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Pour un renforcement de la CREI et la suppression de la Haute Cour de Justice

La Cour de répression de l’enrichissement fait présentement l’objet d’attaques de toutes parts : avocats, enseignants en droit, politiciens, Organisations des droits de l’homme, profanes, etc…


Rédigé par leral.net le Jeudi 19 Février 2015 à 08:16 | | 0 commentaire(s)|

Pour un renforcement de la CREI et la suppression de la Haute Cour de Justice
Pourquoi cette loi instituant la CREI dérange tant ?

L’exposé des motifs de cette loi nous renseigne qu’elle s’attaque à un fléau mondial : la corruption. En effet, dans l’exposé des motifs, le législateur insiste sur le caractère spécial de ce nouveau type de délit que les juridictions ordinaires de droit commun ont du mal à sanctionner : « …toutefois si la répression a pu atteindre une grande partie de ces objectifs en ce qui concerne les détournements de deniers publics, elle n’a pu s’exercer efficacement contre la corruption, forme plus insidieuse d’action illicite qui n’apparaît jamais au grand jour, le corrupteur et le corrompu unis et solidaires, gardant leur secret, puisqu’ils sont menacés des mêmes peines. »

C’est à partir de ce constat que le Gouvernement du Président Diouf a institué la Loi numéro 81-53 du 10 juillet 1981 et sur la même lancée a créé la Cour de Répression de l’Enrichissement Illicite pour juger les cas de corruption avérée.
Malgré les critiques ou les motivations supposées de cette loi (certains suggèrent qu’Abdou Diouf a promulgué cette loi pour lutter contre certains barons socialistes qui contestaient son autorité), nous pensons qu’elle a sa place dans notre système judiciaire. Son caractère spécial n’en fait pas un monstre juridique dans la mesure où les gens poursuivis ont la possibilité de se faire assister par des avocats tout au long de la procédure. Ce caractère spécial réside dans la procédure spéciale dérogatoire du droit commun dans la mesure où la personne mise en cause devrait justifier de l’origine licite du patrimoine qui lui est attribué par le Procureur Spécial. La loi lui accorde un délai de un mois pour apporter les éléments justificatifs de ce patrimoine. En quoi cette disposition pose problème si la personne est en mesure de prouver le caractère licite de son patrimoine?

Les détracteurs de la CREI argumentent qu’il y a renversement de la charge de la preuve et qu’une telle disposition n’existe qu’au Sénégal et qu’elle porte atteinte à la présomption d’innocence. C’est une méconnaissance de la tendance mondiale en matière de lutte contre la délinquance financière que de penser ainsi. La loi française n°2013-1117 relative aux infractions financières facilite la preuve en matière de blanchiment. Comment ? Par un quasi-renversement de la charge de la preuve ! En effet l’article 324-1-1 de cette loi dispose : « Pour l'application de l'article 324-1, les biens ou les revenus sont -présumés être le produit direct ou indirect d'un crime ou d'un délit dès lors que les conditions matérielles, juridiques ou financières de l'opération de placement, de dissimulation ou de conversion ne peuvent avoir d'autre justification que de dissimuler l'origine ou le bénéficiaire effectif de ces biens ou revenus. »

Il semble important de rappeler qu’habituellement, c'est la poursuite qui a la charge de faire la preuve et de convaincre le juge, la défense se contentant de soulever le doute. La Crei ne remet pas ce système en cause et l'accusé garde encore ses moyens de défense usuels.

Voici un extrait d'une décision de la Cour suprême du Canada R. c. Shelley, [1981] 2 R.C.S. 196,
i[« le déplacement du fardeau de la preuve ne viole pas nécessairement la présomption d’innocence […] si ce fardeau n’exige d’un accusé rien de plus que la preuve d’un fait essentiel par une balance des probabilités, pourvu qu’il s’agisse d’un fait que l’accusé est en mesure d’établir ou de réfuter. Cette exigence est impossible à remplir si elle oblige l’accusé à établir un fait qu’il ne peut raisonnablement être en mesure de prouver, comme ce serait le cas d’un fait qu’il ignore ou qu’il ne peut raisonnablement être en mesure de connaître». En l’occurrence, ce n’est pas un poids excessif qui repose sur les épaules de l’accusé(e). C’est une présomption simple, que l’accusé(e) pourra repousser par les moyens de défense appropriés.
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Pour nos États, jeunes et encore insuffisamment dotés des moyens techniques pour contrecarrer la délinquance financière, ce dispositif est utile et nécessaire. Il ne faut pas qu'on puisse se cacher derrière la présomption d'innocence pour manipuler la justice et le public afin de faire acquitter des délinquants.

