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Khadim Bâ, Dg Locafrique: "Le ministre de l’Energie est en train d’avaliser un vol organisé à la Sar"


Rédigé par leral.net le Lundi 16 Avril 2018 à 12:30 | | 0 commentaire(s)|

Dans la vie, il y a ceux qui écrivent l’histoire et ceux qui la subissent. Khadim Bâ fait partie des premiers nommés. Homme de peu de mots, le jeune homme d’affaires sénégalais a fait du travail une religion, un sacerdoce. A 35 ans, le businessman a bâti un empire financier avec sa société, Locafrique. Une institution financière à caractère bancaire qui respire à… coups de milliards FCfa. Détenant 34% du capital de la Société africaine de raffinage (Sar), en attendant les 17% de l’Etat, comme stipulé par le contrat de substitution signé avec Ben Laden Group. Serein, posé et mesuré dans son propos, le patron de Locafrique dénonce la mafia organisée à la Sar et entretenue par le Directeur général et le ministre de l’Energie qui roulent contre les intérêts de la Sar et des actionnaires. De fracassantes révélations face à L’Observateur.

Monsieur Khadim Bâ, vous êtes jeune homme d’affaires sénégalais pas très connu de nom. Qui se cache derrière le personnage de Khadim Ba ?

J’ai 35 ans. Je suis marié et père de 3 enfants. J’ai fait le cycle primaire à la Cathédrale, puis le secondaire à la Jeanne d’Arc. Ensuite, j’ai fait mes études à Paris et à Hec Montréal où je me suis spécialisé dans le management des hydrocarbures. Je suis un jeune entrepreneur qui croit au Sénégal et à son avenir. Je crois en l’entreprise. C’est pourquoi toujours quand je parle aux jeunes gens, je leur dis de ne pas se focaliser sur l’argent ; mais sur leur projet, leur amour pour la chose et ils vont réussir. Ma passion, c’est d’entreprendre et surtout de réussir. Rien de grand ne se fait sans passion et volonté. J’aime les challenges et j’ai envie modestement de montrer aux jeunes de mon pays que notre pays est aussi une terre d’opportunités. J’ai commencé dans la vente de véhicules de luxe et aujourd’hui, je suis dans le crédit-bail et les hydrocarbures.

Comment est née Locafrique ?

On était dans la vente de véhicules. Mais, c’était difficile de trouver des clients, avec des véhicules qui coûtaient environ 60 millions FCfa, voire 70. On s’est donc dit qu’il fallait aider nos clients à faire des montages financiers. Pour moi, il faut créer et innover. Nous sommes dans la mondialisation, il faut faire un Benchmarking et adapter les bonnes solutions chez nous pour que les choses avancent. J’ai toujours pensé qu’il fallait défricher certains secteurs et non pas essayer de faire ce que tout le monde fait. C’est pourquoi Locafrique a investi massivement dans l’agriculture. Nous y avons déjà injecté des milliards, notamment dans le matériel agricole. Pour l’agriculture, on a réalisé plusieurs opérations dans le cadre d’activités concrètes, de levée de Fonds et de financements pour le compte de l’Etat.

Dans quel domaine intervient Locafrique ?

Locafrique est une institution financière à caractère bancaire. Dans le cadre des institutions financières, on a la banque, d’abord et les établissements à caractère bancaire. Ici à Locafrique, on fait le crédit-bail, la vente à crédit, les prêts financements et la levée de Fonds. Le secteur est porteur. On travaille beaucoup avec l’Etat et on a levé beaucoup de financements pour le Sénégal. L’année dernière, on a pu lever 300 millions d’euros (environ 200 milliards FCfa) pour l’Etat du Sénégal. C’était un financement en trésorerie. On intervient aussi avec l’Etat, dans le financement de projets.

Vous vous êtes révélé aux Sénégalais à la faveur de votre entrée à la Société africaine de raffinage (Sar). Comment Locafrique est-elle entrée dans le capital de la Sar ?

Quand je faisais mes études à Montreal, j’ai toujours pensé que Dakar avait tous les atouts pour être le Rotterdam de l’Afrique. Rotterdam est le plus grand hub pétrolier en Europe. Mon entrée dans le capital de la Société africaine de raffinage (Sar) s’explique par la confiance que j’ai en mon pays et mon rêve de faire de Dakar un autre Rotterdam. Ma vision est claire. Quand j’ai appris que Ben Ladin Group cherchait à vendre ses 34% depuis 3 ans, et n’arrivait pas à trouver d’acquéreur, je me suis lancé. Modestement, je pense que c’est un grand honneur que des Sénégalais puissent racheter des parts d’une des plus grandes entreprises du monde arabe.

