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Quand la Loi sur la baisse des loyers sème la zizanie

Rédigé par leral.net le Dimanche 23 Février 2014 à 14:28 | | 0 commentaire(s)|


Depuis l’entrée en vigueur de la loi du 22 janvier 2014 portant sur la baisse des loyers calculés hors surface corrigée, des avis divergents sont notés un peu partout à travers le pays. Si les uns expriment leur satisfaction face à cette baisse, les autres n’ont de cesse d’exprimer leur mécontentement voire leur colère face à ce qu’ils considèrent comme une injustice. Et ce même si cette mesure de baisse est très salutaire au profit de nombreux pères de famille. Une baisse à l’actif du président de la République, M. Macky Sall, qu’il faut encourager et remercier. Seulement, les premières tensions entre bailleurs et locataires ont été relatées à travers la presse qui s’en est fait l’écho.


Quand la Loi sur la baisse des loyers sème la zizanie
Force est, en effet, de reconnaître que cette loi pose plus de problèmes qu’elle n’en résout. Des professionnels de l’immobilier ont fustigé la démarche de l’Etat qu’ils jugent un peu précipitée. Ces derniers ont surtout mis l’accent sur l’incohérence des pourcentages de la baisse définis par cette loi.
Les propriétaires des logements dont les loyers sont inférieurs à 150 mille francs, qui sont par définition les bailleurs les moins nantis, ont été les plus touchés par cette baisse. Or, c’est dans cette catégorie que l’on trouve les retraités, les veuves etc… qui ont mis en location tout ou partie de leur unique bien pour en tirer des revenus nécessaires à leur survie. Hélas, ce sont ceux-là mêmes qui ont payé un lourd tribut vis-à-vis de la nouvelle loi. Et l’homme d’affaires Bocar Samba Diéye avait posé avec brio ce débat dans nos colonnes en donnant l’exemple de cette pauvre mère de famille dont il est chargé de récupérer les revenus tirés de sa vieille baraque.

Un montant de 25.000 fcfa / mois ! Autre exemple, celui de cette enseignante qui vit dans son domicile conjugal, et qui a donné en location sa maison sise au quartier Hamo pour un modeste loyer de 80.000 francs. Elle va se retrouver avec 56 800 F CFA de loyer mensuel !

Exemple encore qui montre l’absurdité de cette loi. Il s’agit de celui d’un vieux retraité, imam de son état, qui dispose d’une maison de quatre chambres, avait choisi de vivre dans les deux chambres en louant les deux autres à raison de 35 mille francs chacune. De 70.000 francs de revenus mensuels, il va se retrouver avec 24 800 F CFA x 2, soit 49. 600 francs.

Dépités, ces deux derniers propriétaires, l’enseignante et l’imam, ont décidé tous les deux, qui, de reprendre son bien pour le louer à un membre de sa famille, qui d’habiter tout simplement avec sa famille.

L’autre travers de cette loi, c’est que les loyers les plus élevés échappent bizarrement, du fait de leur faible pourcentage (4 %), à une baisse conséquente du montant de leurs loyers. Et pourtant, il existe des Sénégalais qui gagnent leur argent à la sueur de leur front, qui veulent vivre décemment, et qui n’ont pas la possibilité de bénéficier de cette baisse. C’est pourquoi, un spécialiste de la question a parlé du caractère anticonstitutionnel de la loi sur la baisse des loyers, puisque les citoyens ne sont pas égaux devant elle.

Quid des bailleurs de l’intérieur du pays où il n’y avait pas de spéculation notée dans ce secteur ? Ils auront à subir eux aussi les affres de la baisse de leurs revenus, du fait de la situation notée dans Dakar.

C’est ainsi que, pour beaucoup de propriétaires, la seule voie de salut réside dans la signification d’un congé de six mois au locataire, en vue de reprendre leur bien pour ensuite procéder à des travaux de rénovation, avant de le louer à un montant supérieur.

Le corollaire de tout ceci, c’est que, dans un proche avenir, prédisent des professionnels du secteur, il y aura une crise sans précédent du loyer au Sénégal puisque l’Etat a généré à travers cette loi, une spirale haussière. Les biens à louer vont se raréfier alors que la demande sera toujours forte, du fait de la configuration de Dakar qui couvre 3 % du territoire pour ¼ de la population.

De plus, beaucoup de Sénégalais qui investissaient dans le secteur de l’immobilier vont désormais y regarder par deux fois avant de le faire.
Mais alors, pourquoi diantre le Président Macky Sall a-t-il pris cette loi en urgence ? Qu’est-ce qui justifie cette rapidité dans le vote, la promulgation et la publication éclair le même jour dans le journal Officiel, allant même jusqu’à échapper au Secrétaire Général du Gouvernement ? Il faut consulter les annales de la République pour retrouver un cas similaire où une loi est promulguée et publiée le même jour dans le J.O.

