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Les raisons de voter « Non » à une démocratie technique - Par Ibrahima Gassama


Rédigé par leral.net le Mercredi 9 Mars 2016 à 16:27 | | 64 commentaire(s)|

Le référendum du 20 mars prochain par lequel Macky Sall convoque les sénégalais est un tournant important de notre démocratie et notre histoire comme nation car il engage aussi bien la génération d’aujourd’hui que la génération de demain. Pour cette raison, l’expression des opinions ne pourrait et ne devrait pas rester dans la seule sphère constitutionnaliste purement technique comme le Professeur Ismaila Madior Fall nous y convie. Le fait d’ignorer qu’une constitution ne concerne pas seulement la sphère des juristes est une lacune notoire qui devrait pousser le Professeur à revoir sa copie car la démocratie est un idéal fort qui ne saurait se restreindre à un cercle. Le fait également de penser que la volonté populaire n’a aucune légitimité pour se prononcer sur un mandat en cours (les 7 ans de Macky Sall) est également un bouleversement important imposé à notre démocratie des temps modernes.

Il est aujourd’hui admis que les controverses de nature socio-techniques ou économiques, interviennent dans un contexte d’incertitudes et de besoins pour les populations de participer pleinement à la démocratie, ce qui met à mal le monopole du scientifique sur des questions techniques qui engagent la vie de plusieurs générations. La question que l’on peut logiquement se poser est de savoir la raison pour laquelle, le scientifique, aussi pertinent soit-il, a le pouvoir d’imposer des vues analytiques à la société et faire taire les oppositions d’autres parties prenantes de la société, souvent appelés des profanes. Ce pouvoir exorbitant que le scientifique veut se tailler entre en contradiction avec le besoin d’ouvrir davantage le jeu démocratique dans plusieurs formats que l’on trouve aujourd’hui dans plusieurs pays du monde : les forums hybrides, les jurys de citoyens, les Tables de concertation, etc. La logique minimale qui fait les juristes du Sénégal ne s’entendent pas du tout sur ce qu’est «un avis» ou «une décision» interpelle le bon sens de tous dire que la modification de la constitution est un débat social qui devrait s’ouvrir aussi à l’opinion du profane qui certainement maîtrise autre chose (par exemple la langue d’écriture des termes de la constitution). Ceci ne veut nullement dire que la démocratie représentative perd de son pouvoir mais qu’elle devrait s’arrimer à d’autres formes de représentation pour donner de la place à une meilleure entente sur les idées contradictoires.

Justement, en parlant de ces idées contradictoires, chaque citoyen, une fois qu’une constitution est écrite dans une langue officielle compréhensible, doit pouvoir donner son input et faire une démonstration scientifique pouvant être acceptée ou refusée comme raisonnement logique. Comme le laissait entendre le Professeur Mody Gadiaga, si l’exercice est purement scientifique, on devrait donc laisser la science poursuivre sa démarche épistémologique jusqu’à son terme avec toute la communauté scientifique.

Ainsi, la petite démonstration que j’en ferai simplement est la suivante. Selon l’un des courants de pensée de certains constitutionnalistes du Sénégal qui défendent qu’en matière constitutionnelle c’est le principe d’application immédiate de la loi nouvelle qui prévaut, dont celui longtemps défendu par le Professeur Gadiaga depuis l’époque d’Abdoulaye Wade. Si on suit cette logique, un vote par un OUI au référendum du 20 mars ferait immédiatement du mandat de Macky Sall un mandat de 5 ans car la nouvelle constitution viendrait abroger la décision de la cour constitutionnelle du Sénégal en raison du conflit des lois dans le temps. Donc la nouvelle constitution abrogerait de fait les 7 ans accordés à Macky Sall par la cour constitutionnelle sur la base de ses interprétations de la loi fondamentale. Comme vous pouvez le voir, cette conclusion est basée sur le principe d’application immédiate de la loi constitutionnelle qui permet une démonstration scientifique sur ses conséquences possibles. Faut-il être forcément juriste pour faire des déductions hypothético-scientifiques, à mon avis NON. Et c’est la raison pour laquelle toutes les forces du Sénégal doivent être conviées à ce débat, et non seulement certains constitutionnalistes et les hommes politiques. Cela nous permettrait de définir ensemble un projet de société qui définira les contours du Sénégal que nous voulons. Par ailleurs, on soumet à la population un vote par un OUI ou un NON un ensemble de contrevérités qui, à mon avis, doivent passer au crible de la pensée critique et du débat contradictoire. Le droit à un environnement sain existait dans le préambule dans la loi constitutionnelle de 2001, donc avec une force encore plus importante. Pour cette raison, il ne peut nullement devenir un nouveau droit dans une réécriture de la constitution. Depuis quand la participation des indépendants au jeu démocratique est devenu un nouveau droit? Le fait également de maquiller le Sénat de le ramener sous le nom du Haut conseil des collectivités territoriales n’est pas également un acte consolidant pour reprendre les termes du Professeur Ismaila Madior Fall.

Tout cela, pour dire que toutes ces décisions de nature purement techniques prises par le Président Macky Sall, en s’appuyant sur la légitimité du savoir d’un seul ou de quelques constitutionnalistes du Sénégal, échappent au véritable débat démocratique bien qu’elles engagent notre mode de vivre ensemble. C’est la raison pour laquelle je trouve que la démocratie des temps modernes, en particulier celle appliquée au Sénégal, doit sortir d’une démocratie technique pour aller vers une démocratie participative et délibérative. Cette forme de démocratie jumelée à la démocratie représentative donnerait plus de légitimité aux décisions de gouvernance adoptées par le pouvoir. Elle viendrait également forcer au respect de la parole donnée car les participants éventuels à un Jury de citoyens remettront sur la table les arguments ayant entrainé leur vote pour un candidat choisi parmi d’autres.

Enfin, je terminerai pour dire qu’une opinion de nature purement juridictionnelle ne devrait pas faire croire aux sénégalais et la démocratie ne pourrait pas s’accommoder à la parole donnée des hommes politiques sous une forme de serment. Nos réflexions doivent plutôt aller dans le sens de dire que la volonté populaire a un sens beaucoup plus fort et beaucoup plus puissant que la volonté d’un quelconque cours constitutionnel ou d’un quelconque scientifique dont le dessein est de se mettre dans les bonnes grâces du Président de la république.

Ibrahima Gassama, Québec
Économiste du développement durable au gouvernement du Québec