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Le Jihad du Sénégal

Rédigé par leral.net le Mardi 22 Janvier 2013 à 18:54 | | 0 commentaire(s)|

(Analyse prospective sur les effets de la guerre du Mali au Sénégal)


Le Jihad du Sénégal
Déjà, la poussière rouge des assauts sanglants du Serval malien, lentement, atteint les narines frétillantes du Lion, son cousin félin sénégalais. Pendant que nos « Jambars » entrent officiellement en guerre au pays de la « Jatigiya », la guerre des idées et des idéologies, elle, déjà, fait rage au pays de la « Téranga ». Des drones médiatiques, ayant entamé leur décollage silencieux, commencent ainsi à s’échanger, depuis quelques temps, de violentes Rafales d’arguments intellectuels et religieux, pour déloger l’« ennemi » dissimulé dans nos mosquées respectives. Au point que des sénégalais, soupçonnés de « Salafisme » et sentant de plus en plus le risque de stigmatisation auquel pourra les exposer un jour l’aggravation de la situation, organisent déjà la réplique face aux courants dits « confrériques » du pays. Face à cette sorte de cristallisation religieuse embryonnaire et rampante qui, plus que les éventuelles cellules terroristes dormantes, risquera de laisser des séquelles et des « dégâts collatéraux » autrement plus profonds sur l’équilibre après-guerre de notre société, nous pensons qu’il ne serait peut être pas inutile de préciser dès à présent quelques points de repère nous semblant essentiels.

Pour bien comprendre les véritables périls auxquels nous expose Serval (nom de code de l’opération militaire française au Mali, tiré du nom d’un félin africain descendant du lion), auscultons un moment, si vous le voulez bien, sa « morphologie » géostratégique, composée des trois parties que sont « la tête, le tronc et les quatre membres » (pour utiliser une bonne vielle formule scolaire de chez nous)…

Le Jihad du Sénégal
LA « TÊTE » DU JIHAD

La tête de proue du conflit malien est constituée, à notre sens, des combattants dits « jihadistes ». Les véritables motivations de ces derniers nous paraissent, à l’analyse, assez hétérogènes (pour ne pas dire hétéroclites). Car allant des partisans sincèrement convaincus de la nécessité de créer un « Africanistan » islamique au nord du Mali, aux « narco-jihadistes » soutenus par des officiers algériens (affidés des cartels mafieux colombiens), en passant par les nationalistes ethniques touaregs (rêvant d’un Etat autonome le long de l’Azawad), les combattants de Boko Haram, du MUJAO, de AQMI (entretenant des accointances réelles ou supposées avec certains services de renseignements) etc. De même ces motivations nous semblent-elles, le plus souvent, très discutables et même préjudiciables à l’Islam et aux populations autochtones. L’argument du jihad religieux lui-même, exercé en dehors des conditions juridiques explicitement fixées par l’essentiel des jurisconsultes musulmans (comme la légitime défense, l’unicité de l’autorité etc.), en référence aux sources de base que sont le Coran et la Sunna, nous paraît également contestable.

Mieux, force est de constater qu’aujourd’hui, dans l’essentiel des foyers de tension du monde, l’argument religieux est devenu un simple et dangereux prétexte, recouvrant bien souvent (ou venant se greffer à) d’autres causes politiques, économiques, ethniques etc. véritablement à la base de ces conflits. Altérant davantage du coup l’image de l’Islam, celle du noble concept de Charia (qui se trouve ainsi galvaudé et …amputé de sa profonde dimension éthique et socioculturelle) et, à terme, l’intérêt même des musulmans. C’est probablement pour dénoncer ces récupérations ou amalgames nuisibles à la cause de l’Islam que le soufi et résistant sénégalais, Cheikh A. Bamba (1853-1927), considéré comme un apôtre majeur de la non-violence musulmane, écrivait déjà en 1884 : « Certains ont été abusés par leur Jihad qui les pousse à s’acharner contre les êtres humains. Persécutant continuellement leurs semblables, ils les assaillent régulièrement, dans l’unique but d’acquérir plus d’honneur et plus de richesses. Prétendant élever ainsi la Voix de Dieu, ils ne visent en réalité que la notoriété [et d’autres avantages matériels], rien d’autre. Ainsi reviennent-ils de leurs [soi-disant] Jihads couverts de pêchés et de méfaits, avec toute leur armée… » (Masâlikul Jinân, v. 795-798).

