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Les fausses priorités du Président

Si le président de la République devait faire une appréciation grandeur nature de sa popularité, sa visite de trois jours à Ziguinchor pourrait bien lui servir de terrain de test. Tout y était. Les foules de militants déchaînés, la chaleur de l’accueil, l’onction des chefs coutumiers, religieux et même, semble-t-il, des rebelles. On pourrait se demander, du reste, pourquoi les services de sécurité n’ont pas mis à profit cette présence des irrédentistes au cru du grand jour, pour les arrêter. Bien au contraire, on semblait même s’en réjouir, légitimant du coup leurs sombres desseins, couper la Casamance du Sénégal.


Rédigé par leral.net le Samedi 22 Mars 2014 à 09:48 | | 0 commentaire(s)|

Les fausses priorités du Président
Mais à l’autel de paix, le gouvernement est prêt à tout sacrifier. Y compris les principes fondamentaux qui sous-tendent la République. Avec la bénédiction du Clergé dont les liens avec la rébellion ne sont un secret pour personne. Il n’y manquait que Salif Sadio, le plus féroce des chefs de la rébellion, pour compléter le tableau idyllique que le Président a bien voulu brosser avec fierté. La paix n’a pas de prix. Mais elle a un coût. Et qui la veut, doit préparer la guerre. C’est ce que font le MFDC et ses hordes, en soufflant le chaud et le froid, pour finir par installer une véritable psychose de guerre dans toute la région. Avec l’appui des mercenaires de la sous-région, ils ont pillé, tué, miné les axes de passage et de transport, cultivant l’incivisme au point que la taxe rurale n’est plus acquittée dans la région. Une véritable économie de guerre, plus pernicieuse que la guerre !

Une paix paralysante

Qu’à cela ne tienne pour le Président ! Pour qui, il vaut mieux faire des concessions pour maintenir un semblant de paix ruineuse économiquement, que d’affronter les indépendantistes armés, protégés et encouragés par nos voisins frontaliers, la Gambie et la Guinée-Bissau pour ne pas les nommer. L’euphorie de la visite peut sembler bien démesurée car, jamais, le MFDC n’a renoncé à l’indépendance, à l’usage de la force et la terreur. Les négociations menées en Italie par la communauté catholique Sant‘ Egidio n’ont encore rien donné. Et ce alors même que le gouvernement, sous la double pression de l’Eglise et de la France, a quasiment amnistié les criminels comme Salif Sadio et N’krumah Sané (qui n’a jamais aussi mal porté ce surnom).

Si, au-delà des clameurs et de l’autoglorification, la visite du président de la République à Ziguinchor (et non dans les autres parties de la région) paraît incongrue, c’est qu’implicitement, elle occulte le nœud gordien de la Casamance : la sécurité et l’intégrité territoriale du Sénégal. Penser qu’on peut, à force de projets de développement, réduire voire annihiler le mouvement d’irrédentisme est un pari risqué. Surtout que l’actualité récente a montré que,chaque fois que des intérêts du MFDC étaient menacés, les terroristes ont agité le chiffon rouge. Ou sont passés à l’action militaire en s’attaquant à l’armée et aux voyageurs, traçant des zones interdites çà et là. C’est ainsi qu’ils ont fait échouer toutes les tentatives de déminage par le rapt de démineurs et la terreur. Et récemment, avec une outrecuidance incommensurable, des radios irresponsables ont diffusé un communiqué du MDFC interdisant l’exploitation par le gouvernement d’un important projet agricole annoncé par l’Etat.

C’est dans ce contexte chargé que le président de la République a mené sa visite dans la capitale du Sud sous haute escorte. Le discours qu’il a prononcé se compose d’une kyrielle de projets essentiellement financés par la Banque Mondiale (qui apporte 20 sur les 23 milliards du Projet de Pôle de Développement de la Casamance PPDC) et d’un appel aux rebelles, pour, semble-t-il, construire la paix. L’arrière-pensée est évidente, c’est le développement de la Casamance qui y extirpera les racines de la haine et de la violence. Mais, à l’expérience, cette relation de cause à effets, et d’effets à conséquences peut montrer ses limites.

Le Millénium Challenge Account(MCA), lancé par le Gouvernement américain, devait injecter beaucoup plus dans la zone. La plupart de ses projets, notamment ceux relatifs à la réhabilitation de l’agriculture, des infrastructures, de l’éducation… ont fait long feu. Ou, tout au moins, tardent à sortir de terre. Evalués à une centaine de milliards, ils ont fait rêver plus d’un pour n’être en définitive qu’un feu de paille. La lenteur des procédures administratives, mais aussi le climat tendu, l’insécurité, le blocage des opérations de déminage mettent en cause,tout simplement, leur réalisation.

Que pourront valoir ces 23 milliards que le Président brandit comme une manne providentielle, pour sortir la Casamance de l’ornière ? De quels projets s’agit-il en fait ? De la réalisation de huit ponts de passage de cours d’eau, la réhabilitation de la route nationale 6 (déjà prise en compte dans les financements du MCA), l’agrandissement de l’aéroport de Ziguinchor pour accueillir de gros porteurs, la mise en circulation des deux navires « Aguène » et « Diabone » reliant Ziguinchor à Dakar. Sur financement sud-coréen. La modeste part de l’Etat (trois petits milliards dans l’enveloppe du Projet Pôle de développement de la Casamance) est en déphasage avec le tapage publicitaire fait autour de ce financement. En réalité, même si le plus petit copeck investi en Casamance vaut son pesant d’or, ces projets se présentent d’avantage comme des déclencheurs d’activités que des investissements d’envergure structurante.

« Casamance, un scandale économique»

En effet, si les passerelles sont importantes pour le mouvement des populations et le transfert des productions, pour développer les filières agricoles les paysans casamançais ont plus besoin de gros investissements pour financer leurs projets. L’amélioration des dessertes par voie aérienne peut donner un coup de fouet au tourisme casamançais malade. Mais cet apport qualitatif ne saurait suffire à lui seul à relancer une activité touristique très largement affectée par le terrorisme et les décisions infantiles de blocage de la transgambienne prises par le président gambien Yaya Diamé.

Le pactole du président Macky Sall, pris comme un beau cadeau, risque de se réduire à un miroir aux alouettes si la propagande officielle et les thuriféraires du régime s’obstinent à en faire la panacée providentielle qui sauvera la Casamance. Au fond, a-t-on déjà oublié que, lors du Conseil Présidentiel Décentralisé tenu en 2012 à Ziguinchor, le gouvernement avait promis d’y investir la bagatelle de 300 milliards FCFA ? Que reste-il de ces promesses ? Même pas des traces qui auraient pu faire rêver. Non, ce qu’il faut à la Casamance, c’est une vraie grappe de convergence de projets structurants et une réelle sécurisation du territoire, pour espérer une relance économique de longue durée.

Le Président avait promis de faire de la Casamance le terrain d’expérimentation de ses fameux « pôles de développement », ou de la « territorialisation des politiques économiques », clé de voûte de l’Acte 3 de la Décentralisation. Il devrait revoir sa copie quand la clameur des tamas, tam-tams et autres « bougaroubous » et djembé (instruments de musique) se sera calmée. Il s’apercevrait alors qu’au-delà des mots rien n’aura vraiment changé en Casamance, qui reste le « scandale économique » du Sénégal.

Par Aly Samba NDIAYE
Article paru dans « Le Témoin » N° 1157 –Hebdomadaire Sénégalais (Mars 2014)