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Mauvais traitements de Karim Wade par la CREI : Entre indignation et inquiétudes

Les faits rapportés par la presse du jour, au sujet du procès de l’ancien ministre d’État Karim Meïssa Wade, font état d’une expulsion manu militari d’un de ses avocats décidée par le Président du tribunal, des violences physiques exercées sur le prévenu (il prétend avoir été brutalisé et tabassé par ses gardes pénitenciers dans le box des accusés) et, affront suprême, une humiliation en lui passant les menottes aux mains suite à son refus de rejoindre la salle d’audience sans ses avocats. Ces faits, s’ils étaient confirmés seraient d’une extrême gravité. Plus aucun doute n’est permis sur la façon dont le procès de Karim Wade est mené, laquelle va à l’encontre des règles d’une bonne administration de la justice. Ces faits, eu égard à leur nature et à leur gravité, feraient chacun de nous un citoyen en sursis.


Rédigé par leral.net le Vendredi 16 Janvier 2015 à 09:02 | | 9 commentaire(s)|

Mauvais traitements de Karim Wade par la CREI : Entre indignation et inquiétudes
Je m’étais juré de ne jamais me prononcer sur une affaire pendante en justice et que j’attendrai la sentence à rendre par la CREI pour me faire une opinion et, éventuellement, prendre position. Cependant, comme tout démocrate soucieux de vivre dans un État de droit, la gravité des faits m’oblige à dénoncer la manière dont la justice en train d’être rendue dans cette affaire. Je ne compte pas rentrer dans le fond du dossier (ce que je ne peux pas puis que n’y ayant pas accès) ni m’inscrire dans une discussion sur la légalité des procédures utilisées jusqu’ici. Je me limite aux faits qui ont, jusqu’ici, émaillé le déroulement de cet important procès et, subséquemment, dénoncer ce qui me paraît injuste et porteur d’inquiétudes. Je suis d’autant plus à l’aise pour le faire étant donné que je ne connais pas Karim Wade ni d’Adam ni d’Ève.

Nos chemins ne se sont jamais croisés. De surcroît, je n’ai jamais supporté le PDS ni voté en faveur de son secrétaire général. J’ai combattu ce parti et ses responsables jusqu’à leur évincement du pouvoir au nom des principes et valeurs que je partage avec nombre de sénégalais. Ces principes et valeurs demeurent toujours les mêmes, peu importe les hommes qui incarnent, aujourd’hui, le pouvoir.

Des doutes sur l’impartialité et l’indépendance des juges de la CREI

Une bonne administration de la justice renvoie, entre autres, aux exigences d'impartialité et d'indépendance des juges. À la lumière de la manière avec laquelle les juges de la CREI pilotent ce dossier, je suis devenu sceptique quant à leur impartialité et à leur indépendance.

Le manque d’impartialité du procureur spécial d’alors (Alioune NDao) est apparue dès sa première et catastrophique conférence de presse, lorsque celui-ci viole le principe de la présomption d’innocence en citant Karim Wade sur une courte liste de personnes, qui constituent sa priorité, dont l’enrichissement illicite se compte en milliards de francs CFA.

Ce même procureur, très spécial, n’a pas manqué de dire, haut et fort, qu’il n’appliquera pas une décision de la Cour de Justice de la CEDEAO confirmant que Karim Wade devrait bénéficier d’un privilège de juridiction, donc jugé par la Haute Cour de justice et non par la CREI. Dans une brillante contribution (Walf quotidien, en date du 18 août 2014), le Professeur Abdel Kader Boye reconnu pour ses compétences et son indépendance écrivait : « cette décision qui s’impose à toutes les juridictions sénégalaises, comme à toutes les autorités chargées de veiller à son application, aurait dû mettre un terme à la procédure initiée par le procureur spécial. C’est une question d’obligation internationale qui pèse autant sur les autorités publiques concernées que sur les juges ».

Le manque d’impartialité de certains juges de la CREI s’est plusieurs fois manifesté lors des audiences comme, par exemple, la manifestation de comportements bizarres sinon incompréhensibles de la part du Président Henri Grégoire Diop qui n’hésite jamais à briser l’élan des avocats de la défense (notamment en leur coupant la parole) ou voler au secours des avocats de l’État (en leur accordant toute la latitude pour exprimer leurs points de vue). Ce même Président n’a pas hésité à tordre le coup aux règles établies en allant, en catimini, à la Clinique ou était interné Ibrahim Khalil Bourgi alias Bibo pour procéder à son interrogatoire sans la présence de ses avocats. Ce qui est de nature à jeter le trouble sur pareille attitude.