LE « TRONC » DE LA FRANCE

A cette tête de file, constituée par ce qu’il est convenu d’appeler, bien qu’improprement, l’« Internationale Jihadiste », il fallut bien greffer un tronc, donc un cœur, pour donner vie à Serval. Ce qui fut fait lorsque la France, qui en symbolise le torse bombé (à défaut d’en être la « tête pensante »), décide d’arrêter, à travers son intervention militaire, l’avancée des « terroristes » à Konna. Ce seul argument du combat contre le « terrorisme », ou même contre le « Mal » (pour user d’un épouvantail cher à Bush fils), bien que compréhensible sous certains rapports (les prises d’otages et les attentats sont là pour nous le rappeler), n’en demeure pas moins également relativisable ; du moins tel que présenté. Dans la mesure où il tend surtout à occulter bien d’autres motivations et intérêts (que les officiels ne citent jamais, assez éloquemment) d’ordre géostratégique (comme la position particulière et la superficie de la zone occupée, le danger de céder ladite zone à des groupes armés informels etc.), d’ordre politique (leadership de l’ancienne colonie, de plus en plus contestée dans son précarré par la Chine, les USA etc.), d’ordre économique (énormes richesses en perspective du sous-sol nord-malien, proximité avec d’autres zones « utiles » de l’Afrique, surtout en regard des futures crises fossiles et naturelles en vue), d’ordre idéologique etc.

Pire, les responsabilités, directes ou indirectes, des puissances occidentales dans la gestation de la crise (à travers les rapports incestueux avec le MNLA, la faillite au « devoir de gérance humanitaire » post-conflit libyen qui devait normalement être le pendant du « devoir d’ingérence humanitaire » des bombes, les accointances souterraines de la classe politique française avec l’argent des dictateurs etc.) nous semblent très évidentes. Tant il est devenu malheureusement vrai, de nos jours, que les arguments officiels de protection des droits de l’homme, des valeurs humanistes, de démocratie et de moralité anti-terroriste ne sont invoqués par les grandes puissances que lorsque d’autres valeurs et intérêts matériels sont en jeu. Comment, autrement, comprendre que ces mêmes puissances tardent encore à intervenir en Syrie (où des dizaines voire des centaines de victimes innocentes tombent tous les jours sous les bombes non moins « terroristes » de Assad, sachant que, bien souvent, des vétos unilatéraux ont allègrement outrepassé, si besoin fut, les vetos onusiens), n’astreignent pas le gouvernement israélien à arrêter l’oppression régulièrement meurtrière du peuple palestinien, que le tapis rouge puisse être pompeusement déroulé pour Khadafi ou un Ben Ali, tant que leur pétrole et les flots de leurs financements occultes continuaient de couler sur les perrons démocratiques ?

Tout cela pour dire que, au-delà des motivations visibles et à la limite trop simplistes, d’autres types d’enjeux (pétroliers, gaziers, miniers, politiques etc.) de différents pays (Mali, France, Qatar, Algérie, USA etc.) doivent être sérieusement pris en compte par les sénégalais pour bien appréhender le conflit malien. C’est certainement ce genre d’intérêts, qui président aux décisions des grandes puissances et qui n’ont rien à voir avec un quelconque « humanisme » de bon aloi, que dénonçait déjà Cheikh A. Bamba, victime en son temps de leur ostracisme : « [Sachez que les colons ont été égarés par] Satan qui les a menés vers la désobéissance, l’audace et la perdition. Il les a leurrés de par son stratagème, au point qu’ils se sont mis à parcourir, avec insolence, le monde entier et à opprimer [les peuples]. Cependant ceux [d'entre les indigènes africains] qui ne suivent que leurs passions et les ignorants en sont arrivés à penser qu’ils sont d’un genre supérieur et dotés d’une suprématie naturelle. (…) » (Ilhâmu Salâm)

