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Le Grand Magal de Touba : Une œuvre qui défie la caducité


Rédigé par leral.net le Mardi 9 Décembre 2014 à 06:00 | | 0 commentaire(s)|

Le Grand Magal de Touba : Une œuvre qui défie la caducité
Nous sommes dans un siècle qui proclame l’hégémonie de la rationalité sur la foi, un siècle tellement imbu des succès de sa rationalité positive qu’il réduit l’existence humaine au profane. Une époque pareille n’est évidemment pas propice à des spéculations ou à des élucubrations sur la dimension mystique des choses et des évènements. Pire, dès qu’on s’évertue à y développer des thèses mystiques pour motiver ou expliquer les évènements, on y est tout de suite frappé du saut de l’archaïsme et de l’impuissance à argumenter. La rationalité omniprésente et toute-puissante a fini de faire de notre existence un calque ou un simple champ dérivationnel de la raison.

Toute activité, tout discours, tout choix, qui ne peuvent pas être fondés rationnellement sont dépréciés et a priori discrédités. Cette tendance outrancière que nous avons à nous poser en profanateurs souverains de tout ce qui est sacré est même considérée par certains comme le signe et la condition de notre grandeur. Cependant dans les faubourgs de la raison, il y a toujours une place insoupçonnée pour la foi : c’est en cela que le défi de rationalité ne doit pas être au fond redouté. C’est pourquoi cette réflexion se fait l’obligation de considérer la portée et les enjeux du Magal de Touba d’un point de vue purement rationnel. Pour dialoguer avec le profane, il faut accepter le sacrifice consistant à mettre momentanément en berne l’enthousiasme religieux et le sacré. Il faut le trouver sur le terrain de la rationalité et du dialogue car « au commencement fut le verbe », or le verbe est raison.

Le Magal a donc un caractère mystique hors de portée de l’analyse profane, mais son sens et sa portée spirituelle, politique, économique et sociale, peuvent être approximativement saisis dans la forme rationnelle du discours. La marque indélébile des œuvres de Serigne Touba c’est assurément leur immutabilité : elles ne s’émoussent ni ne s’évanouissent avec l’érosion du temps. Les œuvres de Serigne Touba sont toujours plus vivantes, plus étincelantes et, surtout, plus prometteuses d’un avenir toujours plus radieux et plus robuste. Le grand Magal en constitue la figure totémique : depuis son institution dans le calendrier mouride, il ne cesse de croître en affluence, en organisation, en retombées diverses.

Aujourd’hui le Magal a dépassé les frontières du Sénégal et de la communauté musulmane du pays : il est incontestablement une date inamovible dans le calendrier de la oumah islamique. En tant que deuxième plus grand rassemblement musulman après le Pèlerinage à la Mecque, le grand Magal de Touba est aujourd’hui un patrimoine de la civilisation musulmane. Nul ne pourra, dans les siècles à venir, écrire un livre d’histoire ni même un article scientifique sur la civilisation musulmane sans faire mention du mouridisme et de sa date repère qu’est le 18 Safar : ne serait-ce que sur ce plan, Serigne Touba constitue à la fois une fierté et une référence pour l’homme noir

I. Quand la calamité est transformée en œuvre
1) L’exil et l’accomplissement d’un destin

En prenant la décision historique inique d’exiler Cheikh Ahmadou Bamba au Gabon dans l’espoir d’étouffer sa grandeur et d’éteindre la flamme mystique qu’il avait allumée dans cette partie du monde noir, les colons ne s’imaginaient pas qu’ils étaient en train de l’aider à accomplir son destin. Dans les profondeurs insondables de leurs épreuves, les grands hommes réussissent toujours à construire un destin qui éblouit le monde. Dans la solitude féconde de leur retraite spirituelle, les hommes de Dieu trouvent l’occasion idéale et le procédé efficace de produire les idées et les valeurs qui éclaireront leurs contemporains et les générations futures. Le Cheikh était déjà un saint accompli dans la voie du soufisme avant l’exil, mais celui-ci était pour lui une sorte de moyen (dans la forme temporelle de sa dimension incommensurable) pour mériter davantage le statut de serviteur du prophète Mahomet (PSL).

