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Ramadan des détenues: Prison de Liberté 6 à l’heure du «Ndogou»

Jamais mois n’aura été aussi béni que celui du Ramadan pour les détenues du Camp pénal de Liberté 6, qui refusent du monde, tant les Sénégalais rivalisent de générosité à leur apporter le «Ndogou».


Rédigé par leral.net le Jeudi 9 Juillet 2015 à 09:29 | | 0 commentaire(s)|

Ramadan des détenues: Prison de Liberté 6 à l’heure du «Ndogou»
Khoudia a deux mois et deux ravissants yeux qui vous scrutent l’âme. En prison depuis sa naissance, elle apprend à distinguer les particularités des visages. Celle de sa maman y compris. Le nourrisson n’y arrive pas bien encore. Il lui faut très souvent plusieurs minutes avant de sourire à un visage connu. Des minutes que lui accordent rarement les mains avides de la centaine de femmes du Camp pénal de Liberté 6 où l’adorable bébé voltige de bras en bras à longueur de journée. «Khoudia est la mascotte de la prison», lance une prisonnière, en découvrant des dents du bonheur. Emmitouflée dans un long voile orange et posée en tailleur sur son tapis de prière près de l’entrée de la cour de la prison, elle recueille l’enfant dans le nid douillet formé par ses bras et son torse. Son dos arrondi par sa posture fait face à la chambre 4 et à ses matelas disposés à même le sol. Le regard ne s’attarde pas trop sur le décor, fait pour la plupart, de bagages fourrés dans des sacs en plastique. Les yeux des pensionnaires de cette chambre, tassées sur un banc en pierre près de ce qui ressemble à un garde-manger, scrutent toute condescendance. Méfiantes mais gentilles, elles discutent par monosyllabes, rient peu et écoutent beaucoup. Tout le contraire de leurs voisines d’en-face. Logées dans la chambre 1, elles comptent quelques Occidentales avec qui elles papotent gaiement. Une discussion à laquelle se joint, par intermittence, celle qui a recueilli maintenant le nourrisson. Teint clair et visage racé, elle sourit toute sa sérénité au bébé, qui aussitôt, plonge sa frimousse dans son flanc droit. Là où repose le sein. On devine plus qu’on entend le bruit de succion qui accompagne le mouvement de Khoudia. Mauvaise pioche, cette prisonnière-là n’est pas sa mère et elle n’est pas non plus celle qui la saisit de suite pour l’empêcher de crier famine. Ni celle qui la prend au vol pour l’emmener au fond de la cour. Là où de très jeunes filles, posées sur des seaux, snobent visiblement le cercle des prisonnières d’à-côté où atterrit le bébé. «Viens ici, ta sérère de mère est trop occupée à manger», lui dit un visage auquel l’enfant répond par des pleurs. Une crise de larmes qui ne permettra pas de démasquer la fameuse maman gourmande. Entre Khoudia et les plats de riz au poulet fumant, elle a choisi. Au grand bonheur d’une garde pénitentiaire qui joue les nourrices pendant que ses protégés dégustent le «Ndogou» offert par la Convergence des femmes «mackystes» (Confem).