LES « MEMBRES » DE L’AFRIQUE

C’est précisément ce genre de complexes envers l’ancien maître, dénoncés avant l’heure par ce résistant soufi, la faiblesse et, même souvent, l’irresponsabilité de nos « Etats indigènes » africains qui font que, malgré ces prétentions de « real politik » de la France et de la « communauté internationale », la légitimité de son action militaire au Mali ne saurait être rejetée. Car, tant que les africains s’avéreront incapables de gérer eux-mêmes leurs propres crises et problèmes, comme l’ont tristement confirmé les tergiversations infinies des Etats composant la CEDEAO (qui représentent ainsi les quatre membres de Serval, obéissant passivement aux contorsions de la tête et du tronc), les protestations des « activistes panafricanistes » contre le néocolonialisme resteront profondément creuses et même, quelques fois, démagogiques. Aurions-nous, en effet, fait la fine bouche intellectuelle, en refusant « dignement », par exemple, d’être libérés avec l’aide précieuse de l’armée française, si jamais nous nous trouvions en ce moment même à la place des citoyens maliens dont le pays est partitionné en deux et qui vivent sous la menace de groupuscules imprévisibles, sans même une armée nationale digne de ce nom pour défendre nos familles et nos biens ? Où en serions-nous actuellement avec la guerre civile en Cote d’Ivoire, si, avant Serval, les armées de « l’Empire » n’avaient pas réussi, avec Licorne, et quelle que soit l’imperfection de la situation actuelle, à neutraliser l’une des parties en cause ? C’est donc dire que la « mission libératrice » actuelle de la France en Afrique, qui a pris le relais de sa « mission civilisatrice », constitue, tant que perdurera l’incurie des Etats africains et de leurs élites, un mal nécessaire et un « fardeau » de loin plus bénéfique à leurs peuples. Même si ces peuples risqueront d’en payer encore le prix fort pour plusieurs générations…

SERVAL ET LE LION

L’Etat sénégalais, en décidant d’envoyer nos propres frères sur ce terrain, semble avoir pris la pleine mesure de la menace d’un précédent qui déstabiliserait à terme toute la sous-région. La légitimité de gérer de manière proactive ce risque, en défendant avant tout les intérêts de notre pays (le Sénégal, comme la France, ayant aussi, à vrai dire, plus d’intérêts que d’amis, n’en déplaise à nos anti-néocolonialistes locaux), ne saurait ainsi, sous ce regard, être contestée. Et celle de faire corps avec nos frères et nos fils envoyés au front, dont la vie se trouve ainsi exposée, rend presque sacrée cette solidarité que nous tous, au-delà de nos appartenances particulières et de nos idéologies, avons le devoir de manifester dans les jours ou mois à venir (prions dorénavant, à travers nos pratiques cultuelles, le Seigneur de les placer sous Sa Tutelle, de même que leurs autres frères).

Le Jihad du Sénégal
Mais au-delà de cet impératif basique de solidarité et de responsabilité citoyenne que commande l’unité nationale, l’on ne saurait toutefois donner un blanc-seing absolu à nos dirigeants qui, au nom de ces principes à priori nobles, peuvent adopter des attitudes ou tenir des discours aux conséquences préjudiciables, à terme, à cette même nation.

