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L’inadmissible fatwa des maîtres d’écoles coraniques

L’incendie de la Médina a été, c’est le moins qu’on puisse dire, tragique : neuf morts dont sept jeunes enfants, talibés de leur état. La vague d’émoi qu’il a soulevée est à la mesure de l’ampleur d’un drame permanent que vivent quotidiennement des centaines de milliers d’enfants blessés dans leur chair par un traitement dégradant et au bout du compte … inhumain. Sans doute, le gouvernement a-t-il, c’est assez rare pour ne pas être souligné, pris la pleine mesure de ce traumatisme de tous jours que nous tentons de couvrir d’un voile pudique par le simple fait que ces « daaras » sont censés dispenser un enseignement coranique dans un pays composé à plus de 95 % de musulmans. Il n’en demeure pas moins que la pression morale et psychologique que tentent d’exercer sur l’opinion et l’état des « maîtres » d’écoles peu vertueux agresse notre bonne conscience. Des « maîtres » qui font comme si dénoncer ce drame équivalait à s’en prendre à l’Islam de manière blasphématoire. D’où cette conspiration du silence, qui n’est rien d’autre qu’un complot contre l’enfance.


Rédigé par leral.net le Mardi 19 Mars 2013 à 13:37 | | 0 commentaire(s)|

L’inadmissible fatwa des maîtres d’écoles coraniques
Fort heureusement, le gouvernement n’a pas cédé. Il a fait preuve d’une remarquable célérité en donnant des coups de semonce et autres signaux forts. La mise en examen du maître coranique de la rue 19 x 6 et sa probable incarcération pour homicide involontaire en sot une illustration. La sauvegarde des enfants rescapés du drame dans des centres sécurisés en révèle une autre. Mieux, les opérations coups de poings menées à Guédiawaye et Matam pour exfiltrer des centaines d’enfants en péril dans de véritables cachots vers des lieux plus sécurisés, s’inscrivent dans cette démarche salutaire de sauvetage de pupilles en danger. Et, cerise sur le gâteau, le gouvernement a accompagné ces actions d’une bonne communication qui aura permis aux esprits conscients de se libérer, aux langues de se délier et aux indignés d’exprimer sans crainte leur ras-le-bol devant cet esclavagisme des temps modernes.
Maîtres d’écoles ou maîtres chanteurs ?
Face à une telle pro-activité, il ne reste que les tenanciers de ces « funestes systèmes » pour soulever leur ire de vierges effarouchées, et tenter, sans succès du reste, de rallier l’opinion à leur combat d’arrière-garde. Il s’agit en l’occurrence de « maîtres-chanteurs », qui ont érigé partout au Sénégal et notamment à Dakar des centres d’internement de jeunes enfants-travailleurs, sous l’ignoble prétexte de leur fournir un enseignement coranique. Un prétexte d’autant plus fallacieux qu’à chaque fois que l’occasion nous est donnée de tester les connaissances coraniques de ces jeunes ouailles rachitiques, malingres et malpropres, le constat est consternant : leur performance académique est à la mesure de leur indigence morale et économique.
Peu importe que ces talibés viennent du Sud du pays ou de la sous-région. Leur statut d’enfants exploités et maltraités ne devra jamais être jugé à l’aune de leur origine. Cette maltraitance est tout simplement scandaleuse et les responsables doivent être traités comme des contrevenants à la loi, comme des homophobes.
En réalité, l’attitude irrédentiste de certains maîtres coraniques, qui vont jusqu’à menacer le gouvernement de « fatwa », méritait plus que le traitement par le mépris adopté par les autorités soucieuses de ne pas envenimer un climat social tendu. Mais le fait de menacer de malédiction les corps de l’Etat et d’utiliser le saint Coran pour « punir » le président de la République aurait dû entraîner d’autres formes de traitements pour voie de fait, menaces publiques, troubles à l’ordre public. Cependant, cette marque de hauteur du gouvernement ne doit pas être interprétée comme de la faiblesse envers ces contrevenants. L’autorité de l’Etat, notamment dans ce domaine aussi crucial que la protection civile, ne doit pas transiger. Dans le même temps, le soutien des toutes les couches sociales, politiques et religieuses doit prévaloir pour que les régisseurs de ces faux « daaras » soient isolés dans leurs sombres desseins.
