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Reprise du procès de Hissein Habré : Clément Abaifouta, de la Sociologie à un avenir de fossoyeur dans les prisons tchadiens

Le procès de l’ancien chef d’Etat tchadien, Hissein Habré, a repris, ce lundi, après une pause d’une semaine, avec comme témoin à la barre, Clément Abaifouta, surnommé « le fossoyeur ». Celui qui est passé de cuisinier des militaires à fossoyeur a vu son rêve de devenir sociologue, après l’obtention d’une bourse d’étude pour l’Allemagne, se fondre dans les prisons du Tchad durant le règne de Habré.


Rédigé par leral.net le Lundi 9 Novembre 2015 à 15:02 | | 0 commentaire(s)|

Reprise du procès de Hissein Habré : Clément Abaifouta, de la Sociologie à un avenir de fossoyeur dans les prisons tchadiens
Arrêté le 12 juillet 1985 à Sabandaly à Ndjaména, Clément Abaifouta, présentement président de l’Association des victimes des crimes du régime de Hissein Habré (Avcrh), a fait face, ce lundi, aux juges des Chambres africaines extraordinaires, pour apporter son témoignage et démontrer l’horreur qu’il a subi, dans les centres de détention où il est passé. « J’ai été emprisonné pendant 4 ans. J’ai vu le pire de ma vie lors de cette détention », a raconté M. Abaifouta qui a été surpris de son arrestation alors qu’il venait d’avoir le Bac et qu’il a obtenu une bourse pour suivre des études de sociologie en Allemagne via son oncle responsable de la faction des rebelles de l’Und. « Nous étions plus de 50 dans cette cellule de 2,5 m² de la Dds, au bout de 2 semaines d’emprisonnement. Nous nous mettions ensemble, les pieds dessus comme une pyramide. On nous ouvrait vers 17 heures pour prendre de l’eau », se souvient Clément Abaifouta.

Actuellement conseiller dans une télévision privée au Tchad, Clément Abaifouta a, par ailleurs, évoqué son rôle à la prison. Avant d’être fossoyeur, il a d’abord été cuisinier des militaires. « Pendant que j’étais aux locaux, quelques mois plus tard après mon arrestation, j’ai été choisi pour la cuisine des militaires. Ils arrachaient du poisson frais chez les pêcheurs qu’ils me donnaient à cuisiner », explique-t-il avant d’ajouter qu’il a été en même temps le blanchisseur des soldats. « De la cuisine des militaires, je suis passé à la grande cuisine et de là je suis passé fossoyeur », renseigne-t-il. Poursuivant, il renseigne qu’il fallait accepter cette tâche parce qu’Abas Moussa les traitait comme des ennemis de l’Etat. A l'en croire, les cadavres venaient de partout. On enterrait les morts selon le rythme des morts. « Abas Moussa demandait parfois de faire 2 grands trous. Ils nous ont amené à la gendarmerie où nous avons ramassé les corps. Mais, lorsque vous touchez le corps, la peau vous suit. Les corps étaient enflés. Une odeur sortait de la bouche des morts », narre-t-il. A Ambarose, poursuit-il, il y avait 37 corps pour la première fois. Pour la seconde fois, il y avait dans la cellule C, 60 corps ».

Toutefois, il s’est dit surpris de la réaction d’Abas Moussa après l’enterrement de ces corps. « Il a demandé à connaitre le nombre de mort, on lui a expliqué, il a dit que lorsque vous êtes ennemi de l’Etat, vous devez mourir plus que ça », dit-il. Car, selon lui, pour le commun mortel des Tchadiens, lorsque vous avez été pris par la Dds, vos parents organisent votre deuil. D’ailleurs, il se rappelle : « Lorsque vous êtes détenus politiques, on lave votre corps et on vous met dans un sac ». Ainsi, soutient-il, la Dds, pour moi, c’est la terreur Rouge. Les gens mourraient parce qu’ils ne mangeaient pas à leur faim, les gens mouraient de dysenterie, des irritements de peaux, c’est des maladies que l’on pouvait soigner ».

M. Abaifouta a rapporté à la Cour l’horreur qu'un infirmier, venu de la présidence de la République faisaient subir aux prisonniers. « En 1988, nous avons accueilli un homme habillé en blanc, on nous a dit qu’il venait de la Présidence. Il posait des questions à Abas Moussa. On nous a dit que c’est un infirmier, mais quel infirmier ! Ce dernier nous terrorisait. Même pour te donner un comprimé, il te hurlait. Lorsqu’il te mettait une seringue, tu mourais à la minute qui suit », tonne-t-il.

Par ailleurs, informe-t-il, la Dds de Hissein Habré n’a pas tué que des Tchadiens en prison. J’ai trouvé des Camerounais, des Libyens, des Syriens, des Nigériens, etc. D’ailleurs, un prisonnier syrien nous disait : « Quand il va sortir de cette prison, il ne va plus prendre un avion qui va traverser le ciel tchadien ».

Évoquant le cas de Rose Lokissim, M. Abaifouta témoigne que c’est une brave femme. « C’est une brave femme. Elle ne ressemblait pas avec les autres femmes. Elle avait un comportement d’un homme », dit-il, avant de révéler que la Dds avait des prisonniers fabriqués. La Dds introduisait des prisonniers dans la prison pour savoir ce qui se passe dans la prison. Et c’est ces taupes qui ont trahi Rose Lokassim. Aussi, dit-il, Habré avait ses hommes partout. « Même votre femme vous ne pouvez pas avoir confiance en elle ».

Fara Mendy