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L’altérité que Cheikh Ahmadou Bamba incarne dérange toujours l’Occident - Par Khadim Mbacké


Rédigé par leral.net le Vendredi 5 Février 2016 à 12:40 | | 16 commentaire(s)|

L’altérité que Cheikh Ahmadou Bamba incarne dérange toujours l’Occident - Par Khadim Mbacké
« Tiens, pourquoi il porte une robe, lui ? »

Pour tenter de méditer sur cette phrase interrogative, j’ai pris la culture comme cadre de réflexion. En effet, je crois dure comme fer que ce qui dérange le plus l’Occident en la personne de Cheikh Ahmadou Bamba, c’est le fait qu’il incarne une altérité. C’est pour cela, Damien Glez tente de ridiculiser le Kaftan, représentant toute une identité culturelle, porté par Khadimou Rassoul. Le monde tel que le conçoit l’Occident s’impose comme un système universel en dehors duquel il devient impossible d’évoluer. Par conséquent toute altérité constitue un crime de lèse-majesté. Pour ce faire, je vous propose un retour en arrière, soit 2 siècles auparavant pour découvrir comment les Européens voyaient les Africains. En effet, il y avait au sein des français trois groupes qui prédominaient, à savoir les philanthropes, les racistes et les Républicains.

Tout d’abord, les philanthropes et les missionnaires développaient des idées assimilatrices et conversionnistes selon lesquelles les Noirs ne pourraient être sauvés que s’ils adoptaient le christianisme occidental. De plus, leur conversion au christianisme leur permettrait de combler leur retard en rattrapant l’Europe. Ils refusent de leur reconnaître une altérité ou du moins on pensait que leur arriération allait cesser avec la christianisation.
Quant aux racistes, comme de Gobineau, ils considéraient que le Noir se situe dans la catégorie des animaux et qu’il ne serait jamais civilisé.

Contrairement aux missionnaires et philanthrope, Ils soutenaient que la religion chrétienne ne devait être considérée que comme un moyen pour faire accepter aux Africains leur situation d’arriération comme on utilisait cette religion en France pour maintenir les pauvres dans le calme. Par ailleurs, Paul Leroy-Beaulieu affirme qu’il est du devoir des peuples modernes « ne pas laisser la moitié du globe à des hommes ignorant et impuissants ». Proudhon, soutenant une possibilité de dompter les Noirs, remarque que « tout ce que nous avons à faire, nous, race supérieure vis-à-vis des inférieures, c’est de les élever jusqu’à nous, c’est d’essayer de les améliorer, de les fortifier, de les instruire et de les ennoblir ».

Enfin, les Républicains, à l’exemple d’Edmond Louveau qui fut administrateur supérieur de la Côte d’Ivoire au cours des années 1930, pensaient que les Noirs étaient si arriérés qu’ils ne pouvaient pas accéder aux idées abstraites diffusées par l’Occident. Pire, Lévy-Bruhl dit que les Noirs ne pouvaient jamais comprendre le christianisme qui est une religion dont le dogme et la moralité sont trop élevés pour leur compréhension. Il dit qu’il fallait donc du doigté dans la diffusion du christianisme pour ne pas déstabiliser et démoraliser les sociétés africaines.

Les philanthropes, les racistes et les Républicains insistait tellement sur ces idées que certains Africains finissent par croire que l’image que l’Europe leur donne leur correspond réellement. Ainsi, Cheikh Anta Diop dénonce « Il est fréquent que des Nègres d’une haute intellectualité restent victimes de cette aliénation au point de chercher de bonne foi à codifier ces idées d’une prétendue dualité du Nègres sensible et émotif, créateur d’art, et du Blanc fait surtout de rationalité ».

Mais l’égyptologue prône le pardon sous prétexte que les poètes de la « négritude » « n’avaient pas à l’époque les moyens scientifiques de réfuter ou de remettre en question de pareilles erreurs ». Donc ils ne pouvaient que répéter ce qu’ils ont appris dans la bouche des Blancs, à savoir l’incapacité de l’homme noir de créer une civilisation et une culture. Léopold Sédar Senghor soutient que « l’émotion est nègre et la raison hellène » ; au même moment Aimé Césaire qualifie les Noirs comme : « Ceux qui n’ont inventé ni la poudre, ni la boussole ; ceux qui n’ont jamais su dompter ni la vapeur, ni l’électricité ; ceux qui n’ont exploré ni la mer ni le ciel». Le mérite de Cheikh Anta Diop est de briser ce mythe que l’Europe cherchait à perpétuer éternellement. Ses découverts ont fini par lui valoir les éloges de Léopold Sédar Senghor : « Le professeur C.A Diop a, plus que tout autre Africain, établi méthodiquement, scientifiquement que les Egyptiens, c’est-à-dire les fondateurs, avec la première écriture, de la première civilisation digne de ce son étaient des Nègres ».

Si Chiekh A. Diop a réussi à détruire le mythe, c’est qu’il avait été influencé par la doctrine du mouridisme dont l’un des missions du fondateur était de redonner confiance à l’homme noir. C’est pour cela que Cheikh Ahmadou Bamba rectifie en disant que « la noirceur de la peau ne peut en aucune façon être un signe d’idiotie et un manque d’intelligence ». Par ailleurs, dénonçant la peur des Noirs pour les Européens, Khadimou Rassoul dit : « Il y a parmi eux (les Noirs) qui, quand ils voient un Européen, le considèrent comme un ange venant de Dieu ». Cette peur dont Serigne Touba parle est dénoncée aussi par Aimé Césaire dans Le Discours sur le colonialisme : « Je parle de million d’homme à qui on a inculqué savamment la peur, le complexe d’infériorité, le tremblement, l’agenouillement, le désespoir… ».

C’est cette altérité, incarnée par le serviteur du prophète, qui dérange plus d’un et surtout l’Occident, qui après avoir vaincu le communisme, voit dans l’islam son seul protagoniste. C’est pour cela la phrase de Damien Glèz, « Tiens, pourquoi il porte une robe, lui » constitue plus une attaque à la culture et à l’identité sénégalaise qu’une atteinte à la religion musulmane. Même si le discours suprématiste Blanc était plus cru durant la colonisation, l’Europe nous regarde toujours de haut. Rappelons le Discours de Nicolas Sarkozy à Dakar où il défini l’Africain comme étant un homme qui n’est pas « assez entré dans l’histoire ». Quand on analyse également le discours de François Hollande à l’endroit des Africains, on peut dire que c’est le même. Un jour, un journaliste lui a demandé ce qu’il pensait des manifestations africains qui brûlaient le drapeau français. Dans sa réponse, Hollande a dit : « il faut les punir ». Je crois qu’il n’oserait pas utiliser le mot « punir » à l’endroit des manifestants français, américains ou européens. Ceci montre que la France adopte toujours une attitude paternaliste avec l’Afrique. Nous devons répondre qu’on a le droit d’être différent, qu’on a le droit de rester nous-mêmes, qu’on a aussi le droit de nous prémunir contre toute dépravation et toute corruption de notre religion et notre identité culturelle.

Khadim Mbacké fils de Serigne Abass, Khalife de Darou Mouhty