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L’opposition sénégalaise entre menaces et léthargie

L’opposition sénégalaise est à la peine. Face à une coalition gouvernementale forte, malgré une certaine fébrilité, elle a beaucoup de mal à exercer son rôle. Le gouvernement tente d’accélérer la cadence des réformes et annonce tous les jours de grandes mesures de relance économique et sociale. Mais il n’arrive pas encore à redonner l’espoir à des Sénégalais empêtrés dans un pessimisme abyssal.


Rédigé par leral.net le Mardi 18 Février 2014 à 22:23 | | 0 commentaire(s)|

L’opposition sénégalaise entre menaces et léthargie
L’entrée en vigueur de la baisse des loyers, la distribution à plus 40 000 familles d’une bourse sociale de solidarité, la probable manne de près de 2000 milliards que le Conseil consultatif des bailleurs de Paris s’apprête à accorder au Sénégal pour le financement du Projet Sénégal Emergent… tout cela ne soulève pas encore un grand enthousiasme populaire. Le front social s’est à nouveau réchauffé suite à la série de grèves des médecins, des inspecteurs de l’enseignement, aux mouvements d’humeur des acteurs du tourisme entre autres. Malgré tout, les libéraux du PDS, têtes de gondoles de l’opposition sénégalaise, semblent s’engoncer dans la léthargie, voire l’éclatement.

Nombre de ses grands animateurs et autres grosses pointures sont attirés par les prairies "marron" et créent un profond malaise dans le PDS. Souleymane Ndéné Ndiaye, ancien ministre, reste dans l’expectative traînant les pieds pour s’impliquer effectivement dans la vie du parti. Serigne Mbacké Ndiaye, ancien porte-parole des bleus, multiplie ses rencontres souterraines avec les pontes de l’APR, dont le Président. Sa reconversion politique ne serait qu’une question de jours. Innocence Ntap Ndiaye, ancien ministre et proche du Président Wade pose du bout des lèvres des conditions pour rejoindre l’APR. Elle théorise, avec beaucoup de bagout, l’idée d’une proximité politique, idéologique et humaine entre les "apéristes" et les bleus, pour actionner une dynamique de retrouvailles.

Oumar Sarr et Farba Senghor menacés

Au même moment, Benoît Sambou, actuel ministre de la Jeunesse et proche du Président Sall, propose ouvertement un rapprochement avec le maire de Ziguinchor Abdoulaye Baldé. Les signes d’affaiblissements du PDS se multiplient avec la mise au vert volontaire de Bara Gaye fraîchement sorti de prison. Rattrapé par l’âge, il a préféré s’éclipser et laisser le très contesté Toussaint Manga prendre les rênes des jeunes de l’UJTL (Union des jeunesses travaillistes et libérales).

Dans la même lancée, deux seniors du parti bleu sont menacés de poursuites dans le cadre de la traque des détenteurs de biens présumés mal acquis, en l’occurrence Oumar Sarr, l’actuel patron et coordinateur du PDS, et Farba Senghor, ancien trésorier et fidèle parmi les fidèles d’Abdoulaye Wade. L’ancien coordonnateur des cadres du CIS (Club Initiatives et Stratégies), Serigne Mboup, a définitivement tourné casaque après la création de son mouvement et s’annonce comme un futur souteneur de Macky Sall.

En récompense de son ralliement au camp présidentiel, il a d’ailleurs été porté à la présidence du conseil d’administration de la Société Africaine de Raffinage (SAR). Le professeur Iba Der Thiam, le Président Mbaye Jacques DIOP, ont engagé leur recyclage politique et ont déjà tourné, comme à leurs habitudes, la page du PDS pour d’autres horizons.

A Thiès, Mamadou Lamine Massaly dénonce, avec la virulence qu’on lui connaît, cette léthargie et cette débandade rampante. Il piaffe d’impatience de retrouver la rue pour en découdre avec le pouvoir. Mais les forces de sécurités sévissent et le régime en place poursuit son anti-démocratique propension à interdire les marches, comme celle programmée récemment dans la banlieue pour protester contre la détention prolongée de Karim Wade. L’égérie du parti, Mme Awa Diop, dont on connaît les affinités avec le Président Macky Sall, se fait rare dans les instances libérales et subit des critiques acerbes chez les femmes.

L’arme de la Justice

Toutes ces secousses telluriques ébranlent le PDS au moment où Oumar Sarr, coordonnateur plus que contesté du Parti, reste très convoité par la justice qui veut l’entendre sur des dossiers d’enrichissement illicite ou de complicité de détournements de fonds dans les marchés du plan Jaxaay. Il n’est pas seul, ses frères de parti Farba Senghor et Ousmane Ngom figurent aussi dans les tablettes des procureurs, pour un sort qui ne sera pas loin de celui que vivent déjà les argentiers présumés des bleus, Karim Wade, Aïda Ndiongue, Bara Sady, et Aziz Diop. On parle également de Mme Awa Ndiaye, Ndèye Khady Diop, toutes anciennes ministres de Wade, aujourd’hui dans l’œil du cyclone judiciaire.

Cette épée de Damoclès qui plane au-dessus de la tête du dernier carré des responsables des bleus tétanise leurs ardeurs, tant il est vrai que le pouvoir est tenté d’utiliser à son profit leurs fortes présomptions de culpabilité, pour les tenir en laisse. Malgré toutes les négociations avérées ou supposées pour stopper les poursuites contre les libéraux sous le coup de la justice et libérer Karim Wade, les relations entre le pouvoir et ses anciens frères libéraux demeure encore très tendues.

