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Média, communication et téléréalité au Sénégal : La trivialité aux dépens d’une culture de la créativité et de l’authenticité

« Dans les foules, les idées, les sentiments, les émotions, les croyances possèdent un pouvoir contagieux aussi intense que celui des microbes ».


Rédigé par leral.net le Vendredi 19 Juin 2015 à 13:13 | | 0 commentaire(s)|

Média, communication et téléréalité au Sénégal : La trivialité aux dépens d’une culture de la créativité et de l’authenticité
De la prophétie auto-réalisatrice au méga média-mensonge quelle est aujourd’hui la frontière entre l’information et la communication ? Quelle est la place de la vérité et même du SENS dans la problématique de la communication moderne ? Une anthropologie de la communication (qui engloberait une anthropologie de la vérité, celle du mensonge et celle de la mythologie) permet-elle aujourd’hui de mieux cerner l’anthropologie politique ?

La presse contemporaine exerce une sorte de dictature de l’image, de la parole ou de la plume sur les masses qui, quoiqu’on dise, continuent encore à développer un complexe pour ne pas dire une peur de l’écriture. En réalité le despotisme n’a jamais été complètement chassé de l’univers politique et intellectuel des hommes. Seuls ses modes d’action et ses manifestations ont changé. Certes la presse à l’image d’autres facteurs de la vie sociale a participé de manière conséquente à la libération de l’homme et à la caducité des dictatures politiques, mais l’humanité doit rester plus que jamais vigilante car cette presse est avant tout animée par des hommes aux appétits divers et changeant en fonction des contextes politiques, économiques et culturels. Souvent alliée tacite des forces politiques en jeu, la presse jouissant de sa grande force de frappe idéologique conspire contre les Démocraties tout en feignant les servir.

Il s’agit d’une gigantesque et pernicieuse entreprise de vampirisation des peuples qu’elle ne cesse de manipuler à des fins commerciales. Cette entreprise consiste à relayer n’importe qu’elle information à la seule condition qu’elle soit sensationnelle ou porteuse de « scandale ». Peu importe que l’information soit vraie ou fausse, sérieuse ou non, démagogique ou réelle : l’essentiel est qu’elle serve d’appât à travers les gros titres d’un média.

Il y a une crise profonde dans le monde du journalisme et cela est très lié à la configuration capitaliste de nos sociétés actuelles où la recherche du gain facile a fait tomber toutes les barrières morales et déontologiques. Il s’agit à plus proprement parler d’une mauvaise assimilation et d’une fausse interprétation de la loi du marché : tout produit qui réussit à décrocher un preneur dans le marché est légal et acquiert du coup le droit d’être véhiculé et vendu. Or avec les nouveaux modes de publicité et de manipulation des consciences, la presse s’est dotée d’un mystérieux et dangereux pouvoir de faire et de défaire des héros, de pré-fabriquer les choix des citoyens.

Aussi, la démocratie meurt-elle lentement et personne ne semble s’en inquiéter, ni même en prendre conscience. Ce n’est pas la fraude, encore moins la guerre, qui menace la démocratie ; mais ce qui est à l’œuvre est plus dangereux que tout cela : il s’agit d’une machine de manipulation des consciences sous forme de marketing politique qui brise la spontanéité, dévalue l’intelligence et annihile l’authenticité –vertus qui constituent la trame originelle de l’homme politique véritable. Quand la parole est vidée de sa substance sémantique pour n’être plus qu’une simple image figée et fascinante ; quand la parole dans toute son essence est usurpée aux citoyens au profit de politiciens que le trucage et les procédés de maquillage de la pensée ont fini de transformer en marionnettes ; quand le trucage des images bricolent des consciences, la notion de citoyenneté n’est plus qu’une simple chimère.

Cette épouvantable capacité de machination idéologique est incarnée par la facette la plus ravageuse de la presse : la téléréalité. La téléréalité est l’expression la plus exacte et la plus complète de la capacité qu’a la presse d’envahir, de contrôler, et finalement de manipuler l’infinie richesse des dimensions de l’existence humaine. Toutes les facettes et les confins les plus inaccessibles de celle-ci sont minutieusement investies par la téléréalité. L’enjeu fondamental et parfois inconscient de certaines émissions de téléréalité c’est le façonnage d’un nouveau type d’homme, celui le plus artificiels, le plus superficiel et le plus inauthentique qui soit. En effet là où H. MARCUSE ne voyait qu’une manipulation des consciences, nous avons aujourd’hui un engendrement ou une sorte de création de celles-ci. Dans le monde des média la liberté est évanescente parce que le temps et la vie des citoyens sont organisés à leur insu. Pire, la téléréalité est aujourd’hui le miroir de la réalité : celle-ci doit sans cesse se réajuster suivant un modèle à la fois illusoire et réel. Illusoire parce que n’étant conforme à aucun vécu humain et réel parce qu’ayant la force d’imprimer des comportements et des valeurs.

La téléréalité est ainsi la transposition du monde de la fantaisie vers la réalité, mais c’est la réalité d’une image truquée et donc tronquée. La force de ces images est de nous imprimer à la fois des comportements, des pensées et des sentiments. La téléréalité apparaît alors comme une force d’envoûtement qui nous usurpe notre personnalité pour nous manipuler davantage et nous transposer dans l’illusion. On nous distrait et nous amuse à longueur de journée par le biais d’émissions dont la superficialité est savamment occultée par une publicité (au sens où l’entend Marcuse) qui tue toute capacité critique.

Alassane K. KITANE

Professeur au Lycée Serigne Ahmadou Ndack Scek de Thiès