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L’Etat islamique, fruit des contradictions de l’Orient et de l’Occident


Rédigé par leral.net le Dimanche 20 Novembre 2016 à 14:29 | | 0 commentaire(s)|

 
Un an après les attentats qui ont endeuillé la France, il convient de revenir sur ce qui, historiquement, a permis l’émergence du groupe terroriste.
 
De quoi résulte le 13-Novembre ? De manière aisée, nous pourrions répondre par l’évidence : de l’existence du groupe Etat islamique (EI), commanditaire et ordonnanceur des attaques semble-t-il, qui, armant le bras de jeunes Européens majoritairement (Belges ou Français), a frappé la capitale française. Ce récit qui n’épuise en rien la douleur de tels événements, amène à réfléchir sur ce phénomène qui capte tous les fantasmes actuellement, appelant nos hommes politiques à parler de « guerre ». De quoi les attaques de l’Etat islamique sont-elles le nom ?
 
D’abord, il faut le rappeler, la matrice irako-syrienne explique la genèse et l’expansion de ce groupe. Que celui-ci vienne de Rakka en Syrie et non du Sinaï, du littoral libyen ou du Nigeria, est symptomatique du phénomène politique auquel nous faisons face. Il est le fruit de trois contradictions conjuguées, contradictions d’Orient, contradictions d’Occident, contradictions des relations d’Orient et d’Occident.
 
Les premières contradictions dites d’Orient sont centrales pour comprendre l’Etat islamique. La présence en Irak et en Syrie d’un pouvoir baasiste a conduit les autorités à fragmenter, confessionnaliser, diviser, épuiser les ressources de leurs sociétés pour se maintenir au pouvoir.
 
Répression terrible
 
L’Irak de Saddam Hussein et la Syrie des Assad partagent ce trait : au nom de la survie des dirigeants, la destruction matérielle du pays est légitime, qu’elle soit le fait d’une guerre contre l’Iran, puis contre une vaste coalition internationale, ou qu’elle soit le fait du pouvoir lui-même comme dans le Kurdistan, dans le Sud irakien et dernièrement sur l’ensemble du territoire syrien.
A cet anéantissement matériel répondent des politiques plus sournoises qui ont systématiquement nié des composantes de la population et incité chaque groupe à se définir en fonction d’une identité confessionnelle. Au prix d’une répression terrible, le très fort appareil policier pouvait alors gommer ces multiples fractures des sociétés, plongées dans le désert de la tyrannie.
Et pourtant, en 1991, un premier soulèvement massif ébranle le régime de Saddam Hussein, mais l’Occident préfère ne pas voir et plonge dans l’oubli les centaines de milliers de morts qui osèrent défier le dictateur. Sans autoritarisme, point d’Etat islamique…
 
Anti-impérialisme
 
Cette première matrice a connu un point d’inflexion unique en Irak, lorsque George W. Bush décide, à froid, l’invasion du pays (le 20 mars 2003), la destruction du régime et la mise en place d’une démocratie qui se veut participative mais qui reproduit les clivages confessionnels et ethniques.
Cette guerre, faite en méconnaissance totale des réalités locales, ne rencontre à aucun moment les aspirations d’un mouvement populaire comme celui de 1991. Les acteurs locaux se saisissent des institutions pour exclure de nouveaux groupes sur le mode de la vengeance. Les contradictions d’Orient rencontrent une absence totale de compréhension de notre part.
 
Au terme d’une décennie de présence américaine, un groupe djihadiste émerge de la nébuleuse insurrectionnelle irakienne, captant aisément à son profit l’anti-impérialisme, le combat contre l’occupant et la frustration dans laquelle sont placées les populations sunnites grâce aux nouvelles lois antiterroristes. C’est l’Etat islamique d’Irak.
Pourtant, en 2011, un espoir est né, à l’Ouest, du soulèvement des populations syriennes contre une tyrannie. Mais, cette fois, l’Occident se détourne de peuples qui ne veulent pas répondre à ses questions (quelle constitution, quel mode d’élection) pour les laisser se faire massacrer par tout un appareil militaire.
 
Migration armée
 
Ce second oubli ouvre une brèche à l’Etat islamique, qui peut alors universaliser son message : il devient celui contre qui l’Occident se bat alors que la région est plongée dans la tourmente de la guerre, que la majorité de la population est laissée en proie aux milices ou aux unités d’élite qui écrasent l’élan populaire sous une pluie de barils de TNT.
 
La troisième contradiction intervient ici. En Europe et dans le monde arabe, de l’Atlantique au Zagros, principalement, des petits groupes trouvent dans ce message un appel qui fait sens. Que ce soit pour pratiquer des violences sans nom, que ce soit pour défendre leurs frères, que ce soit pour une utopie, que ce soit enfin pour braver un ordre social qui les rejette localement, ces jeunes (principalement) se mettent en route et débutent une grande migration armée.
La Syrie devient vecteur de sens, occupe un imaginaire de plus en plus important, prend place dans les discours pendant les promenades en prison, apparaît comme la destination vers laquelle les nouveaux venus menacent de partir. Le paradoxe veut que la réponse guerrière entraîne une confrontation de nationaux déplacés en Syrie et en Irak : Français contre Français, Américains contre Américains, etc., se battent par fronts interposés, aggravant d’autant les dégâts pour les sociétés locales meurtries.
 
Pas de solution simple
 
Un an plus tard, ni nos contradictions internes, celles qui touchent à nos appareils d’enfermement, producteurs de radicalité, à nos discours stigmatisant certains, en oubliant d’autres, ni les contradictions de nos rapports à un Orient en tourments n’ont fait l’objet d’un large débat, qui doit prendre la mesure des difficultés.
Pour le moment, la bataille de Mossoul est lancée sans qu’on sache si elle empêchera un drame humanitaire, si elle empêchera le renouveau de divisions locales, si elle autorisera un plan politique à se mettre en œuvre.
A l’heure d’une importante échéance électorale, ne faudrait-il pas s’avouer haut et fort qu’il n’y aura pas de solution simple, de réponse de cow-boy, mais bien des entreprises prenant du temps et supposant une profonde remise en cause de notre façon de penser. C’est à ce prix que d’autres 13-Novembre pourraient définitivement s’éloigner.
 
 
Par Matthieu Rey, historien,
maître de conférences au Collège de France
 (chaire d’histoire contemporaine du monde arabe)