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Le débat sur la révocation de Khalifa Sall tranché par un expert en droit.

Les débats à forte connotation juridique ouverts dans l’espace public sénégalais, sont autant d’éléments qui forgent le mode de pensée des étudiants en droit. Lesquels suivent passionnément ces réflexions doctrinales dans les médias, et notamment, par voie de presse. Toutefois, certains débats méritent d’être tranchés juridiquement afin de ne pas induire en erreur l’opinion publique.


Rédigé par leral.net le Vendredi 7 Septembre 2018 à 14:22 | | 0 commentaire(s)|

Le débat sur la révocation de Khalifa Sall tranché par un expert en droit.
En effet, on sait que des juristes, avocats, professeurs de droit, militants des droits de l’homme, et même, le ministre de la justice…ont pris part au débat sur la révocation du maire de Dakar M. Khalifa Sall. Mais, sur ce point précis, je dois avouer que c’est le Ministre de la justice qui a raison : la révocation du maire de Dakar est bien légale.

À cet égard, je précise qu’un cas assez similaire s’était déjà posé en droit comparé, en particulier en droit français, dans le cadre de la révocation par décret du maire de la Commune de Koungou M. Ahmed B. En effet, dans cette affaire, le Conseil d’État français rappelait clairement que :

« (…) la procédure disciplinaire étant indépendante de la procédure pénale, l'autorité administrative ne méconnaît pas le principe de la présomption d'innocence, y compris dans l'hypothèse où c'est à raison des mêmes faits que sont engagées parallèlement les deux procédures, en prononçant une sanction sans attendre que les juridictions répressives aient définitivement statué. », CE., 10e et 9e sous-sections réunies, 7 novembre 2012, M. Ahmed B.

« Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que la mise en examen de M. B est fondée sur des faits d'aide au séjour irrégulier des étrangers, d'usage de faux et de corruption ; que si le requérant se prévaut, ainsi qu'il a été dit, de la présomption d'innocence, il ne conteste pas (…) la matérialité des faits qui lui sont reprochés ; (…) qu'ainsi, et eu égard tant à la gravité des faits en cause qu'à l'incapacité dans laquelle M. B se trouvait d'exercer durablement ses fonctions de maire, le décret attaqué n'a pas fait une inexacte application des dispositions (…) du code général des collectivités territoriales en prononçant sa révocation. », CE., 10e et 9e sous-sections réunies, 7 novembre 2012, préc.


De même, la jurisprudence du Conseil constitutionnel français a déjà indiquée à propos de la révocation dudit maire que :

« Considérant que les dispositions contestées ont, ainsi qu’il résulte de la jurisprudence constante du Conseil d’État, pour objet de réprimer les manquements graves et répétés aux obligations qui s’attachent aux fonctions de maire et de mettre ainsi fin à des comportements dont la particulière gravité est avérée ; que, dans ces conditions, si les dispositions contestées instituent une sanction ayant le caractère d’une punition, l’absence de référence expresse aux obligations auxquelles les maires sont soumis en raison de leurs fonctions ne méconnaît pas le principe de la légalité des délits. », Cons. Const., Décision 2011-210 QPC – 13 janvier 2012, M. Ahmed S.

« Considérant que les dispositions contestées permettent de prendre des sanctions contre le maire qu’il ait agi en qualité d’agent de l’État ou d’autorité exécutive de la commune ; que l’institution de sanctions réprimant les manquements des maires aux obligations qui s’attachent à leurs fonctions ne méconnaît pas, en elle-même, la libre administration des collectivités territoriales ; que la suspension ou la révocation, qui produit des effets pour l’ensemble des attributions du maire, est prise en application de la loi ; que, par suite, les dispositions contestées ne méconnaissent pas la libre administration des collectivités territoriales. », Cons. Const., Décision 2011-210 QPC – 13 janvier 2012, préc.

Par conséquent, eu égard à la jurisprudence tant administrative que constitutionnelle, on ne peut pas considérer en l’espèce que le président de la République Macky Sall ait commis une illégalité en révoquant le maire de Dakar M. Khalifa Sall ; nonobstant le pourvoi en cassation devant la Cour suprême.

Il n’y a pas d’erreur non plus sur la base juridique utilisée par l’exécutif pour motiver sa décision (articles 135 et 140 de la loi n° 2013-10 du 28 décembre 2013 portant Code général des Collectivités locales).

De même, en droit, il n’y a pas de corrélation entre la révocation et l’éventuelle condamnation ou non de M. Khalifa Sall en justice. Ce sont deux choses très distinctes juridiquement.

Donc, sur la question de la révocation, la décision du pouvoir exécutif est légale. Même si je continue d’espérer que M. Khalifa Sall sera libéré et qu’il prendra part aux élections présidentielles du 24 février 2019, au même titre de M. Karim Wade, entre autres, pour une élection apaisée.

Alioune GUEYE
Professeur de Droit public,
Expert au F.R.S. – FNRS (Belgique),
Membre du Comité scientifique à la Revue juridique et politique des États francophones (France),
Membre du Comité scientifique à la Revue québécoise de Droit international public (Canada),
Ancien A.T.E.R en Droit public, Rang 1er (France).


Ndèye Fatou Kébé