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Le Sénégal continue de payer les années Wade - Par Madiambal Diagne

Le sentiment le mieux partagé, vendredi dernier à Cotonou, était la stupéfaction. Tout le monde avait considéré que les dés étaient jetés, que le Sénégal allait remporter le bras de fer qui l’opposait au Niger pour le contrôle de la présidence de la Commission de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa) ; que le candidat du Sénégal, l’ancien Premier ministre Cheikh Hadjibou Soumaré, président sortant, allait être reconduit. La fermeté affichée par le Sénégal pour faire de ce poste une chasse gardée avait été bien comprise par les autres délégations membres de l’organisation communautaire sous-régionale. Des pays comme la Côte d’Ivoire et le Bénin étaient à l’aise d’autant que cela leur permettait de garder les postes qui leur sont dévolus dans la distribution des responsabilités au sein des différents organes et institutions communautaires.


Rédigé par leral.net le Lundi 11 Janvier 2016 à 09:58 | | 24 commentaire(s)|

Le Sénégal continue de payer les années Wade - Par Madiambal Diagne
Une règle non écrite voudrait notamment que le poste de gouverneur de la Banque centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest (Bceao) revienne à la Côte d’Ivoire, que la présidence de la Banque ouest-africaine de développement (Boad) aille au Bénin et la présidence de la Commission de l’Uemoa au Sénégal. Félix Houphouët Boigny, Henri Konan Bédié ou Robert Guei se sont toujours montrés intransigeants sur le poste de gouverneur de la Bceao. Laurent Gbagbo disait à ses pairs chefs d’Etat que «la Côte d’ivoire, qui a plus d’argent dans le coffre-fort, s’arroge le droit d’en garder les clefs». Alassane Dramane Ouattara est resté sur la même ligne. Le Bénin a également refusé tout système de rotation à la présidence de la Boad. Seul le Président Abdoulaye Wade avait décidé, de lui-même, de céder à un autre pays la présidence de l’Uemoa. Moussa Touré avait alors été remplacé en 2004 par le malien Soumaïla Cissé, car le Sénégal disait ne pas représenter la candidature de cet ancien ministre de l’Economie et des finances du Président Abdou Diouf.

Ce «sacrifice» avait provoqué un tollé au Sénégal, qui constitue pourtant la deuxième économie de l’espace de l’Uemoa. Ainsi, au moment où Soumaïla Cissé devait quitter ses fonctions, Abdoulaye Wade s’était fait fort de chercher à reconquérir le poste pour son ancien Premier ministre Cheikh Hadjibou Soumaré. Le Mali voulait garder le poste tandis que le Niger pensait que son heure était arrivée. Tout le Sénégal savait que le Président Abdoulaye Wade avait promis qu’après le mandat de Cheikh Hadjibou Soumaré, il laisserait le poste à un ressortissant du Niger. Néanmoins, en perspective de la 19ème session du Sommet des chefs d’Etats de l’Uemoa qui coïncide avec le renouvellement du mandat des commissaires, le Sénégal voulait continuer de garder la main. Le Président Macky Sall, qui a succédé à Abdoulaye Wade, l’avait fait savoir à ses pairs lors d’un sommet qu’il avait présidé à Dakar en 2013. Le chef de l’Etat du Sénégal n’avait pas fait mystère de ses intentions. Cheikh Hadjibou Soumaré pouvait ne pas être le candidat personnel ou préféré de Macky Sall, mais il demeurait le candidat du Sénégal.

Issoufou Mahamadou, président de la République du Niger, ne l’entendait pas de cette oreille. Comme pour éviter les conciliabules, il était arrivé à Cotonou le matin même de l’ouverture du sommet, donc après tous ses pairs. Le Président nigérien a affiché une mine renfrognée et est resté de marbre durant toute la cérémonie protocolaire, se gardant même d’applaudir les allocutions prononcées par le ministre sénégalais de l’Economie, des finances et du plan, Amadou Ba, en sa qualité de président du Conseil des ministres de l’Uemoa et du président sortant de la conférence des chefs d’Etat, le Béninois Thomas Boni Yayi. L’atmosphère était lourde et on pressentait un clash au cours du huis clos entre les délégations. Cela n’a pas manqué. Les discussions étaient âpres entre le Sénégal et le Niger, au point que les chefs d’Etat décidèrent de demander aux ministres et autres commissaires de vider la salle. Alors Mahamadou Issoufou sortira sa botte secrète pour confondre Macky Sall. Il brandit un Acte additionnel du Traité de l’Uemoa, dûment signé en 2011 par Abdoulaye Wade, président de la République du Sénégal, et au terme duquel le poste devrait revenir au Niger à l’issue d’un mandat unique de quatre ans de Cheikh Hadjibou Soumaré. Macky Sall pouvait-il s’opposer à un engagement écrit de son prédécesseur et renier ainsi la parole du Sénégal ? Sans doute que non.

Un citoyen sénégalais, haut fonctionnaire de l’Uemoa, de se montrer philosophe : «C’est comme si le président Sall refusait d’endosser les dettes contractées par son prédécesseur.» C’est alors un retournement extraordinaire de situation qui s’est provoqué. Macky Sall devra alors négocier une transition de six mois pour Cheikh Hadjibou Soumaré et obtenir dans la foulée que le Niger lui cède son poste de vice-gouverneur de la Bceao. La frustration était grande du côté de la délégation sénégalaise, mais il n’y avait pas de place à la colère. Les Ivoiriens qui n’étaient jamais dupes vis-à-vis des manœuvres du président Wade qui, il faut le dire, avait des visées sur le poste de Gouverneur de la Bceao, se feront le devoir de distiller dans les couloirs du Palais des Congrès de Cotonou que leur pays continuera de garder la Banque centrale. En effet, souffle un membre de la délégation du Président Ouattara, il ne viendrait à l’esprit d’aucun chef d’Etat américain de lâcher la présidence de la Banque mondiale ou à un dirigeant européen de laisser le poste de Directeur général du Fonds monétaire international (Fmi) tomber entre des mains autres que celles d’un(e) Européen(e).

Le Sénégal paie ainsi cash et au prix fort, les errements de Abdoulaye Wade. Il en est de même au niveau de la Commission de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) qui siège à Abuja, où le Sénégal, en dépit de son poids réel au niveau de la Cedeao, s’était vu réserver le poste de commissaire chargé du développement humain et du genre. Il s’agira pour le successeur de Abdoulaye Wade de mener d’autres combats pour obtenir les positions les plus convenables à la diplomatie sénégalaise dans les instances communautaires.