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L’état civil au Sénégal : Problématique et enjeux

Kédougou a été choisi cette année pour lancer les activités de l’édition 2015 de la Semaine Nationale de l’Ecole de Base (SNEB) du 1er au 08 juin. Ce choix n’est guère fortuit. D’après la COSYDEP (Coalition des Organisations en Synergie pour la Défense de l’Education Publique), dans les localités de Matam, Kédougou et Tamba, il y a environ 5000 élèves qui risquent de ne pouvoir passer l’examen d’entrée en 6ème, parce que ne disposant pas d’acte de naissance.


Rédigé par leral.net le Lundi 8 Juin 2015 à 08:52 | | 0 commentaire(s)|

L’état civil au Sénégal : Problématique et enjeux
Au delà de ces trois localités, l’UNICEF évalue à 50000 (cinquante mille), le nombre d’apprenants qui ne disposeraient pas d’état civil, sur toute l’étendue du territoire national. C’est dire que c’est une question d’une brûlante actualité et qui interpelle toute la nation, d’où le thème de la SNEB de cette année : «L’état civil au Sénégal : problématique et bonnes pratiques. »
En Afrique, malgré les efforts visant à promouvoir la déclaration universelle des naissances, la déclaration de tous les enfants à la naissance demeure un défi colossal.

La Convention internationale des Droits de l’Enfant a été adoptée par l’Assemblée générale des Nations- unies, le 20 novembre 1989. Entrée en vigueur le 02 septembre 1990, elle a été ratifiée par le Sénégal, le 31 juillet 1990. C'est dire qu’au plan juridique, des instruments existent et qui insistent sur la nécessité d’accorder une protection spéciale à l’enfant défini comme « tout être humain de moins de dix huit ans » (sauf si la loi nationale accorde la majorité plus tôt). Entre autres instruments, on peut citer la Déclaration de Genève sur les Droits de l’Enfant de 1924, la Déclaration Universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948 ; le Pacte international relatif aux droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels, la Charte africaine sur les droits et le bien être de l’enfant…

Tous ces instruments juridiques reconnaissent à tout enfant, sans exception, un certain nombre de droits inaliénables, et l’obligation pour tout Etat, de protéger l’enfant contre toute forme de discrimination, en prenant des mesures positives pour favoriser le respect de ses droits. L’enfant, en raison de son manque de maturité physique et intellectuelle, a besoin d’une protection spéciale, notamment d’une protection judiciaire appropriée, avant comme après la naissance.

Parce qu’il n’a pas demandé à naître, tout enfant qui vient au monde doit être enregistré dés sa naissance, avoir un nom et acquérir une nationalité, et dans la mesure du possible, connaitre ses parents et être élevé par eux.

Dans le monde d’aujourd’hui, marqué par l’éclosion du savoir devenu une force productive directe qui détermine le niveau de développement d’un pays dans tous les domaines, il est inacceptable que des enfants viennent jusqu’en classe de CM2, sans disposer d’actes d’état civil. Or l’état civil, pour tout être humain, constitue son premier acte d’identification, qui va de la naissance à la mort. C’est dire que la question de l’identité est fondamentale en ce qu’elle accompagne l’individu dans tous les actes de la vie. Pour avoir une carte nationale d’identité la personne doit d’abord produire un acte d’état civil. C’est la carte nationale d’identité qui lui permet de pouvoir disposer d’autres pièces telles que le permis de conduire, le livret militaire, le passeport... Même pour enterrer un individu dans un cimetière, l’identité de cette dernière doit être déclinée à travers la production d’un permis d’inhumer.

C’est dire que l’enregistrement officiel de la naissance est un droit humain fondamental et un moyen essentiel de protection de son identité. La déclaration de naissance, constitue la preuve formelle de l’existence de l’enfant et contribue à le protéger contre la vulnérabilité, l’exploitation et les abus de toutes sortes, surtout au sein des groupes marginalisés. Bien plus, elle ouvre à l’enfant la porte pour l’accès aux soins de santé, à l’éducation et à de nombreux services sociaux de base. Elle contribue aussi à l’égalité des genres et à l’égalité de traitement entre les garçons et les filles.

Mais au delà de la tragique question scolaire que l’enquête de la COSYDEP a le mérite de révéler, parce que risquant de frapper injustement des milliers d’élèves des localités les plus défavorisées, l’enregistrement des naissances pose une problématique qui interpelle l’Etat. La maîtrise de l’état civil est une question d’enjeu national capital, car elle conditionne les facteurs qui influent sur le développement économique et social. Tout pays a besoin de disposer de données démographiques fiables. Celles-ci permettent d’élaborer une politique de planification stratégique à court, moyen et long terme. Sans la maîtrise de ces données, il ne saurait y avoir de visibilité et de lisibilité dans la mise en œuvre des politiques, projets et programmes de développement.

