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Les biocarburants face au défi de l’alimentation

Rédigé par leral.net le Mardi 4 Juin 2013 à 12:27 | | 0 commentaire(s)|

Les biocarburants sont proposés pour, à la fois, le règlement des problèmes énergétiques et la prévention du changement climatique. Malheureusement, pour les pays africains comme le Sénégal, ils sont loin d’être une solution miracle.


Les biocarburants face au défi de l’alimentation
Aujourd’hui, l’Afrique, du fait de la disponibilité des terres arables et des conditions naturelles assez propices à la production de « biomasse énergétique », est la ruée des groupes économiques spécialisés dans les bioénergies. Cela, à priori, peut sembler être une aubaine face aux difficultés économiques et sociales qui se posent avec acuité dans les pays africains. Une réflexion plus approfondie laisse apparaître un danger tacite de cette implantation de l’industrie du « green business ».

En réalité, la course vers les terres africaines pour le développement des énergies de la biomasse n’est qu’une manière de nous enfoncer dans les fanges impérialo-capitalistes. Autrefois, c’était au nom d’une mission civilisatrice ou d’une « destinée manifeste » que nous avions été bernés. Aujourd’hui, c’est au nom de la dignité humaine que nous devons refuser de nous soumettre au diktat de capitalistes qui, profitant du « prétexte vert », veulent peindre notre avenir en noir.

En d’autres termes, le développement de la production de biocarburants sur les sols de l’Afrique ne saurait profiter aux pays africains. Il ne fera qu’accroître la dépendance des pays vis-à-vis des multinationales occidentales ou asiatiques. N’a-t-on pas assez tiré de leçons du passé ?

Aujourd’hui, nous produisons une bonne partie de la matière première agricole du monde. Pourtant, aussi aberrants que cela puisse paraître, les mécanismes de fixation des prix nous échappent complètement. La situation très précaire du continent est, pour beaucoup, liée à cette configuration du marché des matières premières. Les prix des bioénergies n’échapperont pas à ce système incongru.

D’un autre côté, l’incursion des bioénergies ne fera qu’exacerber l’insécurité alimentaire et les conflits sociaux en monde rural. La généralisation des difficultés alimentaires dans les campagnes africaines avait été aggravée par l’introduction des cultures rente destinées à satisfaire les besoins des métropoles coloniales. Les surfaces des cultures commerciales avaient fini, ainsi, par avoir raison des espaces réservés aux cultures vivrières.

La première expérience du Sénégal dans le domaine des biocarburants a amené des complications de plus en plus inextricables. En fait, la mise en place de Sen Huile Sen Ethanol est un exemple patent. Les nombreux conflits fonciers, sociaux et d’autres types ont tout simplement démonté les arguments avancés par les promoteurs de ce projet. Ces derniers, il est vrai, s’étaient lancés dans une vaste campagne d’explications, mais cela n’a servi à rien, car les éleveurs continuent de réclamer les zones de passage du bétail et les agriculteurs, leurs terres de culture.

A ce niveau, la responsabilité de l’Etat est engagée en ce qu’il doit être le garant de la justice sociale conformément aux principes du développement durable. A cet effet, il est dans l’obligation de mener des politiques cohérentes à même de concilier les besoins sociaux aux impératifs économiques et environnementaux sans privilégier les uns ou les autres. Néanmoins, il serait honnête de mentionner que le problème ne réside pas dans les biocarburants eux-mêmes. Au contraire, ils pourraient être une piste pour contribuer à l’amélioration de l’accès à l’énergie.

Dans le contexte africain, la promotion de cette source d’énergie doit s’assujettir à un certain nombre de conditions. D’une part, le développement des cultures énergétiques doit épargner les terres déjà utilisées à des fins agricoles ou pastorales. Ainsi, seules les terres inaptes à recevoir les deux activités précitées seront concernées. Même, dans ces conditions, les importants investissements pour récupérer les terres salées et désertiques rendront très exorbitants les prix des produits finis. D’autre part, les Etats doivent élaborer des mécanismes visant à maîtriser les circuits de production et de distribution afin que la production serve à l’approvisionnement exclusif des pays de l’Afrique, ce qui est quasi impossible.

Avec les difficultés du continent à s’imposer sur le commerce international, la production à grande échelle des biocarburants constitue une véritable boîte de pandore. C’est la raison pour laquelle la priorité doit être surtout dans la production de « bio-alimentation » pour éradiquer la faim qui touche une bonne frange de la population. Pour cela, les conditions de mise en place d’une agriculture forte et durable basée sur les cultures vivrières doivent retenir toute notre attention et mobiliser toute notre énergie. C’est à partir de ce moment que d’autres sources d’énergie écologiquement plus propres, socialement moins contraignantes et économiquement accessibles pourront être prônées.

Yakhya BADIANE
Géographe-Environnementaliste
yakhyabadiane@gmail.com