’aller expliquer au Président Wade que Macky Sall voulait piéger son fils en instrumentalisant quelques parlementaires qui poseraient des questions en langue nationale wolof au président du Conseil de Surveillance de l’Anoci. On connaît la suite de l’histoire.

Doté d’une incroyable force de travail, Karim Wade passait plus de 16 heures dans son bureau du 16ème étage de l’immeuble Tamaro, au point d’être surnommé par ses collaborateurs « Jack Bauer », du nom du héros de la célèbre série américaine, «24 heures chrono». Ses ex-collaborateurs de l’Anoci et du Ministère du «Ciel et de la Terre» louent son esprit d’efficacité et son pragmatisme. Témoignage d’un cadre de la Senelec qui a travaillé avec lui dans le cadre de la mise en œuvre du plan Takkal : «Au bout de trois mois, il en savait presque autant que nous sur les questions énergétiques, et ses questions étaient si précises que certains de nos collègues redoutaient les réunions hebdomadaires de coordination qu’il présidait au Ministère».

Un prisonnier peu ordinaire

Incarcéré depuis avril 2013 à la prison de Rebeuss, l’ex-ministre du «Ciel et de la Terre» passe son temps entre la lecture de «xaïssades» (poème de son guide religieux, Cheikh Ahmadou Bamba), le sport, la rédaction du programme qu’il compte proposer aux Sénégalais à la prochaine Présidentielle, à laquelle il est plus que jamais convaincu de participer, quelle que soit la date retenue, et l’apprentissage accéléré du wolof. À cet égard, un marabout Mbacké-Mbacké, qui lui rend visite régulièrement dans sa prison, se dit émerveillé par les progrès réalisés par Karim. «Au début, il était engourdi lorsque je commençais à lui parler wolof. Mais aujourd’hui, c’est lui même qui engage la conversation» dans la langue de Kocc Barma, confie le chef religieux.

Fervent disciple mouride, l’attachement de Karim Wade à son guide spirituel Serigne Cheikh Sidy Mokhtar Mbacké, qui le lui rend bien, ne souffre d’aucune ambigüité. L’épreuve qu’il vit avec dignité renforce sa foi en Dieu et au vénéré fondateur du Mouridisme, Cheikhoul Khadim.

D’autres mettent l’accent sur la résilience hors norme dont il a fait montre, depuis trois ans qu’il est détenu. En effet, dans l’histoire politique récente du Sénégal, force est de reconnaître que c’est la première fois qu’un homme politique soit détenu aussi longtemps, sans demander un transfert au pavillon spécial de l’hôpital Le Dantec pour une maladie avérée ou imaginaire.

Accusé d’être un Français par ses adversaires politiques, dont certains lui dénient même le droit de se présenter à la Présidentielle, Karim Wade a pourtant toujours eu des relations heurtées avec les autorités du pays d’origine de sa mère, Viviane Vert. On se souvient de cette passe d’armes avec l’ex-ambassadeur de France au Sénégal, Jean Christophe Ruffin, lors d’un déjeuner avec les ambassadeurs de l’Union Européenne. Un participant à ce fameux déjeuner raconte : «Lorsque Karim a été interpellé par M. Ruffin sur la rationalité économique de l’implantation de la cimenterie Dangote au Sénégal, il a tout de suite répondu : « Monsieur Ruffin, si vos amis ne baissent pas les prix, ce ne seront pas trois, mais quatre cimenteries que vous verrez bientôt ». Le seul principe qui guide notre action dans ce domaine, c’est l’intérêt du consommateur sénégalais».

Cette intransigeance dans la défense des intérêts de son pays lui vaudra d’autres inimitiés, d’une part, des autorités françaises et occidentales en général, irritées de voir la place de plus en plus importante prise par les investisseurs arabes et asiatiques dans l’économie sénégalaise et, d’autre part, des autorités marocaines et belges, mécontentes de la décision de l’ancien «Ministre du Ciel» de renégocier les droits de trafic concédés aux compagnies aériennes « Brussels Airlines » et « Royal Air Maroc ».

Dakar, un hub pour les conférences internationales

C’est d’ailleurs pourquoi ses partisans se demandent qui de Macky Sall ou de Karim Wade est le plus intraitable, quand il s’agit de défendre les intérêts du Sénégal, par rapport aux intérêts français. Ils estiment qu’en quatre ans, Karim Wade, simple ministre, a fait beaucoup pour le Sénégal. Pour étayer leur affirmation, ils rappellent que leur poulain a radicalement changé le visage de Dakar, en y menant un important programme de construction d’infrastructures routières et hôtelières, qui font aujourd’hui de la capitale sénégalaise un hub pour les conférences internationales. Et ses adversaires ne peuvent même plus invoquer le coût exorbitant de ces infrastructures, quand on sait que la seule autoroute Ila Touba du Président Macky coûtera environ 400 milliards de Fcfa.

Même sur le terrain de la transparence, où Karim Wade a été souvent mis en cause, ils se disent prêts à soutenir la comparaison en indiquant que si Macky Sall prône la bonne gouvernance, Karim a donné la preuve de son attachement à la transparence. Aussi bien à l’Anoci qu’au Ministère, disent-ils, Karim a conduit ses chantiers, conformément aux règles et dispositions en vigueur et, plus particulièrement, des Codes des marchés publics de l’Administration, alors que Macky Sall a réalisé sa seule infrastructure (Centre de conférence Abdou Diouf de Diamniadio) et lancé son plus grand projet (autoroute Ila Touba), en recourant à des marchés de gré à gré.

Ce n’est pas un hasard, concluent-ils, si tout au long de son procès, pas une seule fois sa gestion à l’Anoci ou au Ministère n’a été mise en cause. Du reste, un des avocats de l’État dans la procédure qui a été initiée contre lui devant la Cour de Répression de l’Enrichissement Illicite (Crei), Maître El Hadji Diouf, en l’occurrence, a admis que Karim Wade n’avait détourné aucun centime des caisses du Trésor Public.

Enfin, dans le domaine de l’énergie, à peine 10 mois après avoir été nommé à la tête de ce département sensible, Karim Wade avait permis à la Senelec de passer de déficits de l’ordre de 200 Mégas Watts à des marges de 80 à 120 Mégas Watts.

Sorti de son procès pour enrichissement illicite avec la conviction d’avoir gagné la bataille de l’opinion, Karim Wade sera-t-il en mesure de transformer cet essai en prenant sa revanche sur son ex-frère ? Rien n’est moins sûr. Mais, à défaut de déloger lui-même Macky Sall d’un Palais qu’il connaît bien, Karim Wade peut incontestablement contribuer à faire battre l’actuel locataire de l’avenue Roume à la prochaine Présidentielle.

Le Président Macky Sall va-t-il le gracier après que la justice ait dit le droit ?

Privé de ses enfants, orphelins de leur mère, Karim Wade, candidat désigné du Pds, ne mérite-t-il pas aujourd’hui la clémence du président de la République? Les deux frères ennemis se retrouveront-ils un jour ? S’entendront-ils sur l’essentiel, en leaders politiques avertis, pour pérenniser l’œuvre de Me Wade et maintenir le Libéralisme au pouvoir pendant 50 ans, une prophétie du Pape du Sopi ? Ces questions qui agitent le landerneau politique plongent tous les observateurs dans une forêt de points d’interrogation.

Regards au Quotidien