A l’extérieur du Sénégal, le Président Wade, qui se transbahute entre Paris, Dubaï, l’Est et le Sud de l’Afrique peine à tirer d’affaires ses ouailles très mal en point. Et ne réussit toujours à re-fédérer la famille libérale. L’exécrable climat de suspicion qui sévit au sein du PDS, comme les prégnantes menaces de poursuites judiciaires, voire d’incarcération des têtes de files du parti, plombent leur formation et du coup privent l’opposition d’animateurs.

Ce n’est pas parce que l’opposition ne bat pas le macadam qu’elle est dévalorisée. C’est aussi parce qu’elle ne participe même plus aux débats nationaux sur des questions aussi essentielles que le PSE, l’emploi, la croissance, la campagne agricole ou encore la santé. Le climat politique pollué par les évènements judiciaires à répétition accentue la radicalisation verbale de l’opposition et empêche des discussions de fond sur des projets majeurs engageant l’avenir du Sénégal sur les 25 prochaines années.

Idy comme d’habitude…

On pensait que le parti Rewmi, une fois sorti de la coalition aphone qu’est Benno Bokk Yaakaar, allait élever le débat. Mais voilà que son chef, Idrissa Seck, comme à ses habitudes, préfère s’exiler en France et laisser son parole-parole squatter les plateaux de télévision et les salles de rédaction pour porter la voix du serpent de mer. Le départ de Mme Nafissatou Diop Cissé en annonce semble-t-il d’autres, sans que le patron du Rewmi comprenne enfin qu’un dirigeant digne de ce nom ne peut se contenter de diriger par procuration. Et sortir à sa guise comme un diable de sa boîte au moment des scrutins pour demander les suffrages des Sénégalais.

Le parti Bok Gis Gis est mieux logé en termes de stabilité que les autres excroissances du PDS. Cependant, il a du mal à exister et s’illustrer par ses activités et son poids politique pourtant importants. Le manque de charisme de son principal dirigeant, entouré par des courtisans et autres zélateurs, fait que ce parti est sans âme. Sa seule ligne d’horizon, c’est les hypothétiques élections locales du 29 juin, pour lesquelles Pape Diop est prêt à tout sacrifier afin de reconquérir la mairie de Dakar. Le départ de l’ancien ministre Thierno Lô, qui a créé son propre mouvement, ne semble pas arranger les choses pour cette formation en mal d’identité et qui rechigne même à se joindre aux forces de lutte contre le pouvoir.

Grosso modo, face à un pouvoir qui n’est pas au mieux de sa forme, après la brouille au sommet de l’Exécutif, l’opposition sénégalaise ne trouve pas assez d’entrain pour bousculer le gouvernement. Et pourtant tout le monde s’accorde à penser que, malgré les efforts déployés par le régime pour se doter d’une vision, s’inscrire dans la durée, le décollage économique tarde à donner ne serait-ce que ses premiers signes. Les alliés sont partagés entre le mutisme de circonstance et la protestation à demi–mot. Le PS en fait les frais, puisque Khalifa Sall, le très courageux Maire de Dakar, dessine son territoire personnel, trace sa voie, alors que son leader, Ousmane Tanor Dieng, semble préférer les lambris dorés du pouvoir et préparer l’enterrement de première classe du PS.

Démocratie interne ? : Niet

Mais aussi bien à l’intérieur des partis qu’au sein de Benno Bokk Yaakaar, la démocratie interne ne semble pas être la chose la mieux partagée. Autant de zélés socialistes s’en prennent à Khalifa Sall pour sa démarcation sur un sujet aussi sérieux que l’Acte 3 de la Décentralisation, autant des forcenés de l’APR attaquent la LD dès que son leader, le très indépendant Mamadou Ndoye, émet la moindre réserve sur la gouvernance du pays.

La volonté d’indépendance des "jallarbistes" n’est pas encore entrée dans la culture des "apéristes" formés dans le moule du PDS avec la violence, les diatribes, la stigmatisation et l’intolérance comme viatique. Certes, la solidarité gouvernementale devrait être la règle dans toute coalition. Et la LD ne peut figurer dans une équipe et chercher à contribuer à son affaiblissement. Surtout pas par des critiques qui manquent d’élégance, comme celle consistant à accuser au projet "Yoonu Yokuté", sur la base duquel l’actuel président de la République a été élu, d’être vide de vision.

Il est vrai qu’en raison du manque de cadre de concertation permanente et même organique comme la Direction Politique Unifiée (DPU), les médias deviennent le seul terrain d’expression des frustrations comme c’est le cas sur l’Acte 3 de la Décentralisation. La LD avait demandé que le Président ne promulgue pas le décret d’application et ouvre de vraies négociations avec ses alliés pour harmoniser les vues.

Devant la surdité du gouvernement, le dialogue entre alliés devient alors difficile, et les militants de ce parti marxiste n’ont plus le choix que de se taire ou partir comme jadis sous les présidences de Diouf et Wade. Et avec le risque que, comme avec Mbaye Diack et Mame Bousso Diack sous la première alternance, leur parti s’effrite encore. Les "apéristes" sont pressés de pousser la LD, accusée de déloyauté, à la porte du gouvernement en oubliant que, même face à une opposition moribonde, la vertu d’une coalition c’est l’unité. Mais jusqu’où ? That is the question !

Le Témoin