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Les Niayes étouffent - Par Cheikh Ahmed Tidiane Sall

L’Homme et la Terre ont des rapports ontologiques fortement intimes et rétroactifs. D’ailleurs, selon les religions abrahamiques, « l’Homme est terre et retournera poussière ». S’y ajoute que du berceau à la tombe, il se sert de la terre pour son habitat, sa nourriture mais aussi ses activités minières, industrielles, culturelles, cultuelles. La Révolution Industrielle du dernier siècle parachevée par la Mondialisation se caractérise par une boulimie foncière et exerce de nos jours une forte pression sur l’habitat et la nourriture dans un contexte d’explosion démographique.


Rédigé par leral.net le Samedi 22 Août 2015 à 12:12 | | 0 commentaire(s)|

Les Niayes étouffent - Par  Cheikh Ahmed Tidiane Sall
D’ailleurs, lors du sommet mondial de Rome en juin 2002, les OSC lancent un grand cri du cœur ayant retenti à travers le monde et sonné le glas de la crise alimentaire : « La souveraineté alimentaire est le droit des pays et des peuples à définir leurs propres politiques en matière d’agriculture, de pêche et d’alimentation qui leur sont appropriées écologiquement, socialement, économiquement et culturellement ».

Cette réalité implacable à l’échelle mondiale se retrouve au plan local notamment dans la région des Niayes où activités maraîchères et activités minières-industrielles cheminent, non sans complaintes, dans des conditions lamentables voire difficiles.

Depuis 2000, les programmes REVA et GOANA à l’origine du phénomène des « paysans du dimanche » combinés à l’installation d’entreprises minières et industrielles jettent le pavais dans la mare et rendent davantage plus complexe la question foncière dans la région. En effet, la pression foncière y est si forte qu’on a le sentiment que les Niayes à l’instar des autres régions, étouffent. D’après une étude récente datant de 2011 et confirmée par le rapport CAPAGEN, 657753 hectares ont été attribués à 17 privés dont 10 nationaux représentant 16,45% des terres cultivables du pays. En règle générale, le foncier est juridiquement défini comme : « la reconnaissance collective d’une affectation », or le Sénégal a promulgué dès le lendemain de l’indépendance une loi sur le domaine national : c’est la loi 64-46 du 17 juin 1964.

S’appuyant sur le décret colonial du 26 juillet 1932, elle verse toutes les terres non immatriculées dans le domaine national. Ce cadre juridique est complété par la loi 76-66 du 2 juillet 1976. Sous ce double rapport, il reste clair que la loi 64-46 désigne l’Etat du Sénégal comme le « détenteur » mettant du coup entre parenthèse les droits coutumiers sénégalais et reléguant au second plan les valeurs cardinales qui ,naguère, régissaient les modes de fonctionnement de la société. La notion de « détenteur» abusivement utilisée semble aujourd’hui en déphasage avec la réalité : il urge par conséquent de dépoussiérer la loi et de l’adapter aux contingences de l’heure.

Sous un autre angle, la question relative aux droits de propriété incluant le droit d’usage comme le droit d’exploitation mérite d’être revisitée voire davantage clarifiée. L’entreprise bénéficiaire doit-elle en disposer comme elle veut ou faut- il au préalable en préciser les contours tout en les rendant publics. C’est à ce propos d’ailleurs qu’Allan GREER suggère : « La notion de propriété foncière est intrinsèquement hypothétique, si l’on se donne la peine d’y réfléchir(…) ce qui est possédé, c’est un ensemble de droits spécifiques et limités sur l’activité productrice qui s’y exerce. »

Cette réflexion d’une sagesse indéniable nous amène à nous interroger sur la nature des droits ou titre dont disposent les ICS, la GCO, la centrale à charbon et autres entreprises s’installant dans la zone. Est ce qu’il s’agit seulement d’un droit d’exploitation correspondant aux résultats de la prospection initiale ou faut-il accorder à ces entreprises un droit absolu y compris celui de faire du domaine une propriété jalousement conservée ? En tout état de cause, les autorités contractantes doivent intégrer ces données.

Qu’en est-il des renégociations dues à l’avancée de l’exploitation ou de nouvelles découvertes ? Comment fonctionne l’expropriation des paysans, quelles rémunérations faut-il leurs accorder ? Est-il acceptable de leurs donner de modiques sommes bien en-deçà des revenus d’une seule récolte annuelle ? Que dire des espaces abandonnés par les entreprises après usage ?

On le voit donc avec l’absence de texte juridique, la loi du plus fort s’est imposée, exposant les vaillants paysans dans la précarité. Les zones suivantes ont fait l’objet d’expropriation : Darou Khoudoss, Niangué, Diobass, Keur Magor, Ndoyène, Mérina FALL, Tanime, Ngaye Diagne, Keur Aliou FALL, Ndomor, j’en passe.

Présentement, Mbar NDIAYE et Mbar DIOP subissent cette loi en entendant les villages de Gad et Ngomène souvent victimes de fuites de gaz et ne disposant pas d’eau. C’est sans doute ce qui fait dire à Etienne LEROY que : « Toute propriété et toute organisation juridique sont déterminées par le sol, s’y ajoute que tout système d’appropriation est critiqué en raison de son aspect absolu ayant pour effet pervers de condamner une partie de la population à la faim. »
Mais c’est heureux que les paysans de ces localités ne soient pas seuls en raison du passage régulier de certaines ONG à l’instar d’ENDA LEAD-ENDA PRONAT-FORUM CIVIL. Etc…C’est alors l’occasion de les féliciter. C’est aussi heureux que le Professeur Moustapha SOURANG ait indiqué ce qui suit : « L’objectif final est de faire une réforme légitime c’est-à-dire une réforme qui correspond aux intérêts du Sénégal ».

Cheikh Ahmed Tidiane SALL
Professeur au Lycée Taiba ICS de Mboro