Nous pensons qu’il est vraiment aisé pour une personne qui a travaillé honnêtement de justifier la provenance de son supposé patrimoine. Nous savons tous comment nous avons acquis les biens immeubles ou meubles dont nous disposons. Il y aurait vraiment problème si nous n’arrivons pas à expliquer la provenance de nos biens. L’existence de la CREI trouve son intérêt en ce qu’elle poursuit les criminels à cols blancs qui tels des sangsues, sucent nos maigres ressources en usant de procédés connus des seuls initiés.

La CREI n’a pas vocation à fournir des preuves. Il appartient à la personne poursuivie de prouver par « tous moyens » (la loi lui offre cette opportunité) que les biens en question ont été acquis de manière licite. La loi précise cependant que « la seule preuve d’une libéralité ne suffit pas à justifier de cette origine licite ». Cette précision a son importance dans le contexte actuel car certaines personnes pourraient être amenées à vouloir justifier leurs biens par les dons provenant des fameuses caisses noires qui devraient à notre avis être supprimées ou à la limite réglementées.

Le cas Karim Wade et compagnie est un bel exemple d’enrichissement illicite. La plupart des sociétés qui lui sont attribués ont leurs sièges dans des paradis fiscaux, de même que leurs comptes bancaires. Dans quel but? Dissimulation ? Biens acquis illicitement? Blanchiment? Les détracteurs de la CREI disent que ces biens appartiennent à Bibo Bourgi, Pouye et Diassé et que la CREI n’a aucune preuve que Karim est le propriétaire réel de ces sociétés. Est-ce que ces détracteurs se sont interrogés sur la richesse subite de ces présumés prête-noms ?

Comment un Bibo Bourgi dont les sociétés étaient en difficultés avant l’arrivée de son ami Karim en 2002, se trouve quelques années plus tard à la tête de multinationales qui pèsent des milliards de francs CFA ? Il est inexact que la famille de Bibo était milliardaire et qu’elle peut acheter tout Dakar. Nous défions quiconque de nous prouver que cette famille était milliardaire avant l’arrivée de Wade Fils au pouvoir.

Comment un Pouye que la presse présente comme un chômeur se trouve actionnaire de la plupart des sociétés attribuées à Bibo Bourgi? Par quel miracle?

S’agissant du cas de Diassé, comment un simple comptable de la société familiale des Bourgi et non de Bibo se trouve propriétaire d’une société présente sur l’espace aéroportuaire et dont le chiffre d’affaire dépasse un milliard de francs CFA? Comment un vendeur de thiouraye comme il se présente lui-même peut lever des fonds auprès des Banques pour financer ses activités?

Les principaux protagonistes ont un dénominateur commun : Karim Wade. L’implication de ce dernier dans les montages de ces différentes sociétés ne fait l’objet d’aucun doute au regard des témoignages recueillis par la CREI. Le témoignage de Cheikh Diallo que certains libéraux traient de traître est édifiant. Cheikh Diallo, ancien bras droit de Karim, a explicitement avoué qu’il était un prête-nom de Karim Wade qui est le propriétaire réel de CD Média, même si son nom ne figure pas dans les statuts de ladite société. Le même procédé a certainement été utilisé pour la constitution des autres sociétés dont la CREI l’accuse d’en être le propriétaire.

A notre avis, les moyens d’intervention de la CREI devraient être renforcés afin qu’elle joue pleinement son rôle dans la poursuite des délinquants à cols blanc. Pour ce faire, la CREI devrait bénéficier à court terme de l’expertise des Inspecteurs Généraux d’État et à moyen terme, la formation de magistrats spécialisés en matière de délinquance financière devrait être une priorité des pouvoirs publics. L’OFNAC devrait aussi mener sa mission en étroite collaboration avec La CREI, l’objectif étant de constituer une juridiction spécialisée en matière économique et financière.