Combien vous a coûté la transaction ?

Dans le cadre de l’achat des actions avec Ben Ladin, on devait se substituer au groupe qui avait pris des engagements avec l’Etat du Sénégal. Nous respectons tous nos engagements. Et quand on a manifesté notre intérêt, l’Etat nous a demandé de nous substituer au Groupe ben Ladin, c’est-à-dire respecter l’ensemble de ses engagements qui consistaient, entre autres, à pouvoir lever 60 millions d’euros (environ 40 milliards FCfa) pour lancer le programme de dégoulottage de l’entreprise. On a donc pris l’engagement. Le Groupe Ben Ladin nous a cédé ses 34%, l’Etat devait nous céder ses 17%, une fois le financement acquis. Locafrique devait ainsi être actionnaire majoritaire, à hauteur de 51%, selon les engagements pris avec l’Etat.

Est-ce que Locafrique a respecté ses engagements pris avec l’Etat ?

Bien sûr. On a respecté tous les engagements qu’avait pris le Groupe Ben Ladin avec l’Etat. On a apporté le financement des 40 milliards FCfa. On devait donc passer à la phase pratique, la mise en place du financement et commencer à restructurer la société, conformément à l’accord de substitution. Mais depuis lors, on remarque une volonté manifeste du ministre de l’Energie, qui a tout fait, depuis le début, pour torpiller ce processus. Avec des subterfuges, il a déjà torpillé le financement. Parce qu’au moment où on signait le contrat, il ne pensait pas qu’on pouvait lever le financement. Et quand on a consulté les différents partenaires, on s’est retrouvé avec plus de 566 millions d’euros (plus de 370 milliards FCfa) de financement. Ce que la Sar n’a jamais eu. On a tenu des réunions de Conseil d’administration pour pouvoir acter la mise en œuvre pratique, mais toujours rien. Je ne sais pas quelles sont les motivations du ministre Mansour Elimane Kane, mais il a tout fait pour que cela ne se fasse pas. Il fait montre d’une mauvaise volonté manifeste et nous en avons la preuve. (Il montre et ouvre les documents attestant ses dires). Et quand ces engagements ont été pris, Petrosen a levé son droit de préemption. On a finalisé le process, le 30 juin 2017 et payé 10 milliards FCfa au Groupe Ben Ladin. Aussi, nous avons déposé 5 milliards FCfa à la banque pour pouvoir acquérir les 17% de l’Etat qui devaient nous permettre d’être majoritaires. Tous ces engagements sont respectés et depuis lors, encore une fois, la mauvaise volonté du ministre sabote ce processus d’acquisition. C’est un scandale.

Mais, n’y a-t-il pas paradoxe ? Sinon, quel est l’intérêt du gouvernement de bloquer un projet qui lui rapporte ?

Un Etat ne peut pas s’engager et signer des accords et qu’un individu remette cela en cause, selon son humeur. Le ministre dit que le dégoulottage n’est pas nécessaire, ce qui n’est pas vrai, parce qu’on en a besoin. Le dégoulottage permet d’augmenter la capacité de la Sar. Le groupe Ben Ladin est sorti du capital, parce qu’il voulait une raffinerie à hauteur de 4 millions de tonnes. L’Etat a fait faire une étude, à la suite de laquelle, trois options ont été prises : maintien de la Sar en l’état, sans le programme de dégoulottage, maintien de la Sar avec un programme de dégoulottage, expansion de la Sar à 3 millions de tonnes. L’autre option consistait à la fermeture de la Sar qui serait transformée en un dépôt de stockage et une évolution pour un hub logistique. A l’époque, les majors voulaient fermer la Sar pour en faire l’une des plus grandes unités de stockage du continent africain. Mais, l’Etat ne voulait pas de ce scénario et a opté pour le maintien de la Sar, avec le programme de dégoulottage. C’était en 2013 et quand l’Etat a entériné son option, Ben Ladin est parti. Quand nous sommes arrivés, au lieu d’attendre les partenaires, nous avons apporté les 15%, levé les 46 milliards FCfa. Mais, au moment de commencer le programme de dégoulottage, le ministre s’y oppose, contrairement à la volonté du Gouvernement.

Comment le ministre peut-il influer sur la marche de la Sar qui est une société privée ?

