leral.net | S'informer en temps réel

La tragédie de « Talatay Nder » et le « Radeau de la Méduse » : Deux destins tragiques liés


Rédigé par leral.net le Samedi 7 Mars 2015 à 13:48 | | 0 commentaire(s)|

La tragédie de « Talatay Nder » et le  « Radeau de la Méduse » : Deux destins tragiques liés
Si la date du 8 mars est consacrée à travers le monde comme Journée internationale de la femme, la date du 7 mars devrait être célébrée au Sénégal comme la journée nationale dédiée aux femmes sénégalaises en hommage du sacrifice suprême des femmes de Nder.

En effet, il y a 195 ans, le mardi 7 mars 1820, le Walo vécut l’une des épisodes les plus tragiques de son histoire avec le sacrifice des femmes de Nder qui ont préféré se brûler vives que de devenir captives des maures.

Ce pan de l’histoire du Walo se confond avec l’histoire coloniale française. Ce fut dans cette contrée du Walo que la France a eu à expérimenter toutes les phases d’exploitation coloniale, avant de les appliquer au reste de l’Afrique noire.

On ne peut raconter l’histoire de la tragédie de « Talatay Nder » sans relater un épisode tragique de l’histoire française celui du naufrage du « Radeau de la Méduse ».

Le 18 juin 1815 s’était déroulée en Belgique la bataille de Waterloo opposant les armées napoléoniennes et celles des Alliés, composée principalement de Prussiens, de Britanniques et de Néerlandais. Cette bataille se termina par la victoire décisive de ces derniers. Ce fut la chute de l’empereur Napoléon 1er et le début de la restauration, le roi Louis XVIII fut installé sur le trône de France.

Le traité de paix de Vienne qui fut signé entre la France et l’Angleterre avait une clause qui stipulait la rétrocession des possessions françaises au Sénégal. L’Angleterre acceptait de remettre le comptoir de Saint-Louis (qu’elle occupait de 1809 à 1817) aux Français à la condition qu’ils abolissent la traite négrière. Afin de prendre le contrôle de la colonie du Sénégal la France envoya une expédition navale.

Le 17 juin 1816 de l'île d'Aix, une flottille composée de la corvette "l’Echo", de la flûte "la Loire" et du brick "l’Argus" et de "La Méduse" ayant à son bord plus de 400 passagers appareilla sous les ordres du commandant Hugues Duroy de Chaumaray, avec à son bord le futur gouverneur du Sénégal, le colonel Julien Désiré Schmaltz accompagné de sa femme de leur fille, de scientifiques, de soldats et de colons.

L'inexpérience de l'équipage provoqua l'échouage de la Méduse sur le banc d'Arguin près de la ville de Nouadhibou sur la côte mauritanienne

Après plusieurs essais infructueux pour dégager la frégate, l'ordre d'évacuer le navire fut donné. Les 250 passagers privilégiés, dont Chaumareys, Schmaltz et sa famille, s'installèrent confortablement dans les chaloupes qu'ils se sont réservés, les cent cinquante marins et passagers furent entassés sur un radeau construit depuis la veille.

Pire encore : alors que le plan d'évacuation prévoyait le remorquage du radeau par les chaloupes, les occupants de ces dernières, après quelques moments de navigation, coupèrent les cordes et abandonnèrent les naufragés du radeau à leur triste sort.

Le deuxième canot s’appelait "le Sénégal", car il devait être laissé à la colonie fut le premier à aborder la côte et à débarquer ses passagers, imité par d’autres canots. Chaumareys, Schmaltz et sa famille furent parmi les cent seize personnes qui se mirent en route vers Saint-Louis en longeant la côte mauritanienne. Après d’éprouvantes péripéties dont la rencontre avec les Maures, le gouverneur Schmaltz et sa suite parvinrent à Saint-Louis le 13 juillet.

Sans eau ni vivres le calvaire des 150 soldats et marins du radeau à la dérive qui va durer douze jours peut alors commencer.

Après treize jours, le radeau est repéré par le brick l'Argus, quinze rescapés restent à bord : pour leur survie ils ont pratiqué très vraisemblablement le cannibalisme, cinq mourront dans les jours qui suivent.

Nombreuses sont les personnes qui connaissent le magnifique et terrible tableau de Géricault qui se trouve actuellement au musée du Louvre à Paris connu sous le nom du "Radeau de la Méduse". Beaucoup plus rares sont celles qui sont capables de localiser, de dater l'événement et de relier à l’épisode tragique des femmes de Nder.