Le gouvernement est d’autant plus fondé à sévir que des voix autorisées de la matière islamique se sont exprimées pour démontrer que l’acte de mendicité ne figure dans aucun des préceptes de l’Islam. Il ne suffit pas d’avoir fait toutes ses humanités islamiques pour comprendre que l’Islam reconnaît le statut de « fakhirs » (pauvres) dignes de recevoir l’aumône ou la zakkat. Toutefois, il ne préconise, ni n’encourage la mendicité des enfants encore moins la brutalité avec laquelle leurs prétendus enseignants tentent de leur transmettre le savoir coranique et le savoir-être musulman. Ces voix autorisées ont clairement fait entendre que les 6000 « daaras » disséminés dans les quatorze régions du pays sont correctement surveillés, encadrés par l’Association des maîtres coraniques du Sénégal, les seuls véritables interlocuteurs du gouvernement. Ces centres d’éducation sont de crédibles hauts lieux de valorisation humaine, du Coran, des hadiths et du savoir-être qui font du musulman, un homme propre dans son âme et dans son corps.
Escroquerie sur enfants
La référence à l’Islam pour justifier les traitements indignes auxquels on assiste ne relève que de l’escroquerie sur enfants abandonnés par des parents certes pauvres, mais démissionnaires tout de même. En réalité, des enjeux financiers réels se cachent derrière ce charity business dont le chiffre d’affaires se monterait rien qu’à Dakar à quelque 2,5 milliards de francs CFA. Un vrai butin qui permet à ces « intendants » malfaisants de mettre leur famille à l’abri du besoin, en profitant avec ignominie du travail d’autres enfants.
Le drame de la Médina a servi de révélateur à ce funeste commerce. En effet, dans les cendres de l’incendie a été découverte une valise pleine d’argent que le « maître d’école » avait choisi de thésauriser avant que la justice immanente n’en décide autrement. Au-delà de cette tragique issue, l’heure de prendre à bras le corps une situation grave a sonné. Aucune conscience humaine ne peut continuer à éluder l’enfer que font subir à ces enfants des tartuffes peu scrupuleux, et qui se drapent du manteau de la religion pour accomplir leur forfait avec notre bienveillante complicité.
La perversité du système d’exploitation des enfants est plus structurelle, plus ancrée dans notre imaginaire collectif qu’on ne croit en réalité.
En effet, dans notre pays, il y a une persistante et dangereuse tendance à sacraliser les « daaras » et les « domu daaras », présentés en modèles de socialisation et d’homo senegalensis. Les hommes qui en sont issus seraient exemplaires parce que forgés au fer rouge, détachés des plaisirs de la vie, et « carapacés » contre les mauvaises tentations et les vices. C’est cette armature qui serait la justification de leur réussite sociale. Elle serait ainsi due à ce passage obligé par les fourches caudines d’une éducation exigeante, forgeant l’homme par la confrontation aux dures réalités de la vie pour le désincarner , en neutralisant chez lui la jalousie, l’envie, l’impatience, la luxure, la vanité etc.
« Daaras », votre univers impitoyable !
Ainsi l’usage du châtiment, l’accès à une nourriture souillée, en tout cas immangeable, à des gîtes inconfortables et poussiéreux seraient les principaux levains favorisant inéluctablement leur éclosion sociale et économique. Sans doute, cette forme de socialisation a-t-elle ses vertus et ses valeurs ! Ses illustrations aussi à l’image des nombreux « domu daraas », qui ont émergé socialement et souvent économiquement ! Mais à côté de cette poignée d’hommes accomplis, combien d’enfants ont laissé leur vie en cours de chemin, fauchés par la maladie, traumatisés psychologiquement à jamais par les châtiments, les blessures morales et physiques, les actes de pédophilie, la rivalité, la dénonciation et autres sévices physiologiques et mentaux ? Combien sont restés au milieu du gué, dévorés par les fauves alors qu’ils arpentaient nuitamment les sombres dédales de la brousse, écrasés par les voitures dans les rues des grandes villes, ou égarés et perdus de vue alors qu’ils tentaient d’échapper à la furie des maîtres d’écoles d’une sauvagerie inouïe pour sanctionner jusqu’au sang leur improductive moisson journalière ? Combien ont été emportés par les maladies et autres épidémies faute de soins et même du minimum d’attention encore moins d’entretien ? Combien ont versé dans la violence pour se venger d’une vie impitoyable ? Combien ont perdu le goût de vivre face à une barbarie inqualifiable ?Comment peut-on mesurer les traumatismes du déficit affectif dont ils continuent de souffrir, éloignés de leurs parents et de la flatterie, contemplant avec envie, les yeux larmoyants, les jeux, les délices et les plaisirs de la tendre enfance auxquels ils ne pourront jamais accéder ? A contrario combien d’enfants devenus adultes ont-ils réussi leur vie sociale et leur vocation religieuse sans maltraitance, sans souffrance, tout en restant des modèles accomplis de citoyens ? En essayant d’opposer l’école française — qui n’a pas fait que du bien à nos sociétés, loin s’en faut — à l’enseignement coranique, ces prêcheurs de mauvais aloi tentent malhonnêtement de nous monter le bourrichon en comparant deux systèmes aux logiques différentes, sans doute complémentaires, pour qui sait en assurer l’équilibre. Mais ce stratagème est éculé, la force de la mondialisation l’a emporté ! L’argument qui consiste à justifier la mendicité comme une pratique généralisée pratiquée au plus niveau de l’Etat et par l’Etat dénote une ignorance crasse des relations internationales. La France mendie-t-elle quand elle sollicite et reçoit des investissements massifs du Qatar ? Et l’investissement chinois aux Etats-Unis, première puissance mondiale ? Que des mendiants en col blanc essaiment partout, cela est une évidence. Mais le châtiment fait aux enfants ne justifie rien et rien ne le justifie.