C’est ainsi que, même si l’on peut aisément comprendre le sens de sa récente sortie, en tant que Chef d’Etat soucieux de prévoir d’éventuels impacts sécuritaires sur notre propre sol de l’engagement militaire de ses troupes, nous pensons que l’appel du président de la République aux populations « à dénoncer (…) toute présence suspecte d’individus dans leurs localités » et sa déclaration « Nos références en islam nous conviennent parfaitement, nous n’avons rien de plus à recevoir de qui que ce soit venant d’ailleurs » méritent d’être mieux analysés et même relativisés. En effet, l’un des risques majeurs qu’une interprétation biaisée de ce genre d’appels publics et officiels peut susciter (surtout au cas où les esprits seraient surchauffés et les psychoses exacerbées par d’éventuelles conséquences sanglantes de la guerre chez nous) est le rejet violent de toute obédience religieuse apparentée, dans l’imagerie populaire, au « salafisme » (comme les courants dits « sunnite », « wahhabite » etc. que les sénégalais fusionnent dans le vocable générique de « Ibadou »). Risque d’autant plus élevé que les divergences idéologiques et doctrinales qui opposent la majorité soufie de notre pays à cette minorité non soufie sont souvent profondes et mènent à des incompréhensions qui, amplifiées sans retenue, peuvent s’avérer très dommageables pour notre pays. L’histoire ayant démontré que la férocité excessive des prêches publics contre un camp donné a souvent entraîné des réactions violentes qui ont failli, quelques fois, mener au pire.

Ainsi, même s’il s’avère légitime que le Sénégal, par la voix du représentant le plus élevé de son Etat, magnifie (enfin) l’œuvre de ses « références en islam », qui symbolisent ses vrais « pères fondateurs », car ayant bâti l’essentiel de son identité socioreligieuse soufie, l’on ne saurait non plus remettre en cause l’esprit de profonde tolérance de cette nation, également nourri par cette même tendance soufie, envers tous les courants de pensée (même le salafisme littéraliste), tant qu’ils respecteront la foi et l’intégrité des autres courants antinomiques. En effet, et il ne serait pas vain de le rappeler, les sénégalais partisans de ces courants ont bien le droit, c’est du moins notre conviction profonde, de contester l’authenticité de notre « aqida » soufie, ou la conformité de notre pratique religieuse avec la Sunna du Prophète (PSL), du moins d’après les sources auxquelles ils se réfèrent (et en se focalisant en général sur les imperfections inhérentes à tout système social, même les leurs), ou de critiquer notre attachement aux Saints de Dieu, qu’ils assimilent au shirk et au panthéisme de la période préislamique etc. Ils en ont parfaitement le droit. Comme nous aussi avons celui de récuser leur approche souvent sclérosée et une interprétation trop limitative, intolérante voire exclusiviste des textes de l’Islam, qui s’est abusivement donné le droit d’excommunier (Takfir) manu musulmani tout autre croyant ne partageant pas exactement leurs idées. Ces contradictions devant simplement rester dans le cadre du débat théologique, de la « da’wa » (prêche) et du prosélytisme que tout groupe religieux a légitimement le droit de mener, selon des règles de respect mutuel et de non agression délibérée des symboles et croyances différentes. Sans jamais, par exemple, aller jusqu’à œuvrer pour l’anéantissement total des autres obédiences par la violence physique ou verbale, comme y invitent malheureusement certaines tendances anti-soufies, à travers la destruction projetée de nos lieux symboliques, comme les mausolées des Saints, ouvrant de facto la porte aux représailles les plus inouïes.

