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Marine Le Pen, l'héritière d'une saga familiale hors norme

Comment la fille du leadeur d'extrême-droite Jean-Marie Le Pen est arrivée aux portes de l'Elysée. Portrait.


Rédigé par leral.net le Dimanche 7 Mai 2017 à 18:56 | | 0 commentaire(s)|

« Ils feront tout pour nous empêcher de gagner. Ils n’ont décidément rien compris… », enrage froidement Marine Le Pen, avachie sur son fauteuil en cuir noir, cigarette électronique à la main. « Ils » ? Ses adversaires politiques, la droite, la gauche, les manifestants anti-FN, mais aussi les médias, les experts… Bref, tous ceux qu’elle renomme « le système », « l’oligarchie ».

Seule contre tous !

Ce jour-là, dans son bureau situé au deuxième étage de l’Escale, son QG de campagne rue du Faubourg-Saint-Honoré, dans le VIIIe arrondissement de Paris, la candidate à l’Elysée — entourée d’une poignée de conseillers, dont Florian Philippot et David Rachline — encaisse le dernier sondage : il pronostique encore vingt points d’écart avec son rival Emmanuel Macron pour le second tour. « Ça va être chaud, mais on donne tout dans la dernière ligne droite », évacue-t- elle, avant de se redresser. Prête pour la bataille, encore et toujours. « Elle n’a peur de rien. C’est une machine de guerre », décrit Jean-Lin Lacapelle, un ami de vingt ans. « Marine, c’est un corsaire. Elle monte toujours à l’abordage », rebondit son beau-frère Philippe Olivier, l’époux de sa sœur Marie-Caroline Le Pen. La vie comme un combat, encore et toujours. Pour défendre une cause, celle du Front national. Et surtout un nom, devenu une marque : Le Pen.


Appartement dynamité

La politique ? « Elle est tombée dans la marmite alors qu’elle était toute petite ! » s’épanche régulièrement son père. Mais une plongée très particulière tout de même, une nuit de la Toussaint 1976, où l’appartement familial de la villa Poirié (XVe) est soufflé par plusieurs kilos de dynamite. Un attentat qui visait le fondateur du FN, et par ricochet sa famille. Elle n’a que 8 ans, une gamine, mais elle « réalise brutalement » que son père est « quelqu’un de connu et qu’on lui en veut », racontera-t-elle bien des années plus tard dans son autobiographie « A contre flots » (Ed. Grancher). « J’entre de plain-pied dans la politique, et par sa face la plus violente, la plus cruelle, la plus brutale : les vingt kilos de dynamite (NDLR : en réalité 5 kg) qui viennent d’éventrer notre immeuble ont été posés pour tuer Jean-Marie Le Pen, sa femme, ses enfants », poursuit-elle. « On s’est retrouvés du jour au lendemain sans rien, même plus de toit pour dormir. Forcément, ça forge le caractère », confie sa sœur Yann.


« Châtelaine de Montretout »
Direction le manoir de Montretout, à Saint-Cloud (Hauts-de-Seine), dont Jean-Marie Le Pen hérite presque au même moment de la famille Lambert, celle des cimenteries éponymes, dans des conditions contestées à l’époque. Une maison sombre, mal entretenue, perchée de l’autre côté de la Seine, dans la chic banlieue ouest de Paris. Un antre familial de 400 m2 tout de même, sans parler des dépendances, niché dans un parc privé de 5 000 m2, qui va très vite devenir l’épicentre politique du Front national.

Des années durant, Marine Le Pen va grandir à l’ombre du pouvoir paternel, dans ce domaine où défilent chaque jour le ban et l’arrière-ban de l’extrême droite française, des royalistes, des nationalistes, et parfois même, plus surprenant, quelques amis people de la famille Le Pen. Comme Alain Delon ou le journaliste Yves Mourousi. Une vie où elle ne manque de rien, préservée dans un huis-clos politico-familial qui lui vaudra des années plus tard le sobriquet de Châtelaine de Montretout par ses adversaires. « Montretout, c’est pas mon histoire », évacue-t-elle pourtant un jour, gênée, surtout agacée, d’avoir à justifier son statut d’héritière.