Personne ne peut nier que le système éducatif hérité de la colonisation est aussi porteur de culture judéo-chrétienne, d’aliénation et, peut-être, de perversion culturelle. Mais personne ne peut non plus fermer consciemment les yeux sur les dérives d’un système éducatif mafieux prétendument religieux, qui fait de la violence et de la dégradation humaine, un moyen de transmission du savoir et de formation de l’homme. En somme, la condition sine qua non pour réussir. Freud en perdrait ses humanités !
Corruption de l’esprit coranique
Pis, l’image que reflètent les « daaras » corrompt l’esprit islamique et renvoie à des accusations et qualifications désastreuses de la part des pourfendeurs d’une religion propre, pacifique et qui donne à l’enfant une grande considération. Il faut se référer aux rapports que le Prophète Mouhamed (PSL) entretenait avec ses enfants qu’il a perdus très jeunes pour comprendre cette adoration incommensurable qu’il leur vouait. Plus près de nous, l’enseignement exemplaire de Serigne Saliou Mbacké, ancien khalife général des mourides, sur le respect et l’amour que nous devons aux enfants est encore fort évocateur. Que dire des autres guides religieux toutes « tarikhas » (voies) confondues dont l’attachement aux enfants était et demeure encore obsessionnel ? Quid des « daaras » modèles comme celui de Mme Mariam Niasse, de Coki, de Pal, de Raw, Ali Imrane de Oustaz Alioune Sall ? Ils sont, à tous points de vues, tout à fait exemplaires. Ces « daaras » n’ont assurément strictement rien à voir avec l’univers impitoyable du charity business qui a élu domicile dans les villes.
Cela dit, le gouvernement doit agir en mettant en place une politique résolument tournée vers la prise en charge de cette question fondamentale de l’éducation religieuse dans notre pays. L’encadrement des « daaras » et l’organisation de cette forme d’éducation, considérée à tort et avec mépris comme non formelle, sont d’une grande acuité. Il doit imposer un agrément à un déclarant-responsable en fixant les conditions matérielles, morales et éthiques sous-tendant son autorisation d’exercer. Il sera probablement nécessaire de réactualiser la loi interdisant formellement la mendicité des enfants, sans remettre en cause les principes de solidarité sociale. Mais tout cela serait vain si des moyens conséquents n’étaient pas octroyés à l’enseignement religieux coranique, avec un encadrement pédagogique et un cursus contrôlés, des finalités éducatives maîtrisées, un statut légal pour les maîtres d’école. La fermeté du gouvernement à l’égard des « daaras » contre nature n’aurait de sens que si une réflexion prospective était menée pour la prise en charge appropriée d’une situation critique. L’avenir de nos enfants est en jeu.
Il ne fait aucun doute que la société sénégalaise si massivement islamisée ne saurait faire table rase des « daaras » et de leurs finalités sociales. Les imams, véritables régulateurs sociaux, doivent être formés pour faire face aux diligences sociales et canoniques qui marquent la vie des citoyens musulmans. Les vertus de l’Islam sont tellement prégnantes qu’il serait horriblement dangereux de laisser des individus à la dévotion douteuse exploiter calamiteusement les êtres qui nous sont les plus chers : nos enfants.
ALY SAMBA NDIAYE
« Le Témoin » N° 1117 –Hebdomadaire Sénégalais (Mars 2013)


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