Parce qu’il veut gérer la Sar par procuration, ce que nous n’accepterons pas. S’il veut être Directeur général de la Sar, il n’a qu’à envoyer son Cv, le conseil va l’examiner. S’il a des idées, il n’a qu’à les faire passer par Petrosen. Il est temps de revenir à l’orthodoxie dans la gestion. Vous voyez ce qu’est devenue la Senelec, quand l’orthodoxie est revenue.

D’après vous, pourquoi le ministre agit de la sorte ?

C’est pour un objectif financier et il pense qu’il faut une nouvelle raffinerie.

Le ministre n’agit-il pas sur instruction du président de la République ou est-ce le Gouvernement qui a changé de fusil d’épaule ?

Je suis catégorique. Le Président est connu pour être un homme juste et il a donné des instructions fermes pour l’application des recommandations. Il y a des risques sérieux à la Sar, sur l’emploi et les pères de famille qui y travaillent. Ce n’est pas responsable.

«Le déficit de la Sar n’existe que de nom, il n’est pas réel»

Pourquoi avoir consenti ces investissements colossaux, alors que la Sar a toujours été déficitaire ?

Le déficit de la Sar n’existe que de nom, il n’est pas réel. C’est de la mauvaise gouvernance. La Sar est la première société en cash du pays. C’est 400 milliards FCfa de chiffres d’affaires. On ne peut nous dire que cette structure-là fait des problèmes. Avec des monopoles de certaines importations et l’énergie dont tout le monde a besoin, la Sar ne peut pas être déficitaire. Concrètement, il y a des détournements qui sont en train d’être opérés au niveau de la Direction générale de la Sar.

Vous détenez 34% du capital de la Sar. Quelles sont vos relations avec sa Direction générale ?

Je n’ai aucune relation avec la Direction générale de la Sar. Il y a des fautes de gestion qui ont été faites, le Directeur général va impérativement partir. Le Conseil d’administration a, à l’unanimité, décidé, le 23 décembre, de le changer. C’est le Conseil qui ne veut plus de lui. Il a dissimulé un contrat au Conseil d’administration et nous a donné de faux chiffres. Depuis 2009, la Sar a le soutien de l’Etat, à travers le Fonds de sécurisation de l’importation des produits pétroliers (Fsip), qui tourne autour de 17 milliards FCfa, par an. L’Etat l’avait créé pour payer la dette de différentes banques. Cette dette-là est entièrement payée, elle est donc finie depuis 2016. Paradoxalement, jusqu’à la date d’aujourd’hui, la Sar est déficitaire, tout en ne payant pas cette dette-là supportée par les consommateurs sénégalais. Donc pendant deux ans, la Sar ne paye plus cette dette-là, et paradoxalement, elle encaisse toujours la taxe et déclare faire des pertes. La Sar a signé un contrat de brut avec la compagnie Oryx Sa, sans appels d’offres. Un marché à hauteur de 400 milliards FCfa, avec des clauses léonines. Car au lieu d’acheter à 100, on achète à 150. Et dans le cadre de l’exécution, on passe de 150 à 210. Il y a une surfacturation manifeste. Aujourd’hui, c’est ce qui est à l’origine d’un gap de trésorerie. D’où les difficultés dont on parle aujourd’hui. En 2017, la Sar a acheté 22 milliards FCfa plus cher. Dans le cadre de l’exécution, il y a 16 milliards FCfa de surfacturation. Alors que tout cela aurait pu être un gain, en plus de ce que l’Etat donne. Ce sont des fautes de gestion, pour ne pas dire un pillage organisé.

Et quelles sont les explications que donne le Directeur général ?

Paradoxalement, le Directeur général ne donne aucune explication à son Conseil d’administration. Pour lui, son autorité de tutelle, c’est le ministre. Ce qui est faux. L’Etat est actionnaire, comme tout le monde. La Sar est une société privée, avec un Conseil d’administration qui est l’organe de gouvernance de la structure. Moi, je n’accepte pas cela et n’avalise pas ces choses-là. C’est ma position. Petrosen a 46% et Locafrique 34% du capital de la Sar, donc le tiers bloquant.

Qu’est-ce que l’Etat attend pour reverser les 17% à Locafrique ?

Je ne sais pas, mais le ministre le sait. Les syndicalistes disent qu’ils étaient contents, quand ils ont appris que la Sar a été reprise par des Sénégalais, mais aujourd’hui, il y a des problèmes. Effectivement, il y a des problèmes, parce qu’on veut que les choses changent. Concrètement, c’est du vol qui est en train d’être opéré à la Sar. Et on nous demande de légitimer ce vol. J’ai dit non.