Le colonel Julien Désiré Schmaltz après moult péripéties avait réussi à gagner à pied le comptoir de Saint Louis ou il prit ses fonctions de gouverneur du Sénégal. La mission que le Ministre des Colonies, le Baron Portal avait assignée au gouverneur Schmaltz était de créer une colonie agricole au Walo.

C’était le début de la révolution industrielle en Angleterre, la machine était en train de remplacer la force de travail humaine ou animale. L’Angleterre puissance dominante préconisait l’abolition de la traite négrière afin de vendre ses machines.

La traite abolie la France trouvait plus rentable économiquement d’acquérir des terres de cultures en Afrique et d’y faire cultiver du coton et de la canne à sucre que de transporter des nègres dans les plantations en Amérique.

Le gouverneur Schmaltz chargé d’appliquer cette politique porta son choix sur le royaume du Walo pour ses projets de colonisation agricole. Dans une lettre adressée au Ministre des Colonies, le 4 septembre 1819 le gouverneur Schmaltz disait ceci « J’ai toujours soigneusement observé les pays que j’ai parcourus et je n’ai pas vu de plus beau, de plus propre à de grandes entreprises que le Sénégal. Les bords du Gange ne m’ont point paru plus fertiles que ceux de notre Fleuve et je n’ai le moindre doute d’y réussir les cultures qu’on y voudra. »

Après deux jours de négociation le 8 Mai 1819 à bord du navire l’Isère ancrée sur le fleuve Sénégal en face du village de Ndiao, au nom du roi de France, le Colonel Schmaltz signa avec le roi du Walo, le Brack Amar Fatim Borso Mbodje et les principaux chefs du pays que sont le Diawdine Madiaw Xor Aram Bakar Diaw, le Béthio Sakoura Diop, le Maalo Ndiack Ndongo Diaw , le Diogomaye Ndiack Arame Kélar Diaw , le Beuk Nekk Ndiourbel Birame Coura Diagne, le Traité de Ndiao

Notons entre parenthèse que c’est ce traité qui est à l’origine de la création de la ville de Richard Toll

Ce traité devait permettre à la France de créer des établissements de culture et de construire des forts militaires à Lampsar et à Dagana et sur la rivière Taouey pour les protéger des peuples voisins près du village de Ndioukouck moyennant une redevance annuelle de 11 715 ,70 francs.

Cette alliance économique et militaire entre le Walo et la France entraîna des réactions hostiles de tous les peuples voisins.

Pour l’Almamy du Fouta la construction d’un fort militaire au village de Dagana etait un casus belli. De cette place forte de Dagana, les Français avaient la possibilité d’attaquer le Fouta. L’Almamy envoya une correspondance au Brack lui demandant de rompre le Traité avec les infidèles français sous peine de lui déclarer la guerre et lui rappelant que le village de Dagana était une possession du Fouta .

Fort de la nouvelle alliance militaire de la France le Walo refusa de payer la coutume annuelle de 100 bœufs qu’il payait à l’Emirat maure du Trarza afin d’éviter à ses populations des razzias et rapines.
A la frontière sud le Damel Birima Fatma Thioub Fall était hostile à la présence française au Walo. C’était un précèdent dangereux pour lui car pour la première fois des blancs quittaient les îles ou ils étaient installés (Gorée, Saint-Louis ) pour s’établir à l’intérieur des terres sur le continent .

Les mulâtres et négociants du comptoir de saint louis s’opposaient aussi au projet de colonisation agricole au Walo. Intermédiaires entre les chefs locaux et le comptoir de dans le commerce de la gomme et la traite des esclaves, les mulâtres voyaient dans la promotion des cultures de produits exotiques au Walo une source certaine de leur ruine

Un espion anglais le major Gray assurait la liaison entre ces différents pôles d’intérêts hostiles au projet de la colonisation agricole. Il distribuait de l’argent et des armes à tous ces royaumes hostiles au Walo.

Le 21 Septembre 1819 avec la complicité du mulâtre saint-louisien Pellegrin les troupes de l’Emir du Trarza Amar Ould Moctar attaquèrent par surprise le village de Thiaggar ou le Brack Amar Fatim Borso Mbodje tenait un conseil du trône.

Lors de cette attaque appelée en wolof « Mbettoum Thiaggar » le Brack eut la jambe fracturée et fut évacué à Saint louis ; les chefs de guerre le Diawdine Madiaw Xor Aram Bakar Diaw et Moussé Sarr Fary Diop furent blessés, le Mangass Boubacar Daro Mbodje . Au nombre des chefs tués, se trouvaient le Mahlo Ndiack-Ndongo Diaw, le Maalo Ndiack Ndongo Diaw, le Beur-Ti Yérim-Salma Diop. 26 autres habitants du village furent tués et bien d’autres amenés en captivité en Mauritanie dont le griot Mbaydé Fapeinda Thioune Diop.