Tandis que le colon y voyait un châtiment destiné à congédier un homme dont les idées et les actions constituaient des formes de subversion, lui comprît dans sa solitude créatrice et rédemptrice que ce fut simplement le viatique qui devrait parachever son œuvre. Toutes les grandes œuvres sont pétries à partir de la douleur ; toute gloire se construit dans la résistance face à la tourmente et à l’adversité ; toute résurrection se fait à partir d’une tombe : voilà ce que l’exil de Serigne Touba nous illustre avec netteté et pédagogie. Dans la sinistre et redoutable forêt équatoriale où la nature et le monde humain conjuguaient leurs efforts pour le briser et l’anéantir, il trouva réconfort, confort, protection et sécurité, auprès de son exalté guide, le prophète Mohamed (PSL) et auprès de la Science absolue : le saint Coran. Il a su, mieux que tout autre, que le prophète reste la voie royale de la compréhension du message coranique et il s’est abandonné à lui. Et comme le Coran est la clef de tous les mystères et la source de toutes les gloires, il a survécu à tous les pièges que la perfidie de l’ennemi a dressés sur son chemin.

Dans un univers si désolé et si hostile à toute forme d’épanouissement et même à la vie tout court, Khadimou Rassul n’a pas dérogé à la dialectique de la vie des saints et des héros : créer la gloire et l’éminence à partir de l’abîme de l’avilissement dans lequel on, a de tout le temps, voulu les précipiter. Le héros et le saint se relèvent toujours quelles que soient la nature et les circonstances de l’adversité à laquelle ils sont confrontés. Dans cet univers presqu’infernal de la forêt équatoriale, bravant la rigueur des saisons qui rivalisaient avec l’animosité, la malveillance et la sournoise inimitié des hommes, Serigne Touba a dissous son être dans le grand fleuve de l’éternelle miséricorde divine.

On lui a donné une peine il en a fait le tapis rouge de sa belle odyssée vers le prestige immortel et la vie éternelle. Le fait de ne voir, de n’entendre, de ne respirer, de ne manger, de ne souffrir et de ne se réjouir qu’en Dieu et par Dieu n’a pas de prix : c’est pourquoi les bienfaits que Dieu a accordés au serviteur du Prophète n’ont pas de limite. Ceux qui en doutent pourront indéfiniment observer le Magal pour constater de manière empirique que chaque année est un record dans tous les domaines. La vertu de voir et de penser Dieu dans tout ce qui se produit dans sa vie est l’ultime piété, l’ultime connaissance de l’Éternel et la vraie sagesse, auxquelles un homme puisse aspirer.

Au plus fort de son isolement et de la persécution injuste, lâche et vaine, que les ennemis ont exercée sur sa personne, Cheikh Ahmadou Bamba est resté constant dans sa foi, fidèle dans ses principes et toujours plus passionné dans l’amour qu’il portait au prophète Mohamed (PSL). C’est pourquoi nous ne devons pas être étonnés de l’ascension toujours fulgurante et croissante de sa communauté : celle-ci représente la forme visible de la récompense que Dieu (SWT) lui a accordée. Les grands hommes ont toujours été seuls enseignait le grand philosophe de la dialectique, Hegel. Ils ont été seuls parce qu’ils sont toujours porteurs de projets, d’idées et de valeurs novateurs dans tous les domaines. Ils ont été seuls, car ce qu’ils portaient comme vérité et comme valeurs n’était pas encore compris par leurs contemporains. Ils ont été toujours seuls, parce qu’ils ont eu la lucidité et l’audace de penser plus loin que le commun des mortels. Ils ont été toujours seuls, parce qu’ils ont assemblé et mûri la force nécessaire pour déchirer le voile opaque de la tradition et des forces réactionnaires.

Ils ont été seuls dans la méditation, dans l’élaboration de plans si complexes et si révolutionnaires que les foules s’y perdraient ou les pervertiraient si elles y étaient associées. Toute vérité est révolutionnaire surtout lorsqu’il s’agit de la vérité de la foi. Quand les ennemis se sont coalisés pour l’exiler ils s’imaginaient travailler à sa perte, ils croyaient abimer son destin et anéantir l’édifice de civilisation qu’il était en train de bâtir. Ils ne pouvaient donc pas comprendre que leur entreprise diabolique serait convertie en une œuvre agréée par Dieu. Serigne Touba n’aurait peut-être jamais atteint le rang de « serviteur du prophète » s’il n’avait pas enduré les tourments physiques et mentaux qui ont jalonné ses bras de fer avec les ennemis de l’Islam. Ceux qui parlent du sens du Magal devront toujours prendre en compte cette dimension qui échappent à une démarche analytique superficielle.

