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Qu’Aline Sitoe, Aguène et Diambogne vous inspirent, Prési !

Rédigé par leral.net le Vendredi 20 Février 2015 à 21:41 | | 0 commentaire(s)|

Qu’Aline Sitoe, Aguène et Diambogne vous inspirent, Prési !
C’est avec beaucoup d’espoir que j’ai suivi, grâce au génie de la télévision nationale, le séjour du Président de la République à Ziguinchor. Les promesses qu’il a faites aux Casamançais quant à la promotion de l’économie de cette partie sud du pays me semblent plus proches d’avoir la chance d’être réalisées que de tomber dans le panier des promesses électorales. Promesses électorales par lesquelles le pouvoir central, depuis Senghor, a la manie d’accrocher les populations de la périphérie au sentiment d’espoir, elles qui sont plus démunies que les autres en termes de traitement qu’offre aux Sénégalais l’argent du contribuable, en termes de jouissance du peu que la croissance leur céderait.

La Casamance n’a pas souffert que de la domination qu’elle pense avoir subi depuis la période coloniale jusqu’après l’indépendance du Sénégal. Elle a aussi souffert, depuis l’indépendance du Sénégal, de la promesse électorale qui, si elle était traduite en réalisations concrètes, lui aurait évité plus de trente ans de désastre. Je suis loin de penser que les engagements pris hier à Ziguinchor sont des promesses électorales, puisque c’est avec insistance que le Président les a faites, comme quelqu’un qui est sûr de ne pas trahir sa parole.

La Casamance a surtout souffert à cause de la guerre qui n’a pas chassé de ses villages seulement ceux-là qui y sont parfois étiquetés d’étrangers, mais qui en a chassé aussi et surtout ses « propres fils », qui se retrouvant en ville, qui en Guinée-Bissau ou en Gambie, avec toutes les souffrances que seuls n’appréhendent point ceux qui ignorent qu’on n’est jamais mieux que chez soi.

Aujourd’hui, elle ne souffre plus de la guerre, puisqu’il n’y a plus de guerre en Casamance. Elle souffre surtout de l’étiquette « Zone d’insécurité » qu’entretiennent ceux qui n’ont pas intérêt qu’elle retrouve son lustre d’antan : un havre de paix où l’on n’avait pas faim, en dépit de l’absence affective de l’Etat, et où l’on ne savait tendre la main à qui que ce soit. Et elle en souffrira encore toujours tant qu’on continuera de penser que sans la Paix on ne peut rien y entreprendre. Oublie-t-on que le développement, c’est-à-dire le bien-être des communautés humaines, est aussi facteur de paix ?

Nul n’ignore, et chaque Sénégalais le clame tout haut, que le sol casamançais à lui seul peut entretenir le pays. Si la Casamance peut nourrir le reste du pays, alors elle peut nourrir la Casamance. Pourquoi voudrait-on alors attendre qu’il y ait la paix à 100% pour entamer - je dis bien pour entamer, puisque rien n’a été nullement entamé de façon sérieuse ni avec l’ANRAC avec le régime de Wade ni pour le moment avec le PPDC avec le nouveau régime - des programmes dignes de développer la région naturelle de Casamance et de promouvoir économiquement et socialement les Casamançais afin que dans leur écrasante majorité ils aient le sentiment qu’ils ne sont pas des Sénégalais entièrement à part mais à part entière ?

Le temps est venu pour Macky SALL de marquer la différence avec ses prédécesseurs, et il semble bien le commencer. L’ANRAC a été comme un bluff ; il ne faut pas que le PPDC le soit. Le Président a déjà tenu son feutre vert, jetant à la poubelle le rouge. Et voilà qu’il commence à gribouiller, il faudra qu’il en arrive à imbiber le papier d’une marque verte indélébile, d’une chlorophylle pure dont les futures générations, comme le caméléon dans la verdure, aimeront bien se teinter, et ce dans le cadre d’un développement durable. En effet, la Casamance a besoin de sortir de son éloignement et de son isolement. Son désenclavement par la voie maritime doit être accompagné de celui par la voie aérienne, terrestre et ferrée. Il ne faudra surtout pas que l’existence d’un pont sur le fleuve Gambie, à Farafenni où en sera posée aujourd’hui la première pierre de construction, fasse oublier que la continuité territoriale du Sénégal vers la Casamance est plus effective lorsqu’une voie de contournement est construite, de manière à ce que, si en cas de nécessité la Gambie se voit obligée un jour de fermer ses frontières (par exemple le jour d’une élection présidentielle), les citoyens sénégalais qui désirent se rendre au sud ne soient pas lésés.

Ce désenclavement devra aussi être renforcé par celui des villages des profondeurs, pour mieux les ouvrir au reste de la région et du pays. Les pistes de production ne sont pas mauvaises, mais les routes bitumées sont encore meilleures parce que durables et supportant mieux les gros porteurs qui iront y transporter les fruits vers les grands marchés de la région et du pays. Les routes bitumées sont d’autant meilleures que tous les Sénégalais aujourd’hui le savent et ont plus besoin d’elles que de pistes de production qu’on leur réalise la plupart du temps avec de la terre, pour ne pas dire du sable. Or, il est bien possible, dans la plupart des zones en Casamance, de réaliser des « boucles » pour satisfaire une écrasante majorité de villages en termes de leur désenclavement.