Le verrou militaire que constituait le village fortifié de Thiaggar ayant sauté la voie était libre pour la prise de la capitale Nder

Le 7 Mars 1820 la capitale Nder fut conquise malgré la résistance opiniâtre du Kaddj Yérim Mbagnick Tegue Rella MBODJE et de la Linguére Fatim Yaamar Khouryaye Mbodje (mère des Linguères Ndjeumbeut et Ndatté Yalla) en l’absence du Brack Amar Fatim Borso blessé se trouvant à Saint Louis pour des soins.

Submergée par les assaillants, la Linguère préféra se brûler vive dans la case royale avec plusieurs de ses courtisanes dont la Beuk Negg Mbarka Demba Laobé Boh Ndiaye et Seydané que de tomber dans les mains des maures. Pour sauvegarder la lignée royale la Linguére avait réussi à évacuer vers leur tante paternelle Ndikcou Fatim Borso à Ronkh, ses deux jeunes filles les futures Linguéres Ndjeumbeut et Ndaté Yalla.

La Riposte du Walo ne se fera pas attendre le Kaddj Yérim Mbagnick Tegue Rella Mbodje rassembla les débris de l’armée du Walo et une levée en masse se fit.

Avec le concours du Gouverneur Schmaltz qui fournit à son armée beaucoup d’armes et de munitions le Kaddj Yérim Mbagnick Tegue Rella Mbodje secondé par le Diawdine Madiaw Xor Aram Bakar Diaw et le Béthio Sakoura Diop traversa le fleuve Sénégal à Ronkh et battit les troupes maures de Amar Ould Moctar à Ouara Ouar qui se réfugia dans l’Adrar laissant sur le terrain plus de 150 morts.

Ayant capturé le Makhchare (camp royal) de l’Emir, le Kaddj par vengeance coupa les oreilles comme trophée de guerre de toutes les princesses maures dont l’épouse de l’Emir, Mrasse. Il délivra les habitants de Nder faits prisonniers. Et les griots du Walo lui inventèrent au Kaddj cet hymne « Yérim Mbagnick Mbodje mo dakh Naar yi Mouni kouni weyli weyli dé ».

Laissons à Yoro Boly Diaw le soin de narrer la suite des évènements. « Après cette défaite, l’Almamy et le roi des Trarzas levèrent une nouvelle armée qui se réunit à Mboumba. Le Kaddj Yérim Mbagnick Tegue Rella Mbodje secondé par le Diawdine Madiaw Xor Aram Bakar Diaw se préparèrent à la défense et battirent les coalisés à Dialaoualy, le jour même de leur entrée dans le Oualo. En moins d'une heure, 600 Ouolofs, renforcés de 150 Maures au maximum, mirent en pleine déroute cette grande armée Maure et Toucouleur évaluée à 11.000 hommes. Elle laissa le champ de bataille « pavé de morts » et fut poursuivie avec acharnement jusqu'à Fanaye. Les Ouoloffs établirent leur camp et demeurèrent dix jours sans être inquiétés ni par le Lam-Toro Samba-Dithié, le chef des vaincus, ni par l'Almamy qui l'avait chargé de cette guerre. Yérim-M'Bagniek rentra glorieusement à Dagana où la population le salua.»

Un autre hymne du Walo vit le jour « Dialawaly Faye Nder ba Ndaam li dess Walo ».

Voici telle racontée l’histoire des femmes de Nder qui devait être le credo de libération des femmes sénégalaises.

Les femmes sénégalaises n’ont pas besoin comme modèles Rosa Luxembourg ni Jeanne d’Arc ni d’autres héroïnes des autres peuples mais elles peuvent s’inspirer des célèbres femmes sénégalaises.

La journée internationale des femmes qui trouve son origine dans les manifestations de femmes au début du XXe siècle en Europe et aux États-Unis réclamant des meilleures conditions de travail et le droit de vote. Elle a été officialisée par les Nations unies en 1977 cette journée ne peut rien apporter de plus dans l’émancipation de la femme sénégalaise

Ces femmes occidentales étaient en retard par rapport aux sénégalaises dont certaines régnaient depuis des siècles à la tête des certains royaumes.

Le Sénégal devrait plutôt officialiser la date du 7 mars comme journée nationale de la femme sénégalaise en souvenir de de la tragédie de Talatay nder

Amadou Bakhaw DIAW

diaogo.nilsen@gmail.com

+221 77 643 47 35