De façon plus fondamentale, l’enregistrement à la naissance pose la question de la citoyenneté active et participative, qui fait de l’enfant d’aujourd’hui le citoyen de demain pleinement conscient de ses responsabilités et de ses devoirs et apte à apporter sa contribution à la construction de la nation. Comme le fait observer l’article 29 de la Convention Internationale des droits de l’enfant : « L’éducation doit viser à favoriser l’épanouissement de la personnalité de l’enfant, le développement de ses dons et de ses aptitudes mentales et physiques dans toute la mesure de ses potentialités. Elle doit préparer l’enfant à une vie adulte active dans une société libre et encourager en lui le respect de ses parents, de son identité, de sa langue et de ses valeurs culturelles, ainsi que de la culture et des valeurs d’autrui. »

C’est ici le lieu de se féliciter des nombreuses et multiformes initiatives d’acteurs et partenaires engagés dans la protection de l’enfance et acquis à la cause de l’éducation, pour relever les défis liés à la déclaration des naissances , par une appropriation nationale et communautaire, en vue de sa prise en charge efficace, systématique et pérenne. Parmi les actions alternatives qui complètent celles de l’Etat et des collectivités locales, on peut citer :

• La déclaration des naissances via le téléphone mobile, avec l’ONG Aide et Action international qui intervient dans la région de Kolda, et qui a fait 100% des naissances déclarées dans les villages concernés.

• L’organisation « Education et Développement de l’enfant »(EDEN), qui a mené en 2009 dans la banlieue de Dakar une campagne pour l’enregistrement des naissances dans 10 (dix) collectivités locales.

• L’association sénégalaise de coopération décentralisée (A.SE.CO.D) et la Fondation Konrad Adenauer, qui ont lancé une Bande dessinée éducative de 12 pages Afrique Citoyenne sur le thème « Etat civil : l’utilité de la déclaration de naissance ».

• L’enregistrement des naissances à base communautaire réalisé par world Vision à Vélingara et Kolda, et qui a réalisé une étude juridique des textes et lois en matière d’état civil, en relation avec le Tribunal Régional de Kolda .

• Les Comités de Gestion Communautaire (CGC) établis dans les communautés partenaires de l’ONG Tostan, et qui se sont illustrés par les efforts entrepris pour faciliter, encourager et accroître les taux d’enregistrement des enfants à la naissance.

• Les cahiers des gouvernements scolaires (l’enfant pour l’enfant) avec la COSYDEP, qui ont fortement contribué à développer un sentiment d’appartenance à une communauté dans laquelle l’enfant a un rôle déterminant à jouer, avec le signalement dans les cahiers d’école des cas d’élèves sans pièces d’état civil par les gouvernements mis en place avec l’appui de la coalition.

Toutes ces expériences et bonnes pratiques ont le mérite de contribuer à la protection de l’enfance à travers l’effectivité du respect de ses droits, de sa participation citoyenne et civique à la vie de la nation, permettant ainsi, selon la COSYDEP de « garantir la pérennité des actions, afin que la déclaration des naissances devienne un réflexe, un devoir sacré chez tous les parents ».

C’est ici le lieu de saluer l’initiative de CHILDFUND Sénégal, organisation pionnière et militante de premier plan pour le développement de la petite enfance, qui vient d’apporter un soutien substantiel pour la tenue d’un important atelier du RENADPE (Réseau National des Acteurs pour le Développement de la Petite Enfance), du 03 au 05 juin 2015, à Saly.
Au cours de cet atelier, un groupe de travail s’est penché sur la problématique de l’état civil dans le contexte de la SNEB avec les risques d’exclusion qui planent sur des milliers d’élèves non enregistrés à l’état civil dans les localités de Matam, Kédougou et Tamba. Une des conclusions majeures de l’atelier du RENADPE, c’est de créer dans notre pays, les conditions d’une vaste et formidable mobilisation populaire de toutes les couches, catégories et segments de la population, pour prendre à bras le corps la question de l’enregistrement à la naissance de tous les enfants du Sénégal.

Pour les milliers d’apprenants non enregistrés, avant même qu’ils n’arrivent en classe d’examen, le RESAU suggère l’intensification et la multiplication des audiences foraines, surtout en milieu rural où le phénomène de non enregistrement des naissances est le plus accentué.

Dans cette perspective, les collectivités locales ont un rôle de premier plan à jouer dans la matérialisation de ce puissant consensus national autour des enjeux et défis de l’état civil. L’acte III de la décentralisation a créé des conditions plus favorables avec la territorialisation des politiques publiques et la communalisation intégrale qui a supprimé les communautés rurales, érigées en communes de plein exercice. Les maires des 557 communes que compte notre pays et qui jouissent du statut d’officier d’état civil, peuvent jouer un rôle essentiel, dans la mobilisation de tous les acteurs locaux dans leur territoire, pour conduire jusqu’à son terme la croisade contre le non enregistrement des naissances, afin que d’ici une brève échéance, ce fléau ne soit plus qu’un vieux souvenir.

C’est à cette condition seulement que notre pays pourra disposer de statistiques démographiques fiables permettant d’élaborer des plans de développement stratégique à long terme, susceptibles de le propulser sur la rampe de l’émergence à l’horizon 2035, qui est celui du Plan Sénégal Emergent (PSE).

Ousmane BADIANE
Ancien 1er Vice-Président du Conseil Régional de Dakar
Conseiller municipal à Grand Dakar