L’autre axe du renforcement de la CREI devrait consister à un léger toilettage de la Loi numéro 81-54 du 10 juillet 1981 créant la Cour de Répression de l’Enrichissement Illicite. Le principal argument des détracteurs de la CREI se trouve dans l’article 13 de cette loi qui prévoit dans son alinéa 1 que « les décisions de la Commission d’Instruction ne sont susceptibles d’aucun recours ». L’alinéa 2 précise que « toutefois l’arrêt de non-lieu peut être frappé d’appel devant la Cour de Répression de l’Enrichissement illicite, par le Procureur Spécial ». Sur ce point, nous sommes d’accord avec les détracteurs de la CREI car cette disposition crée un déséquilibre entre les parties. Une révision de cette disposition s’impose afin de reconnaître à la personne poursuivie le droit de faire appel des décisions rendues par la Commission d’Instruction de la CREI.

Nous estimons que la poursuite des délinquants à cols blancs devant la CREI ne devrait pas être entravée par des considérations politiciennes. Toutes les personnes citées par le Procureur Spécial lors de sa fameuse conférence de presse devraient être poursuivies.

Par ailleurs les transhumants comme Awa Ndiaye et autres qui sont épinglés par les audits ne devraient pas bénéficier d’une certaine immunité qui les mettrait à l’abri de poursuites judiciaires. Il y va de la crédibilité de la traque des biens mal acquis. Nous disons donc non à une justice sélective. Ceux qui sont au pouvoir aujourd’hui devraient s’attendre à être poursuivis s’ils se rendent coupables de détournements de deniers publics ou d’enrichissement illicite. La bonne gouvernance proclamée par le Président Macky Sall ne devrait pas être un simple discours électoraliste. Il faudrait donner un contenu concret à cette notion. Pour ce faire, il ne faudrait pas décrédibiliser la justice qui est le garant de la bonne gouvernance dans toutes les démocraties majeures.

Autant nous militons pour le maintien et le renforcement des pouvoirs de la CREI, autant nous demandons la suppression pure et simple de la Haute Cour de Justice

La Haute Cour de Justice est prévue par La Constitution en ses articles 99 à 101 alors que sa composition et son fonctionnement sont organisés par La loi numéro 2002-10 du 22 février 2002 portant Loi organique. En ce qui concerne la Constitution, elle a fait l’objet d’un toilettage avec la suppression du Sénat par la Loi numéro 2012-16 du 28 septembre 2012 portant révision de la Constitution. Ainsi l’alinéa premier de l’article 2 de la loi numéro 2008-39 du 20 août 2008 relative à la Haute Cour de justice est modifié : l’Assemblée Nationale élit huit juges titulaires et huit juges suppléants en son sein.

C’est la composition de la Haute Cour de Justice qui nous pose problème. En effet cette Cour est composée par un magistrat de carrière, nommé par décret par le Président de la République et de huit députés élus par l’Assemblée Nationale. Nous sommes en présence d’une Cour essentiellement politique aussi bien dans sa composition que dans son fonctionnement. Une démocratie majeure comme celle du Sénégal ne peut s’accommoder d’une telle juridiction dont toutes les décisions seront susceptibles de suspicion légitime. Il est heureux que Karim Wade ne soit pas attrait devant une telle juridiction car son père, l’ex-Président Abdoulaye Wade serait le premier à dénoncer le caractère politique d’une telle juridiction. Nous estimons qu’une telle juridiction devrait être extirpée de notre ordonnancement juridique pour au moins deux raisons :

- Son caractère politique que nous avons signalé ci-haut;
- Le fait que des criminels économiques puissent bénéficier d’un privilège de juridiction.

Aucune autorité, aucune personne ne devrait être au-dessus de la loi. Une bonne administration de la justice, une justice indépendante de toute pression politique, est une donnée fondamentale pour l’émergence prônée par le Gouvernement à travers son Plan Sénégal Émergent.

Ibrahima Sakho, dit Vieux
Montréal.