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Législatives au Sénégal: le décryptage de Maurice Soudieck Dione

Comment interpréter la composition de la 13e législature sénégalaise ? Maurice Soudieck Dione, enseignant-chercheur en sciences politiques à l’université Gaston-Berger de Saint-Louis, décrypte pour RFI, les résultats et la physionomie de la nouvelle Assemblée nationale du Sénégal.


Rédigé par leral.net le Mardi 8 Août 2017 à 21:57 | | 0 commentaire(s)|

Les résultats provisoires des législatives au Sénégal du 30 juillet  doivent encore être validés par le Conseil constitutionnel - d’autant que le camp de Khalifa Sall a déposé des recours . Selon ces chiffres, le camp présidentiel a remporté 125 sièges de députés sur 165, 19 députés ont été élus pour la coalition de l’ex-président Abdoulaye Wade, et 7 pour l’autre grande coalition de l’opposition, dirigée par le maire de Dakar Khalifa Sall.

RFI : La large victoire de la coalition de la majorité présidentielle  - « Benno Bokk Yakaar » - est-elle le signe d’une forte adhésion à la politique du pouvoir ou une conséquence du morcellement de l’opposition ?

Maurice Soudieck Dione : La victoire écrasante de la coalition autour du président de la République Macky Sall - « Benno Bokk Yakaar », c’est-à-dire « S’unir autour d’un même espoir » -, s’explique par plusieurs raisons.

D’abord le mode de scrutin, qui est un scrutin majoritaire à un tour sur la base duquel 105 députés sur 165 sont élus. La majorité au pouvoir n’a obtenu que 49,48% des suffrages exprimés, et avec cela elle obtient 125 députés. Ce qui veut dire qu’il y a une amplification du triomphe du vainqueur, liée au mode de scrutin.

Mais il y a également le morcellement de l’opposition, parce que si les partisans de Me Abdoulaye Wade et de ceux du maire de Dakar s’étaient réunis , les résultats auraient été meilleurs, notamment dans la capitale. Lorsqu’on réunit le score obtenus par les deux coalitions, on obtient une victoire de l’opposition.

Pour vous, cette large victoire n’est donc pas forcément synonyme d’une adhésion tout aussi large à la politique du pouvoir ?

Je pense qu’il faut faire la part des choses. C’est vrai qu’il y a des programmes comme le PUDC [Programme d'urgence de développement communautaire] qui est un programme pour développer et installer des infrastructures dans le monde rural. Tout cela peut susciter l’adhésion du monde rural.

Mais il faut dire que dans les villes, le mécontentement est réel, le chômage est réel, la pauvreté ne recule pas, malgré un taux de croissance de 6 et quelque %. Mais la croissance ne se mange pas. Les Sénégalais ont encore du mal à en percevoir concrètement les fruits dans le panier de la ménagère.

La coalition autour d’Abdoulaye Wade est arrivée seconde. Le Parti démocratique sénégalais (PDS) est-il toujours présent dans ses anciens bastions, notamment la Vallée du fleuve, dans le nord du pays, et la Casamance, dans le sud ?

Le PDS, on peut dire qu’il est encore très présent. Mais encore une fois, je vous disais que le mode de scrutin dénature un peu la représentativité des uns et des autres, puisque avec une seule voix de différence seulement, on rafle tous les sièges.

Mais le Parti démocratique sénégalais reste encore présent en Casamance. Sauf que, dans la Vallée du fleuve, le département de Dagana - où le coordinateur du PDS [Oumar Sarr , NDLR] a toujours imposé sa loi depuis 1996 -, a été gagnée par la coalition Benno Bokk Yakaar. A Touba, la ville sainte des mourides [l'une des principales confréries musulmanes au Sénégal, NDLR], Abdoulaye Wade a eu un score remarquable, malgré toutes les perturbations qu’il y a eues par rapport au vote dans cette cité religieuse.

Le retour d’Abdoulaye Wade pour mener personnellement campagne, est-il un signe que sa succession n’est pas réglée ?

Il y a toujours eu une très forte personnalisation du pouvoir au Parti démocratique sénégalais. Avec cet inconvénient que cela a toujours été cette stratégie, « après moi le déluge ».

Tous ceux qui avaient des ambitions présidentielles au PDS ont été écartés à la faveur de Karim Wade, le fils du président. Et aujourd’hui, on se retrouve dans une situation où il y a une incertitude à la fois politique et juridique qui plane sur le déroulement de la carrière de Karim Wade, sans pour autant que Me Abdoulaye Wade ait eu le temps, ou peut-être la volonté, de former quelqu’un d’autre pour lui succéder.

Cela explique qu’on ait eu recours à Abdoulaye Wade à 91 ans, pour venir diriger la liste. Cela montre que le PDS aurait eu des résultats beaucoup plus faibles, je pense, si maître Abdoulaye Wade n’avait pas été sollicité.

La victoire - contestée - de la coalition présidentielle à Dakar  marque-t-elle un coup d’arrêt pour Khalifa Sall, le maire emprisonné actuellement, mais présenté comme candidat sérieux contre Macky Sall en 2019 ?

La situation est assez complexe, pour ne pas dire compliquée pour le maire de Dakar. C’est-à-dire que s’il avait réussi à préserver la coalition Manko Taxawu Sénégal originelle, qui regroupait ses partisans et ceux d’Abdoulaye Wade, aujourd’hui il aurait gagné haut la main la capitale.

Plutôt que de se focaliser sur la tête de liste nationale, il aurait fallu que Khalifa Sall fut investi à la liste départementale pour engranger les voix de la coalition de Me Wade et les voix de ses partisans. Et donc avoir une victoire haut la main sur la capitale, remporter les 7 sièges de Dakar, en plus des autres sièges. Cela aurait fait une victoire remarquable pour l’opposition, puisqu’il aurait prouvé qu’il est encore le maître de Dakar. Mais enfin, la défaite de Dakar va porter un coup dur aux ambitions de Khalifa Sall.

Les figures religieuses ont-elles posé dans l’élection ?

La surprise électorale a été le PUR, le Parti pour l’unité et le rassemblement, qui s’est classé 4e. Il faut dire que c’est un parti qui a été créé en 1999 et qui traduit une évolution dans le contrat social sénégalais entre le pouvoir politique et le pouvoir religieux.

En effet, les marabouts ont toujours appelé à voter massivement au profit du parti au pouvoir, en contrepartie de ressources matérielles et symboliques. Mais avec la crise économique et le développement de la citoyenneté, les marabouts ont développé d’autres stratégies qui vont consister à confondre dans leur personne, le statut de chef de parti politique et de chef religieux, tout en laissant la formation politique généralement à un homme lige qu’il contrôle pour s’éviter d’être discrédité par une déconfiture électorale éventuelle.

Et qui est le religieux derrière ce parti ?

C’est Serigne Moustapha Sy, fils du Khalife général décédé récemment, Cheikh Tidiane Sy Al Makhtoum, qui a fondé le Dahiratoul Moustarchidine Wal Moustarchidaty, c’est un mouvement religieux et on a vu qu’avec le déclin des consignes de vote, ils sont donc entrés directement dans le jeu. Et il faut dire également que ce parti-là, était le soutien du maire de Dakar à l’époque.

RFI


Alain Lolade