L’existence avérée de ces tendances totalitaires dans notre pays (bien que dissimulant habilement leurs prétentions réelles, à travers une sorte de « houdna » ou trêve stratégique) doit être bien gérée et même anticipée, force est d’en convenir. A condition seulement de le faire dans un cadre réglementaire ne remettant pas en cause certains droits élémentaires et la liberté de culte garantis par la Constitution, ou de nature à favoriser la stigmatisation gratuite de nos minorités religieuses et, ce faisant, leur « clandestinitisation » progressive. Ce « pacte de non agression » entre communautés, qui s’oppose aux extrémismes de tous bords, attisant souvent et inutilement le feu des contradictions classiques, devrait non seulement être garanti par l’Etat, mais consolidé par la culture de la fraternité musulmane, de l’acceptation de l’autre et de l’ouverture prônée par les membres éclairés de ces communautés. Une préoccupation que tous les leaders religieux responsables du Sénégal, aussi bien soufis que non soufis (pourquoi pas même d’autres religions?), pourraient dès à présent tenter de matérialiser à travers, par exemple, la programmation d’une série de rencontres et d’échanges sur le conflit malien et ses éventuelles conséquences sur notre pays. En vue, par exemple, de la création d’une structure (genre « Comité Consultatif Religieux pour la Stabilité du Sénégal ») officiellement chargée, avec l’appui de la puissance publique, de faire un monitoring précis du conflit, d’émettre des recommandations régulières sur les aspects purement religieux et de gérer les crises ou amalgames suscités par d’éventuelles actions terroristes chez nous etc.

La « vigilance » à laquelle l’Etat sénégalais invite les chefs religieux et les autres citoyens ne doit donc pas se résumer à une mise en garde de nature à susciter l’exacerbation de la méfiance envers des frères musulmans ne partageant pas nos idées (cette vigilance envers les infiltrations relevant d’ailleurs plus du ressort des services de sécurité et de renseignements que de la seule délation). Se suffire des enseignements de Cheikh A. Bamba, de El Hadj Malick Sy etc. ne signifie pas non plus rejeter systématiquement et totalement tout enseignement émanant de Muhammad ibn Abdul Wahhab, d’Ibn Taymiyya et de Saydil Qutb (à part, naturellement, certains point de doctrine fondamentaux que nous ne partageons pas). Car la connaissance, c’est d’abord l’ouverture et l’enrichissement mutuel éclairé, dans la préservation des acquis et en dehors de toute animosité ou autosuffisance mal placée. Il incombe plutôt à ces religieux de favoriser, comme ils ont toujours essayé de le faire jusqu’ici, une meilleure compréhension des principes religieux chez les masses, de les éduquer selon les préceptes d’éthique, de tolérance et d’amour du prochain légués par leurs illustres devanciers, et d’éviter au mieux les discours ou manipulations qui divisent davantage les musulmans et les affaiblissent, en les jetant les uns sur les autres. Un tel affaiblissement mutuel serait d’ailleurs la meilleure voie pour favoriser un jour des lois « islamicides » qui donneront enfin libre cours à un projet de société où leurs croyances communes et les valeurs partagées n’auraient nul droit de cité. La tentation de nos Etats de faire de l’ « Islam sénégalais » soufi un bouclier contre l’ « extrémisme salafiste », aussi compréhensible et légitime soit-elle, ne doit point mener à l’exagération des antagonismes entre musulmans, infiniment plus dévastatrice à terme pour notre pays. Le vrai danger de Serval, sous ce rapport, est qu’il se transforme en bombe à fragmentation dont les éclats continueront, des décennies après la fin du conflit, de brûler par ricochet, à petit feu, d’autres pays dont l’architecture socioreligieuse fut déstabilisée durablement par les effets collatéraux du conflit malien…

LE JIHAD POUR LA PAIX

Dans un tel contexte d’exacerbation latente des tensions et des antagonismes, le meilleur combat auquel les leaders musulmans sénégalais devraient dorénavant et davantage s’engager nous semble être celui de la « Science et de la Crainte de Dieu (Taqwa) ». « Jihad » auquel s’était consacré toute sa vie un de leurs illustres précurseurs, Cheikh A. Bamba, combat mené dans une période pareillement trouble pour le pays et qui lui valut de rester, plus d’une centaine d’années après sa disparition, dans notre mémoire collective : « Mon Jihad se fait par les sciences et la crainte de Dieu, en ma qualité d’esclave de Dieu et de Serviteur du Prophète ; en est Témoin le Seigneur qui régente toute chose. Alors que d’autres utilisent des armes [matérielles] pour être craints, mes armes à moi sont [la Connaissance et l’Adoration de Dieu] ; et ceci constitue assurément ma méthode de combat… »(Yâ Jumlatan)