Mais avez-vous des armes pour combattre ?

A la date d’aujourd’hui, il y a un gap de trésorerie attesté de 40 milliards FCfa à la Sar. Le Directeur général justifie ce gap par des pertes commerciales. Ce qui est faux. Il essaye de faire payer ça à l’Etat, mais le ministère des Finances, qui n’a pas été dupe, parce que représenté au conseil, a refusé de payer. Je m’en réjouis d’ailleurs, parce qu’on ne peut pas prendre l’argent public pour compenser un vol dans une société privée. Les pertes commerciales ne sont appliquées que sur l’importation de produits finis. Sur le Brut, il ne peut y avoir de pertes commerciales. Je ne comprends pas pourquoi le ministre de l’Energie, qui doit sauvegarder les deniers publics, soit en train d’avaliser cela. Encore une fois, ce ne sont pas des pertes commerciales. Ce gap-là est dû au contrat d’approvisionnement signé avec Oryx. Où on achète à des montants excessifs et cela crée forcément un gap.

Aujourd’hui, Locafrique porte ce combat, alors que vous n’êtes pas seuls membres du Conseil d’administration. Quelle est l’attitude des autres actionnaires ?

Les autres actionnaires ne demandent que le retour à l’orthodoxie. Que le ministre sache qu’il n’est pas l’autorité de gouvernance. C’est le Conseil d’administration. L’intervention intempestive du ministre crée tous ces problèmes. Dernièrement, le Directeur général de la Sar vient en Conseil d’administration et signe un contrat de 8 cargaisons, dans les mêmes conditions. On est dans une situation où on veut décourager l’investisseur et pénaliser la Sar. Et derrière, on est en train de légitimer tout cela.

Ne soupçonnez-vous pas qu’il y ait d’autres puissances derrière pour vous décourager ?

Oui. Parce qu’il est arrivé que des structures, dont je tairai les noms, m’aient proposé de leur revendre mes parts. Mais, j’ai refusé. Je vais tenir. J’ai parlé avec les syndicalistes et leur ai dit de ne pas lâcher. A un moment, j’ai failli prendre mon argent et partir, mais je me suis dit que ce serait quand même facile d’abandonner.

Le Conseil a, à l’unanimité, décidé du départ du Dg. Mais pourquoi persiste-t-il à rester ?

C’est parce que le ministre est en train de tout faire pour qu’il reste, malgré les fautes de gestion, le vol. Il y a une connivence manifeste entre le ministre et le Dg. Un Dg qui se permet de signer un contrat de 400 milliards FCfa, sans informer son Conseil d’administration, avec des surfacturations qui dépassent tout entendement et il est appuyé par un ministre de la République dans ce vol, c’est grave. J’ai dit au ministre que j’allais dénoncer ce contrat de 400 milliards FCfa. J’ai envoyé une sommation interpellative au Dg pour lui demander s’il avait signé, mais il a nié les faits. Et pourtant, nous avons une copie du contrat de 8 cargaisons. Donc, il n’a pas dit la vérité. Tous les contrats doivent être approuvés par le Conseil d’administration, et ce n’est pas le cas. Quand ils n’ont pas d’arguments, ils essayent d’amener le débat sur le terrain politique, en disant qu’on veut la tête du Dg. Moi, je n’ai pas de problèmes avec lui, on veut que les choses soient claires. La Sar a un problème de gouvernance et de management et de non de liquidités. Le gap de trésorerie est le cumul de tout ça.

Allez-vous ester en justice ?

Nous allons dénoncer le contrat, on va ester en justice. Parce que des fautes de gestion concrètes ont été faites. On va prendre des dispositions juridiques pour que le Dg et les gens qui ont participé à faire ces factures-là, s’en expliquent. Toutes ces choses-là sont en train de se faire avec l’aval du ministre de l’Energie. Il a convoqué une rencontre, le mardi 17 avril dernier, pour nommer un Dg et un président de Conseil d’administration, je lui ai dit que la Sar n’est pas une société publique, mais privée. Le poste de Pca, je ne le donne pas, je vais le prendre, moi Khadim Ba. Parce que je veux restaurer la souveraineté du Conseil d’administration. Nous avons déjà trouvé un Dg de consensus, mais pour le moment, on tait son nom. Je ferai face à tout ce qui va à l’encontre des intérêts de la Sar.

IBRAHIMA KANDE ET NDIAGA NDIAYE  GFM