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Où envoyez-vous nos soldats, Monsieur le Président ?


Rédigé par leral.net le Lundi 4 Mai 2015 à 22:58 | | 0 commentaire(s)|

Où envoyez-vous nos soldats, Monsieur le Président ?
Non monsieur le Président, n’envoyez pas nos Jambars servir de chair à canon aux soldats saoudiens en terre yéménite ! Vous avez juré, lors de votre prestation de serment, de mettre tout en œuvre pour défendre les intérêts du Sénégal et cette démarche, en aucun cas, ne sert notre Nation. Qu’avons-nous donc à faire dans cette guerre civile si lointaine, dont aucun des belligérants n’a plus de légitimité que l’autre ?

Un climat d’angoisse était déjà né après votre visite en Arabie Saoudite, suivie de celle du Chef d’Etat Major des armées. Une rumeur persistante, que vous n’avez pas dissipée, faisait état de l’envoi prochain d’un contingent sénégalais au Yémen pour combattre auprès de l’Arabie Saoudite. Laissez nous, Monsieur le Président, vous rappeler quelques règles du droit international qui rendent totalement illégale une telle intervention armée.

Le jus ad bellum désigne les procédures pour pouvoir employer la force armée dans les conflits internationaux. Ce droit interdit explicitement donc le recours à la force armée et ce, depuis l’adoption de la charte des Nations Unies dont le Sénégal est signataire. L’emploi de la force ne devient permis exceptionnellement qu’après l’épuisement de certaines procédures spécifiques. Dans le cas qui nous concerne, c’est-à-dire le Yémen, c’est le feu vert du Conseil de Sécurité de l’ONU qui peut, seul, justifier une intervention militaire dans un Etat souverain.

L’Arabie Saoudite n’a évidemment pas demandé l’aval du Conseil de Sécurité pour intervenir au Yémen. Cette intervention est donc illégale, et qu’importe le mutisme de la « communauté internationale » ou même sa complicité coupable. Que le Sénégal ne prenne pas ce chemin de la perdition qui revient à fouler aux pieds les règles de la vie internationale établies comme étant le gage de la stabilité et de la paix mondiales.

L’illégalité de cette intervention, Monsieur le Président, vous oblige à ne pas sacrifier les enfants de notre cher pays dans ces terres lointaines. Le Sénégal n’a pas d’intérêt à défendre au Yémen. Le seul motif de cette intervention, celui qui transparaît dans la presse, c’est la volonté affichée de soutenir l’Arabie Saoudite. Monsieur le Président, l’amitié que notre pays entretient avec cet Etat wahhabite nous autorise t-il à agresser indûment des populations civiles innocentes et à violer les principes de justice et de neutralité qui sous-tendent notre diplomatie ? Monsieur le Président, permettez moi de vous le dire, vous faîtes une erreur stratégique en engageant nos troupes dans cette guerre.

La situation du Yémen est assez compliquée. Depuis plus d’une décennie, le pays est déchiré par une guerre civile. Les Huthis sont en conflit ouvert avec le désormais ex-gouvernement de Saleh. Les Huthis sont des chiites zaydites qui ont réclamé une certaine autonomie territoriale à la suite des brimades et de la discrimination dont ils ont fait l’objet.

Depuis leur installation au Yémen, c’est-à-dire au deuxième siècle de l’Islam (9ème siècle), ils ont construit un Etat qui a résisté au temps et dont les dirigeants actuels portent le nom de Al Huthi. Ils sont des descendants du prophète (‘alayhis salatu was salam) qui se sont impliqués dans la vie politique pour donner une plus grande visibilité à leurs revendications. C’est l’assassinat ciblé de leurs dirigeants par le gouvernement de Saleh qui a mis le feu aux poudres et entraîné la guerre civile. Cette guerre a connu ses temps forts en 2008, avec l’intervention cette fois encore de l’Arabie Saoudite, et aussi en 2015 avec la déroute finale des partisans du gouvernement central yéménite.

Ce que l’on retient est que cette guerre est qu’elle est essentiellement civile et minée par des revendications autonomistes d’une partie de la population qui ne se reconnaît pas dans le gouvernement central. Une guerre civile « normale », comme on en voit partout dans le monde en somme. Quelle légitimité a donc cette coalition, menée par l’Arabie Saoudite, pour s’immiscer dans ce conflit et donner raison à telle ou telle partie ?

