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Lettre ouverte au président de la République sur la suppression des visas d'entrée au Sénégal


Rédigé par leral.net le Dimanche 12 Avril 2015 à 11:13 | | 20 commentaire(s)|

Lettre ouverte au président de la République sur la suppression des visas d'entrée au Sénégal
Monsieur le Président, que l'on supprime ou pas le visa d'entrée, ne va rien changer à l'état chancelant du tourisme au Sénégal. Un pays ne s'est jamais développé avec le tourisme que je sache. On se développe avec une économie réelle, des infrastructures en nombre et en qualité, une agriculture moderne, une maîtrise de l'énergie, une éducation ambitieuse, maîtrisée ouverte sur le monde, une culture préservée et affichée... Le chantage des acteurs du tourisme me semble relever d'un populisme primaire.

Dans le monde, toutes les grandes destinations du tourisme sont confrontées à la même observation du recul du flux de touristes. Que voulez vous? Le monde a changé. L'insécurité engendrée par le printemps arabe, le terrorisme, la crise économique et financière, ébola sont passés par là. Hormis ces explications, qu'est ce qui pourrait expliquer l'état chancelant du tourisme au Sénégal? La surtaxe des billets d'avion ? Assurément ! L'exigence d'un visa d'entrée au Sénégal? Je me permets d'en douter.

Pensez vous qu'un touriste qui veut venir au Sénégal se privera de le faire seulement parce qu'on lui exige un visa d'entrée qui coûte moins de 50 euros ? Quelle galéjade! Autant alors supputer sur la destination probable d'un péril acridien. Non pas que je compare le tourisme à ce fléau mais les motifs qui peuvent convaincre un touriste de visiter le Sénégal et non la Gambie relèvent pour une bonne part de la divination et non de la stratégie économique. Enfin, je le pense! Un américain ou n'importe quel citoyen du monde qui veut visiter Gorée ne renoncera point à cause de l'exigence d'un visa d'entrée au Sénégal.

Quand des amis séjournant en Occident ou partout ailleurs dans le monde nous rendent visite au Sénégal, les exigences de notre politique intérieure ne me paraissent pas non plus dissuasives. Hélas, le tourisme ne se passe pas seulement à Saly Portudal ou au Cap. Les stratégies économiques contribuent certes à rendre attractive une destination touristique d'un point de vue macroéconomique. Rappelons que c’est une manne financière que l’Etat espère «recouvrer» avec le développement du tourisme, un secteur qui, faut-il le rappeler, n’était pas mieux loti avant l’instauration du visa d’entrée. Au total, ce sont près ou plus de 10 milliards de FCfa de recettes qui filent entre les mains de l’Etat du Sénégal, suite à la décision du chef de l’Etat de baisser entre autres mesures, la fiscalité avec notamment la suppression du visa payant pour l’entrée au Sénégal, à compter du 1er mai 2015.

L'attractivité de celle-ci reste toutefois une donnée souvent volatile, subjective pour ne pas dire intime pour le touriste. On aura beau fait l'expectative mais au finish, les touristes choisiront en toute discrétion. Après tout, ils vont dans une destination touristique pour assouvir leurs propres fantasmes; jamais ceux des autochtones, d'un Etat ou des acteurs du tourisme comme le révèle leur fatuité bien souvent apparente derrière les vitres des cars SENECARTOURS. On ne s'arrête jamais de compter le volume des devises mobilisées par le tourisme. Mais on n'oublie toujours de quantifier les maux qui lui sont consubstantiels: prévarication foncière, spoliation du domaine public maritime, emplois précaires et chancelants, blanchiment d'argent, drogues, mœurs débridées, corruption, concussion, insécurité ...

Ouvrir notre territoire à n'importe quelle personne désireuse d'avoir une aventure au Sénégal me semble grotesque lorsque chaque partie du monde s'interroge sur son identité et son devenir d’où la critique de Jean-Christophe Ruffin : « Le Sénégal est dans une zone de turbulences » qui se traduit par un manque d’immobilisme du régime en place . N'importe quelle personne n'a pas vocation à séjourner au Sénégal, fut-il, pour un projet parfois aussi futile qu'un voyage touristique. La pauvreté n'empêche point le narcissisme si tant est qu'on le conçoit comme un amour ou une haute estime de soi !

Tout étranger épris de découvrir le Sénégal n'y renoncera point à cause de l'exigence d'un visa d'entrée. Par contre, il n'y reviendra pas surement à cause des talibés, des mendiants achalandés à chaque coin de rue, de l'indiscipline et de l'outrecuidance des taximen, de la saleté, des embouteillages, de la désorganisation des lieux de vente des souvenirs de voyage et de toute la difficulté à découvrir le Sénégal des profondeurs par les routes ou les aérodromes. Au rebours de tous les arguments fustigeant l'opportunité d'exiger un visa d'entrée, je crois au contraire qu'il garantit un semblant de fierté et d'identité aux sénégalais, ceux-là mêmes brimés et humiliés dans les consulats occidentaux et préfectures.

En outre, il permet de mesurer à sa juste dimension les relations bilatérales et cordiales que le Sénégal noue avec les pays amis, ceux qui font de leur territoire une terre naturelle et inconditionnelle d'accueil pour les sénégalais. L'avenir du tourisme ne dépend pas des étrangers du Nord mais plutôt du tourisme local ou sous-régional. Que les acteurs du tourisme consentent à intégrer, dans leur secteur d'activité, ce paramètre dans leur stratégie de croissance me paraît judicieux. Qu'ils continuent à vouloir attirer vaille que vaille au Sénégal, les touristes du monde au détriment des intérêts stratégiques, diplomatiques et politiques de l'Etat me paraît absurde. Dommage que le Sénégal, une fois de plus, ait choisi la voix de la prospective économique plutôt que celle de la raison d'Etat.

Cherif Dame Sall
UCAD