« Night-clubbeuse »
Car cette maison n’a pas laissé que de bons souvenirs. C’est de là qu’un jour sa mère Pierrette décide de fuir, un jour d’octobre 1984. La jeune Marine l’apprend en rentrant le soir du lycée, alors âgée de 16 ans. Un départ sans explication. La rupture est brutale, réglée devant les tribunaux, mais aussi dans la presse… érotique lorsque Pierrette pose dénudée dans la revue « Playboy », en tenue de soubrette. « Pour se venger » de Jean-Marie Le Pen, dit-elle. Les trois filles prennent le parti de leur père. « C’est là qu’elle a commencé à se rapprocher de lui. Elle a eu de la compassion », glisse un de ses amis.

Une époque où la lycéenne, devenue ensuite étudiante en droit, commence à aimer faire la bringue. Les fameuses années de « night-clubbeuse », qu’elle peine tant à assumer aujourd’hui. « On me fait cette réputation, mais c’est totalement usurpé », se défend-elle quand on l’interroge sur le sujet. Ses amis de l’époque se rappellent pourtant de ses nuits endiablées, au début des années 1990, où elle fréquente assidûment la discothèque les Bains, dans le quartier du Marais (Ier), mais aussi le Sinaloa, un club situé près de la place de l’Etoile (XVIe), rebaptisé depuis une dizaine d’années l’Aventure. Une époque où, étudiante en droit à Assas, elle fait la connaissance de Frédéric Chatillon et Axel Loustau. Alors membres actifs du GUD (syndicat étudiant d’extrême droite aujourd’hui dissous), ils sont restés aujourd’hui dans son cercle d’influence.


Premiers pas au FN
Son diplôme d’avocate en poche, après deux ans d’exercice au barreau de Paris, la voilà plongée dans le grand bain frontiste : embauchée à la cellule juridique du parti, un poste spécialement créé pour elle par son père. Quand sa sœur Marie-Caroline rejoint le camp du félon Bruno Mégret au moment de la scission du parti à la fin des années 1990, Marine Le Pen, elle, reste contre vents et marées auprès du patriarche.

On croit le leadeur du FN au fond du trou, 2002 sonnera pourtant sa résurrection le 21 avril, où il se qualifie au second tour de la présidentielle. Les larmes de bonheur de la benjamine, que le public découvre pour la première fois sur les plateaux télévisés, vont vite se transformer en prise de conscience : « Quand j’ai vu tous ces Français dans la rue pour dire non à Le Pen, j’ai compris que la diabolisation avait ses limites, qu’il fallait changer tout ça », confie-t-elle. Puis vient le temps des ambitions.


La conquête
Janvier 2005, c’est le premier schisme idéologique avec son père. Jean-Marie Le Pen revient, une fois de plus, sur la Seconde Guerre mondiale. Il qualifie l’Occupation de « pas si inhumaine » dans l’hebdomadaire d’extrême droite « Rivarol », au moment même où le monde s’apprête à célébrer les soixante ans de la libération d’Auschwitz. Furieuse, Marine Le Pen quitte Paris et s’enferme quelques jours dans la maison familiale de La Trinité-sur-Mer (Morbihan) et scelle son destin : « A cette époque, je prends la décision de préparer la succession de mon père. J’avais un tel sentiment de gâchis que je ne pouvais pas rester spectatrice sans rien faire. »

La conquête du parti est amorcée. Avec son conjoint Louis Aliot, la purge des vieux grognards du FN est lancée. Un Front plus jeune, une vitrine ripolinée et plus fréquentable pour les médias. Ce qui ne l’empêche pas, en pleine élection interne pour la présidence du parti, de comparer les prières de rue des musulmans à une « occupation », et d’être, en janvier 2012, l’invitée d’honneur au bal de l’extrême droite européenne à Vienne… Un an plus tôt, elle a pris les commandes du parti. Avec un seul objectif : l’Elysée. Première tentative manquée en 2012. Puis vient le temps de la rupture avec ce père devenu trop encombrant pour la conquête du pouvoir. Sans regret, visiblement : « Je dors mieux aujourd’hui que je dormais hier. Ses outrances ont fini de me convaincre », confie-t-elle au moment de la crise, en avril 2015.

Suffisant pour convaincre les électeurs que le Front national a définitivement changé ? Pas sûr à la veille de ce second tour présidentiel, où les sondages en berne ont refroidi les ardeurs au QG de campagne. « Si elle perd, elle s’en remettra. Ce n’est pas le genre à s’apitoyer sur son sort », jure sa sœur Marie-Caroline. « Marine est d’un tempérament toujours joyeux. Petite déjà, je l’appelais Miss Bonne Humeur, Miss Trompe-la-Mort », reprend sa mère. « On est tellement habitués à perdre que, chez nous, on a la défaite cool… », jure d’ailleurs la principale intéressée.

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