Pour gagner cette « guerre de la science », il est certes important de baptiser nos infrastructures portuaires selon nos illustres figures religieuses, mais il est de loin plus essentiel, à notre avis, d’enseigner enfin leurs livres, leurs faits et gestes, leurs valeurs spirituelles, de non-violence, de fraternité et d’éthique dans nos écoles. En effet, n’existant d’armes plus efficaces pour lutter contre l’intolérance et les dérives que la connaissance authentique, le meilleur pesticide sur le terreau de l’ignorance et de l’obscurantisme, l’Etat ne devrait-il pas, parallèlement à l’envoi de « Jambars » au Mali, envisager celui de livres à l’école pour enseigner la doctrine non-violente de nos aïeuls ? Se suffire théoriquement de nos « références » est certes louable, mais penser à s’inspirer enfin de leurs véritables enseignements, au plan politique, juridique, économique, culturel et social, pour bâtir une nation moderne et profondément ancrée dans les saines valeurs qu’ils ont léguées, nous semble plus conséquente que de persister dans une approche instrumentale de la laïcité qui n’appréhende, au fond, la chose religieuse que sous l’angle utilitariste des viviers électoraux ou des sapeurs-pompiers dont les « ndigël » envers les masses, décriés en temps de paix, ne sont requis que lorsqu’il s’agit de stabiliser le pays et de le sortir de l’ornière des crises. Dans cet ordre d’idées, il sera essentiel à notre peuple, dans le cas d’espèce, de bien comprendre les vrais enjeux occultés du conflit malien (comme décrits plus haut) pour ne pas se laisser naïvement tromper par certains couverts faussement religieux de la guerre du Mali, à même de remuer notre « fibre islamique », ni non plus par un anti-occidentalisme grossier et indissocié, dans la perspective de la redéfinition constante des relations et intérêts stratégiques communs dans un contexte de mondialisation.

Pour gagner la « guerre de la crainte de Dieu » (notre plus grand ennemi restant Satan, le « rebelle »), qui seule pourra préserver à terme l’humanité, donc le Sénégal, le « Jihad de l’éducation » de notre jeunesse et du peuple en général s’avère capital. En d’autres termes, organiser notre société et la munir de tous les instruments moraux à même de combattre le libertinage galopant, l’indécence banalisée, les antivaleurs médiatisées, l’immoralité encouragée, la corruption avalisée, l’incivisme adopté. N’est-il pas choquant que, dans un pays qui se dit à plus de 90% musulman, les lois autorisent encore la prostitution et d’autres types de dépravations flagrantes, que nos médias soient quotidiennement submergés de pornographie à peine déguisée et de contre-modèles, pour ne pas dire d’anti-modèles, grossiers ? Nos croyances, en tant que musulmans ou chrétiens, ne nous invitent-elles pas d’ailleurs à nous prémunir contre les méfaits de la guerre au Mali et d’autres périls en vue, en adoptant une attitude morale ne nous exposant pas à la Colère divine ? Pour cette bataille de l’éthique et de la « Nouvelle Conscience Morale », les religieux se doivent de demeurer eux-mêmes des modèles de vertu et d’intégrité, mais non des élites évidées et sans vision, en restant constamment à l’avant garde du Combat pour les vraies valeurs dans notre pays. En revendiquant, par exemple, l’envoi de « Jambars » de la religion au front d’un organe de contrôle des contenus indécents, comme le CNRA, qui compte actuellement en son sein, ce qui est incompréhensible, tous les corps de métiers de la culture (artistes, écrivains etc.) mais aucun acteur religieux pour défendre ces valeurs morales et religieuses ?

A quand donc l’envoi par la République de vaillants « Jambars » sur le front de la « Guerre pour la science et de la crainte de Dieu », rampe de lancement vers le Jihad (effort) pour le vrai développement et le Progrès ?