L’argument du terrorisme ne tient pas du tout. Il s’agit juste d’une poudre aux yeux, d’une muleta pour égarer ceux qui ne connaissent rien au contexte de cette région. Il est surtout distillé par des journalistes, proches de votre Excellence. Monsieur le Président, nous savons tous que cet argument ne tient pas. Les Huthis sont des chiites zaydites ! Quelle idée saugrenue de croire qu’ils s’allieraient avec les terroristes de DAISH qui sont wahhabites ! Les wahhabites de DAISH sont d’une tendance takfirie du salafisme. De ce fait, ils considèrent une grande majorité des musulmans comme apostats. Et les chiites sont bien sûr leur première cible. Une alliance entre les deux camps sera possible quand un chameau passera dans le chas d’une aiguille ! Non, il est totalement exclu que DAISH s’allie aux Huthis quand on sait que les premiers le produit de l’Arabie Saoudite.

Le wahhabisme est la religion officielle du royaume arabe et sa doctrine n’est pas éloignée –mis à part la permission de se rebeller contre les gouvernants- de celle des terroristes de DAISH. Faut-il rappeler les écrits des hagiographes wahhabites qui décrivent avec joie effroyable les excursions des princes as Saoud en Irak et leurs massacres des chiites à Karbala ? Il faut donc parler un langage de vérité aux sénégalais et leur dire les vraiment raisons de cette alliance avec le royaume saoudien. Au niveau doctrinal, l’Islam sunnite est bien plus proche du Zaydisme que ne l’est le wahhabisme saoudien.

Monsieur le Président, cette intervention est illégale. Elle ne sert pas les intérêts du Sénégal. Elle ne nous concerne pas. Encore mieux, elle risque de s’embourber face à des Huthis dopés à l’idéologie chiite du martyr. Pourquoi donc persister à vouloir sacrifier les enfants de notre Patrie pour les intérêts de pays étrangers ? Et surtout, pourquoi les envoyer si loin, sur un autre continent, alors qu’à quelques milliers de kilomètres des groupes terroristes, ceux-là vraiment dangereux, menacent la stabilité de toute une région ? Nous parlons bien sûr des hordes de Boko Haram. Une intervention dans le sens de juguler ces fanatiques abrutis à une idéologie mortifère aurait été plus dans l’optique d’une diplomatie active qui pare au plus pressé au lieu de se perdre dans des déserts éloignés.

Monsieur le Président, les sénégalais ne sauraient comprendre un tel choix. Ils ne sauraient comprendre qu’on laisse des centaines de civils se faire assassiner quotidiennement juste à leurs portes pour porter secours à des princes riches à milliards (de dollars bien sûr) bien à l’abri dans leurs palais. D’autant plus que les victimes de Boko Haram sont frères de race avec les sénégalais, mais aussi, frères d’Ethnie, de religion et de tariqah. Les populations du nord-Nigéria sont de fidèles disciples de chaykh al Islam Ibrahim Niass et des Hal Pularen comme vous ! Voici donc un champ de bataille tout approprié pour nos Jambars si votre argument repose sur une fraternité religieuse !

Monsieur le Président, votre ministre des Affaires Etrangères passera bientôt devant la représentation nationale pour expliquer le sens de cette intervention. Nous espérons de tout cœur que vous prendrez pitié de nos braves soldats ainsi que de leurs familles et que vous vous abstiendrez de les envoyer à une morte certaine. Le Sénégal n’a pas pris son indépendance pour revenir aux affres de la Grande guerre où nos aînés ont servi de pare-balles aux troupes françaises. Au moment même où l’Arabie Saoudite se retire du Yémen, la queue basse, vous y envoyez nos soldats garder la frontière. En d’autres mots, servir de chair à canon en cas d’offensive Huthi.

Non monsieur le Président, n’envoyez pas nos Jambars servir de chair à canon aux soldats saoudiens en terre yéménite !

Mouhamadou Ndiaye,
Doctorant en Droit Public-Science politique,
Diplômé de l’Université et de l’IEP de Bordeaux