Mais nos autorités doivent s’attendre à un retour de bâton. Comme le disait un expert en promotion immobilière lors d’un débat télévisé, d’autres pays ont eu à prendre des mesures similaires (Maroc, Zimbabwe), mais cela s’est traduit par une catastrophe. Les bailleurs et les propriétaires terriens se sont rebiffés en créant la pénurie. Résultat des courses : une crise du logement ou de l’agriculture sans précédent s’est installée dans ces pays précités selon leurs cas respectifs.

De plus, non content de ce dispositif législatif déjà corsé de baisse des loyers, le président de la République a récidivé en y ajoutant deux décrets N° 142 et 143 du 05 février 2014, qui revoient à la baisse les pourcentages de calcul de la surface corrigée définis dans la loi de 1977, afin qu’elle reflète les pourcentages de baisse de 29 %, 14 % et 4 % fixés par la loi du 22 janvier 2014.

Pour les experts, le Président a ramené les prix locatifs à la situation d’avant 1977, alors que le 2ème choc pétrolier de 1979, les ajustements structurels des années 80, la dévaluation de 1994 etc… sont passés par là. Ce qui a contribué à faire monter les coûts du foncier en particulier et de l’immobilier en général.

Or, ces critères de 1977 étaient définis à une époque où l’Etat était pratiquement propriétaire de la majorité du parc locatif existant dans le pays y compris les logements SICAP et HLM que beaucoup d’occupants n’avaient pas fini de payer à l’époque.

Aussi, ajoutent ces experts, l’Etat du Sénégal, conscient de cette situation, a revu deux fois à la hausse les prix de cession et de location de son parc foncier à travers les décrets de 1988 et 2010.

Enfin, notent toujours ces experts, la forte pression fiscale qui s’abat sur le secteur de l’immobilier a contribué fortement à la hausse des prix du loyer. Par exemple, un terrain acheté à 30 millions de F CFA est taxé au total à 6 millions de F CFA (Taxes et honoraires compris). Si l’on y ajoute la TVA sur les travaux de construction de 18 %, la Taxe sur le foncier bâti 5 %, les droits d’enregistrement sur les loyers 5 %, la taxe sur le foncier bâti, la taxe sur les ordures ménagères 3,6 %, l’on s’aperçoit que cette fiscalité est excessive. De tout ceci, l’Etat n’a pas pipé mot dans sa nouvelle loi. Certes, des directives ont été données récemment en Conseil des ministres pour voir dans quelle mesure baisser ces taxes. Mais les spécialistes du secteur attendent de voir.

Certes, pour régler la lancinante question du logement au Sénégal, le Président a décidé récemment de construire 5 000 logements confiés à des Marocains. Mais tout le monde se rappelle de l’épisode du groupe marocain CHAABI, à qui le Président WADE avait attribué l’ensemble des terrains d’assiette disponibles à Dakar pour construire des logements, on a vu ce qu’il en est advenu. Par la suite, il y a eu les 70 000 logements annoncés par des Malaisiens dans le cadre du plan Jaxaay, finalement ce seront des promoteurs sénégalais bon teint qui ont réalisé les 3 000 logements disponibles. Et récemment aussi, ce sont ces mêmes entreprises sénégalaises qui ont eu à réaliser avec brio les logements des sinistrés à Tivaouane Peulh.

En attendant ces logements annoncés avec joie, les conflits et les coups de poings pleuvent entre certains bailleurs et leurs locataires.
Au vu de la tension palpable qui sévit actuellement dans le secteur locatif, l’on est en droit de se poser la question de l’opportunité de cette loi expresse.

Ce qui fait dire à certains économistes que l’Etat veut détourner les investisseurs de ce secteur caractérisé, selon les autorités, par sa faible valeur ajoutée. En effet, pour ces dernières seul le propriétaire et son gardien vivent des rentes générées par le bien immobilier. Pour d’autres, le Chef de l’Etat voulait éteindre le feu d’une explosion sociale due à la cherté du coût de la vie dans le pays.

Cet argument ne convainc pas nos analystes. Pour eux, il s’agit tout bonnement d’une mesure à caractère populiste, car les élections locales approchent à grands pas et le bilan n’est pas fameux. La traque des biens mal acquis n’a donné que de maigres résultats, la baisse des denrées de première nécessité n’est qu’un leurre, et la situation des industries du pays n’est pas fameuse.

Où trouver des électeurs favorables au Président et sa coalition ? Eh bien, entre les électeurs bailleurs et les électeurs locataires, le calcul est vite fait pour un politicien avéré.

Ousmane DIOP (Goorgorlou sénégalais sans toît)

« Le Témoin » N° 1154 –Hebdomadaire Sénégalais ( FEVRIER 2014)