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Les Castes: Entre Féodalité et République !

Il est consternant, dans une république, d’entendre qu’un élu local a été évincé de son mandat à partir de considérations liées à son appartenance à une caste soit disant inférieure. C’est en 2014, au Fouta, dans le Sénégal du 21ème siècle !


Rédigé par leral.net le Mardi 6 Janvier 2015 à 10:15 | | 0 commentaire(s)|

Les Castes: Entre Féodalité et République !
Les castes, secret honteux de notre culture, sont souvent évoquées avec condescendance par ceux qui ont décrété leur supériorité sur un segment de la société ou avec pudeur par d’autres qui cherchent parfois à l’oblitérer de notre conscience collective. De telles attitudes sont révélatrices de l’embarras des uns et surtout de l’ignorance des autres quant aux valeurs fondatrices des castes et leurs fonctions de régulation et d’équilibre des échanges économiques et sociaux.

Il est vrai que nos organisations sociales en mutation souvent, comme des « métamorphoses inachevées nous installent dans l’hybride » (Cheikh Hamidou Kane) ou engendrent des monstres que nous avons du mal à maîtriser, parce que gérés en dehors de leur historicité. Tentative de sublimation? Non ! Il s’agit tout simplement d’appréhender le phénomène objectivement en le replaçant dans l’histoire, dans la société pour le libérer de volontés de puissance et de domination en quête de légitimité.

Les fonctions assumées hier par les « castes inférieures » sont encore omniprésentes et opératoires dans notre quotidien. En effet, chaque jour, grâce à leur dextérité et ingéniosité, nos bijoutiers, cordonniers, Laobés, tailleurs tisserands des temps modernes, composent des hymnes à l’élégance de la femme sénégalaise réputée pour sa grâce! Chaque jour le savoir-faire des forgerons en zones rurales ou périurbaines supplée miraculeusement aux carences technologiques d’une société qui a préféré l’imposture d’une supériorité factice à l’expression de sa gratitude à sa vraie classe ouvrière, celle-là qui assure sa survie et son confort quotidiens.

Dans Nations Nègres et Cultures Cheikh Anta Diop a su, avec sarcasme, émousser la morgue des « castes supérieures » des zones Soudano-Sahéliennes, qui une fois rendues dans le bassin du Bas-Congo, cèdent la place aux forgerons sur le destrier à l’allure altière pour accompagner à pieds, comme de vulgaires laquais ceux-là qui ont su maîtriser le fer en perçant le mystère du feu, ce feu qui, dans les steppes glaciales eurasiatiques, était le même enjeu de pouvoir, de domination et de survie ! D’ailleurs, cette même aire culturelle soudano-sahélienne est elle aussi traversée du mythe du roi forgeron redouté pour ses pouvoirs magiques parce que dépositaire du secret de la métallurgie.

Les événements du Fouta révèlent que ces angoisses et diabolisations ataviques de l’être maléfique sont aujourd’hui subtilement instrumentalisées par les féodalités locales pour écarter les rebelles irrévérencieux qui utilisent les valeurs et institutions de la République pour s’affirmer et bousculer un ordre social désuet.

Pourtant les pratiques nées des découvertes scientifiques des temps modernes et des biotechnologies devraient pouvoir dissiper les ténèbres de l’ignorance. Les miracles de l’ingénierie médicale actuelle par les greffes d’organes, la transfusion sanguine, la procréation assistée par mère porteuse ou les manipulations génétiques n’ont cure des orgueils identitaires hypertrophiés ou de l’origine du sang, fût-il bleu! Où allons-nous « en-caster » les menuisiers-métallistes, tôliers, menuisiers-ébénistes, forgerons et Laobés des temps modernes ? Allons-nous tout simplement pousser le ridicule en segmentant notre population d’ « Intouchables » en « néo-castes » et ainsi rivaliser avec l’Inde où il existe des sous castes de vendeurs de boutons ou de videurs de latrines ?

Que dire de la transhumance de ces « castes supérieures » qui aujourd’hui, toute honte diluée dans le réalisme et l’opportunisme économiques, achèvent leur métamorphose post-moderne en envahissant les créneaux porteurs de la coiffure, jadis réservés aux femmes « castées »? Il est vrai que quand cela nous arrange, il n’y a plus de sots métiers! Cependant, dans ce domaine et celui de la musique il y a des raisons de se réjouir que la métamorphose ait dépassé l’hybride pour élargir et enrichir le marché du travail de nouveaux talents jadis inhibés par des considérations décadentes.

Quand j’entends le vieux Mansour Mbaye ou son frère cadet Assane Ndiaye, griots de leur état, et fiers de l’être, décliner avec expertise et brio notre histoire politique, confrérique ou ludique, je comprends aisément la confusion qui s’empare de ceux qui les appellent « communicateurs traditionnels » ! Comme dans tout euphémisme, nous avons là une tentative de dissimulation d’un embarras par dilution linguistique, une autre métamorphose inachevée diriez-vous, une mutation gérée avec réticence. Or, ce sont des historiens que nos écoles et facultés devraient souvent inviter.
C’est le peintre Espagnol Goya qui nous rappelle dans un célèbre tableau que « le sommeil de la raison engendre des monstres »! Réveillons-nous donc pour nous libérer de l’étreinte de ces monstres surgis d’une féodalité moyenâgeuse.

Le visage des castes cessera d’être hideux lorsque nous apprendrons à en parler dans le sens de l’histoire, avec candeur, sans hauteur ni fausse pudeur pour mieux nous connaitre et mieux nous apprécier. Je fais partie de ceux qui ont professionnellement transhumé de ces « castes inférieures » vers « la néo-caste des professeurs d’anglais », par un suicide de classe imposé par l’histoire de la division sociale du travail, par l’apparition de nouveaux besoins et de nouveaux métiers par lesquels la société maintient son équilibre et son progrès! Heureusement Aliou, mon demi-frère cadet, a su garder la tradition familiale dans sa bijouterie achalandée de joyaux scintillants de beauté et mettre le secret du filigrane au service de l’élégance et de la finesse de toute la gente féminine, Torrodo, Maccudo, Tubalo ou autre, car la République, c’est l’inclusion de tous, la promotion de chacun selon ses mérites, le respect de l’humain en chacun et non l’exclusion de certains au nom des préjugés de caste, race ou classe. Le salut de tous est dans la République : ailleurs, c’est l’horreur!

Pour conclure, j’aimerais partager avec les farouches gardiens du temple des reliques féodales cette réflexion aussi subtile que caustique d’un des miens:

«N’eût été le forgeron dans un passé récent, peu de musulmans, Guèr ou Gnégno, (nobles ou roturiers) auraient pu réunir les conditions de pureté ou de propreté pour faire la prière!»

Mathiam Thiam

Inspecteur Général de l’Education et de la Formation
Formateur à la FASTEF
Département de Didactique de l’Anglais