La célébration de 18 Safar, l’anniversaire du départ pour l’exil, est donc une date qui doit retenir l’attention non pas seulement des fidèles mourides, mais aussi de tous les musulmans. Cette date marque le début d’une entreprise de rénovation du soufisme qui sera indéfiniment profitable à la Oumah islamique et même à l’humanité tout entière. La convergence à Touba de millions de musulmans à l’occasion du Magal est une sorte de prise de conscience de la dimension universelle de l’œuvre de Serigne Touba ; c’est le témoignage que sa vie et son œuvre sont définitivement entrées dans le patrimoine islamique. Le Magal de Touba est devenu une mœurs qui charrie une culture dans laquelle on peut retrouver l’essentiel des valeurs islamiques et humanistes. Sous ce rapport, la formidable révolution spirituelle que le mouridisme insuffle au monde est un trésor infini de valeurs, de principes, d’enseignements et de solutions, dont l’exploitation et la diffusion seront à coup sûr profitables à toute l’humanité.

La leçon de morale que le refuge du Cheikh auprès de ces deux grands boucliers, que sont le Prophète et le saint Coran, donne à ses disciples et contemporains est que la foi est la seule arme absolue. Les meilleures armes sont non opérationnelles et caduques lorsqu’elles sont entre les mains d’une personne qui n’est pas suffisamment nantie de foi. Toutes les grandes armées du monde échoueraient à écraser et même à faire fléchir un homme fortement agrippé sur les cimes indestructibles de la foi. Inversement, un homme sans foi est irrémédiablement la molle victime de la plus naine contrariété et de la moindre catastrophe, qu’elle soit naturelle ou le fruit de l’action humaine.

Nous disciples ou simples concitoyens d’un homme aussi courageux et aussi visionnaire ne devrions par conséquent pas être désemparés et apeurés face aux vicissitudes de la vie de tourbions et d’incertitudes de ce 21e siècle. Dans la langue Wolof, le mot écrire « Bind » signifie à la fois écrire et créer : voilà qui pourrait résumer l’œuvre littéraire et scientifique de Serigne Touba. Par ses écrits, il a rendu grâce à son seigneur, a chanté les louages du prophète, et a fondé une communauté. Par ses écrits il a jeté les bases solides d’une communauté structurée autour des principes de la charia et ayant un mode de vie qui est simplement la mise en œuvre de l’Islam en tant totalité organique.

Du cultuel illégitimement séparé du culturel, il a fait une civilisation, de sorte que la vie de l’homme exprime en même temps la finalité de son existence. Parce qu’il a compris que l’Islam est un tout, il a réussi à concilier l’exigence naturelle d’épanouissement à la pureté morale vers laquelle nous tire cette religion. On comprend dès lors pourquoi le départ pour l’exil (18 Safar) est l’acte fondateur de la béatitude de la communauté mouride. Le Cheikh a endossé le calvaire humainement insupportable pour la véritable félicité de ses disciples : le début de son martyre est aussi le point de départ de notre rédemption à la fois spirituelle et matérielle. Ceux qui s’étonnent de voir quelqu’un célébrer l’anniversaire du commencement de son supplice et non la fin de celui-ci pourront méditer ce principe de la rédemption pour comprendre la signification du grand Magal de Touba.

Cette empreinte que l’Islam sénégalais aura définitivement sur la civilisation musulmane est la révélation parfaite de la vérité selon laquelle l’homme noir n’avait pas perdu sa place dans les religions révélées. Contrairement à une idée reçue, la fin de l’histoire n’a pas sonné, l’histoire de l’humanité ne s’est pas faite et ne se fera jamais sans le génie de l’homme noir. Nous n’avons reçu de religions révélées, mais l’Islam en tant que religion universelle est celle de l’homme noir. Mieux, le mouridisme revendique avec succès une vivification de la foi musulmane que le temporel et les savoirs profanes étaient en train d’occulter dans cette partie du monde et même ailleurs. Jamais dans l’histoire de l’humanité on ne trouvera l’exemple d’un homme qui a décidé de fonder une ville et une communauté dans le seul dessein d’adorer son seigneur.


Pape Abdoulaye KHOUMA

Conseiller Technique
Présidence de la République
DAKAR