Quant à l’indépendance des juges, plusieurs faits sont venus semer le doute dont le plus récent est la fameuse accusation que Karim Wade a lancée à la face du substitut du procureur spécial lorsqu’il affirme « Antoine Félix Diom, répond régulièrement au téléphone du Président Macky Sall ». Tout le monde a remarqué que l’intéressé, toujours prompt à croiser le fer, s’est abstenu, face à cette accusation faite devant lui, de toute réaction ou mise au point. Il confirme, ainsi, l’adage voulant « qui ne dit rien, consent ». Je sais, et c’est prouvé, que la magistrature sénégalaise regorge en son sein plusieurs éléments dont la probité et l’indépendance ne souffrent l’ombre d’un doute. Comme aussi, hélas, il est connu que le pouvoir politique parvient, dans beaucoup de dossiers, à instrumentaliser la justice.

Inutile d’essayer de se voiler la face, c’est la triste réalité. Une voix plus autorisée que la mienne, celle de Monsieur Ousmane Camara, ancien Ministre et ancien Président de la Cour Suprême ne dit pas autre chose lorsqu’il écrit à la page 247 de ses mémoires intitulés « Mémoires d’un juge africain » que « je me convaincs que le terme de Pouvoir judiciaire est un pompeux euphémisme cachant une réalité peu reluisante. Il est plus judicieux de parler de séparation de fonctions que de séparation des pouvoirs ».

Des pièces du dossier régulièrement à la "Une" de certains organes de presse

Tout le monde a pu constater, qu’il n’existe pas une semaine où des procès-verbaux d’audition ou d’autres pièces versées au dossier, au cours de la phase d’instruction, soient étalés sur la place publique à travers certains organes de presse. Pas plus que hier, un site en ligne a diffusé ce qui semble être des relevés bancaires qui auraient été produits par des établissements bancaires et concernant « les hommes de confiance de Karim Wade ». Sur ce même site, on trouve, également, des pièces versées au dossier concernant des biens immobiliers imputés à Bibo Bourgi. Qui sont les auteurs de ces fuites savamment organisées et qui vont toujours dans le même sens, celui voulant accréditer, d’avance, la culpabilité de Karim Wade ? Je ne peux pas répondre, avec exactitude, à cette question, mais sans risque de me tromper, je peux affirmer qu’elles émanent de la partie qui accuse. Une accusation sûre de ses preuves, n’a pas besoin de plaider par presse interposée. Elle les exhibe devant le tribunal au moment opportun tout en attendant, dans la sérénité, une décision finale qui lui serait favorable. Cette façon de faire a fait germé en moi des doutes supplémentaires, voire conforter l’idée selon laquelle on est en face d’un procès aux relents politiques.

Des traitements de la défense qui paraissent iniques et indignes dans un État de droit

Aujourd’hui, j’ai l’impression que les juges de la CREI n’ont pas encore pris conscience que les impératifs d’un État de droit ainsi que les aspirations des justiciables ne requièrent pas seulement que justice soit rendue dans les règles de l’art. Ils exigent, aussi, que la justice soit perçue comme une institution juste. À cet égard, il est inadmissible qu’un prévenu, n’importe lequel, soit brutalisé par les forces pénitencières chargées d’assurer sa sécurité au sein même du temple de Thémis jusqu’à lui occasionner des lésions corporelles. Il faut rappeler que Karim Wade a exercé de hautes fonctions (Ministre d’État) et qu’il est attrait devant la CREI non pas pour détournement de deniers publics, mais d’enrichissement illicite.

Il est tout à fait concevable et humainement acceptable qu’un prévenu attende ou refuse de retourner à une audience sans se faire entourer par ses avocats. Il est injuste qu’un inculpé fasse les frais d’une guerre, larvée ou ouverte, entre un de ses avocats ou tous ses et un Président du tribunal. Il est aussi fort condamnable que les pouvoirs conférés à un Président soient utilisés pour humilier un justiciable. Bien que tous les citoyens soient égaux devant la Loi et la justice, il est difficilement acceptable de voir un Président du tribunal se montrer discourtois à l’endroit d’un ancien Garde-des-Sceaux, avocat de la défense, en allant jusqu’à ordonner son expulsion, manu militari, d’une salle d’audience.

En se montrant pugnace, engagé, déterminé, voire déroutant, l’avocat de la défense est dans son rôle et il le fait à ses risques (et aux risques de son client). Ramener tout à sa personne et étaler ses susceptibilités personnelles face aux sorties des avocats de la défense au point de vouloir user et abuser des pouvoirs d’un chef de juridiction, ce n’est pas ce qu’on attend d’un Président dont l’une des principales forces devraient être le sens de l’écoute active. J’ai honte des images que j’ai vues aujourd’hui. Je suis envahi par une inquiétude subite et angoissante, celle de savoir que le justiciable sénégalais, que je suis comme n’importe lequel de mes compatriotes, pourrait faire l’objet de traitements dégradants de la part de personnes chargées de dire la justice au nom du Peuple.

Aujourd’hui c’est Karim Wade, demain cela pourrait être moi, un parent proche ou un ami. Raison pour laquelle je ne pouvais pas me taire et laisser passer de tels comportements qui n’ont pas leur place dans la justice de notre pays.


Ibrahima Sadikh NDour
ibasadikh@gmail.com