Café noir

Elles s’appellent Khadyja, Mame Diarra, Boury, Khadija, Marie, Yacine, Aïssatou et Awa, elles sont jeunes et pour la plupart bien intégrées professionnellement. Politiques sans être politiciennes, elles servent leur soupe idéologique, l’aplomb du politicard en moins. «Ce qui nous intéresse, ce qui nous réunit, c’est la personne de Macky Sall, sa vision. Et nous nous inscrivons dans la vision du Président, en partageant ce «ndogou» avec les prisonnières», tente Khadyja, juriste et présidente de la Confem à ses heures. Greffage au vent et maquillage en place, la jeune femme détonne dans le milieu carcéral. Comme ses jeunes camarades d’ailleurs, dont les ardeurs ont été, dès l’entrée dans la prison, refroidies par les gardes pénitentiaires. «Pas de couteau, pas d’objets tranchants, rien de dangereux». Confusion et échanges de regards, avant qu’une stratégie ne soit adoptée. Les pains seront beurrés dans l’arrière-cour avant l’accès aux prisonnières. Dans l’ardeur de la tâche, Awa, la préposée aux actions sociales, se coupe le doigt. Le sang gicle. Elle ne se plaint pas, ses camarades non plus. Une sincérité dans l’action qui occulte le but politique de l’œuvre sociale. Dedans, les prisonnières assises en U dans la courette, attendent sagement de casser la croute. Cinq nouvelles pensionnaires arrivent, les quatre pleurent les larmes de leur corps. La dernière, port altier et boubou de luxe, garde son calme. Elle ne prendra que du café noir. Et du pain beurré, sur insistance des Cofem. Sa sérénité désarme Khadyja et Khadija. Boury est occupée à réconforter l’une des nouvelles venues, dont les larmes ne tarissent pas. Les autres ont trouvé leur place dans les différents groupes. Les ventres se remplissent, les visages s’égaient, la familiarité s’installe. Une prisonnière nargue son garde et cousine à plaisanterie, qui met un bout de pain dans sa bouche. «Et dire que tu nous rabâches à longueur de journée que tu n’es pas gloutonne». Eclats de rire de part et d’autre. La remarque attire l’attention sur la présence discrète des gardes pénitentiaires. Elles se perdent dans les groupes et réapparaissent dans les chambres où quelque unes, par timidité ou maladie, n’ont pu rejoindre la cour. Yacine est sur le pas de la porte 3, elle veut emmener le kit «ndogou» à celle qui s’est fait arracher une dent. Interdiction formelle de pénétrer dans les chambres. Elle noie sa déception dans le câlin de Khoudia qui, comme par magie, lui a été déposée sur les bras. L’heure du dîner est sonnée par la directrice qui, à distance et avec bienveillance, surveille l’opération. «Elles doivent rejoindre les chambres pour la nuit», s’excuse-t-elle, presque. Les détenues n’ont pas le temps de digérer le café au lait, que déjà s’annonce le «ceebu ganar». Yacine place Khoudia dans les mains d’une garde. Cette dernière résout enfin l’énigme de la mère gloutonne. «Reprends-là et arrête de manger», glisse-t-elle à une jeune femme qui se cache le visage derrière un morceau de tissu. Du groupe des taciturnes, elle ne soufflera mot de ce qui l’a conduite dans ces murs, préférant rire de tout et de rien. Sur le pas de la porte 4, la gardienne essaie de trouver une place pour les nouvelles arrivantes. «Où veux-tu qu’elle dorme ? On est déjà à l’étroit», rétorque une femme à la voix forte. «En quinconce», plaisante la gardienne, en s’éloignant. L’arrivée des plats la dispense d’une saillie.

La cambrioleuse

Au fond de la cour à droite, on retrouve une bande de très jeunes filles qui discutent sans prendre garde à l’entourage. Assises en cercle devant la «Chambre des mineures», elles jettent de temps en temps des regards méfiants à celles qui les entourent. «The spy (les espions)», comme dit l’une d’entre elles à l’anglais impeccable et au français irréprochable. Détenue depuis deux ans pour des faits de cambriolage, elle a fêté ses dix-huit ans en mai dernier. De forte corpulence et très grande, elle porte sa masse de cheveux en bataille. Sa famille n’habite pas loin de Camp pénal, alors elle ne manque de rien et mange peu du plat que Aïssatou vient de déposer dans son cercle. Une bouteille de boisson à la main, elle distribue la parole et la prend sans crier gare. Autour d’elle, trois autres mineures mangent de bon appétit. L’une était femme de ménage avant d’être accusée de vol de bijoux. L’autre, une Gambienne, aurait escroqué son copain «toubab». On reproche à la plus jeune (14 ans) d’avoir délesté sa grand-mère de quelques centaines de francs. Toutes ont des discussions qui tournent autour de leurs familles respectives, leurs études, leurs lectures, leur confiance trahie. Le «ndogou» organisé en cette période bénie leur permet de voir un monde plus varié, alors, elles ne boudent pas leur plaisir. «Mes cours me manquent», dit la plus jeune, rêveuse. Elle a l’espoir de sortir dans quelques jours, tout le contraire de la «cambrioleuse». Et tandis que les Cofem rangent assiettes et couverts et disent au revoir, elle fixe son regard vers la porte de sortie. Introspective, elle se lance à elle-même, «j’aurais pu être l’une de ces dames si je n’avais pas été aussi amoureuse…»

L'Observateur