Les deux grosses digues de désenclavement que l’Alliance Sénégalo-Guinéenne pour la Paix et l’Intégration (ASGPI) est en train de construire avec les moyens du bord, d’une part entre Kaguitte (dans la Commune de Nyassia / Département de Ziguinchor) et Youtou (dans la Commune de Santhiba Manjacques / Département d’Oussouye) et d’autre part entre Kaguitte et la Guinée-Bissau via Kassou-Sénégal, sont l’illustration que les profondeurs du pays ont soif de s’ouvrir vers les centres urbains et vers le grand centre que constitue Dakar. Non pas pour inciter leurs enfants à aller rester dans ces villes ou à Dakar, mais plutôt pour leur permettre d’échanger avec les autres puisqu’ils pourront se rendre facilement hors de leurs terroirs pour écouler leurs produits et que ces autres-là aussi pourront facilement se rendre dans ces terroirs pour y vendre ce qu’ils ont et y acheter ce qu’ils n’ont pas.

Ces digues visent non seulement à ouvrir Youtou et Kassou-Sénégal au reste de la région et du pays, mais aussi à redonner à la zone de Kaguitte la fonction de carrefour qu’elle avait avant le conflit. En effet, dans la dynamique de l’accalmie générale effective constatée dans la région, par la conviction que dans ce contexte il soit possible de ne pas attendre la paix et 100% pour poser les jalons socioéconomiques de la recherche d’une paix définitive et eu égard à cette autre dynamique entamée par une certaine volonté politique propre au Président Macky SALL vis-à-vis de la Casamance, il y a urgence à relancer, dans l’interzone, l’activité économique dont le village de Kaguitte, avec son Marché communautaire réalisé depuis 2008 par le Conseil Rural à hauteur de 30 millions environ, peut être, plus que n’importe quel autre village dans l’arrondissement de Nyassia, la plaque tournante.

Mais désenclaver la Casamance pour qu’elle exporte tous ses produits vers Dakar ne changera rien à la frustration. L’Etat devra être très regardant dans ce que font les bras auxquels il a confié la traduction en réalité de ses objectifs de développement de la Casamance, pour que ces réalisations soient effectives. Que les Casamançais disposent sur place d’usines pour transformer les produits, les consommer en toutes périodes de l’année et les exporter n’empêche guère que les marchés de Dakar et des autres régions soient fournis en produits frais et de bonne qualité venant de Casamance ; frais et de bonne qualité puisque les conditions de leur transport seront déjà réunis, on l’espère, par la mer, par la route et par le chemin de fer.

Au mois de décembre, j’ai emprunté, en Guinée-Bissau, l’une des meilleures routes bitumées de ce pays, construite par l’entreprise sénégalaise CSE d’Aliou Sow et désenclavant une bonne partie de la zone frontalière avec le Balantacounda. J’ai ainsi séjourné pendant cinq jours dans un Centre de formation à Djalicounda (entre Mansoa et Farim) où on forme aux techniques agricoles et de transformation de produits locaux et où fonctionne une unité moderne de transformation de ces produits. Ici, après un contrôle de qualité qui se fait sur place, le jus mis en bouteilles et la confiture en bocaux ainsi que tous les autres produits, sont vendus dans les marchés de la Guinée-Bissau et une bonne partie exportée dans certains pays de l’UE. Et je n’ai eu donc, pour ces deux raisons, que mes larmes pour exprimer non seulement ma joie de constater que la Guinée-Bissau, pays connu instable, a bien compris ce qu’il faut pour ses citoyens du monde rural, mais aussi l’amertume de constater que cela qui pouvait être fait en Casamance tarde bien, à cause d’un conflit, à l’être jusqu’en 2000, et depuis lors par manque de volonté politique ou par le fait que le sud serait une « Zone d’insécurité ».

L’on me rétorquera que le MFDC est contre ces routes qui mènent vers certains villages, du fait qu’il aurait positionné certains de ses camps dans ces zones frontalières. Oui, mais le MFDC n’est pas pour autant contre le désenclavement de la région et le relèvement de son tissu économique qui passe par son développement agricole, industriel, halieutique et touristique pour ne citer que ceux-là ! Imaginerait-on un seul instant le MFDC ordonnant l’interdiction d’implanter des complexes capables de créer des emplois pour les jeunes et les femmes de Casamance et ainsi d’empêcher l’exode rural et l’émigration clandestine ?

Pour terminer, je voudrais exhorter le Président, engagé dans cette bonne voie qu’il trace pour la Casamance, à ne pas s’en détourner au risque d’altérer l’opinion que les Casamançais ont de sa personne : ce serait alors, dans ce cas, laisser ses engagements glisser vers le panier des promesses électoralistes. Je crois bien qu’il n’a rien à attendre en retour des Casamançais qui soit d’intérêt politicien. D’intérêt politique, oui et c’est normal, en tant que politique de développement consistant non pas à faire rattraper le temps perdu pendant plus de trente ans, mais à sortir la Casamance du gouffre. Les dividendes électoraux ne viendront que d’eux-mêmes à la prochaine élection présidentielle.

Merci donc, Monsieur le Président ! Mais les Casamançais, contents de vous aujourd’hui pour les actions concrètes que nul ne peut confondre à la lune en regardant le soleil, ne sont pas encore satisfaits. Ils ne le seront que lorsque vous aurez mieux fait par rapport à la réalisation de la Paix, mais aussi en termes de désenclavement plus poussé et d’implantation de tissus économiques qui les pousseront à renouer avec le bien-être sans être obligés de s’installer à Dakar. Que Dieu guide vos pas et que les trois femmes, Aline Sitoé Diatta, Aguène et Diambogne qui n’ont jamais tourné le dos au Sénégal, à la Casamance en particulier, vous inspirent.

Daouda DIEDHIOU
Professeur de Français,
Président de l’Union des Jeunes de Kaguitte et Environs (UJKE)
Email : daouda1966@yahoo.fr