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Rime mortelle d’un match de foot-balle - Par Mamoudou Ibra Kane

Arrivera-t-il un jour où sécheront ces larmes de crocodile ? Arrivera-t-il un jour où s’estomperont ces paroles de circonstance faussement émues, faussement sincères et démagogiques ? Oubliera-t-on, huit jours après le lâche assassinat de Bassirou Faye, mort à un âge où l’on ne devrait pas mourir de la sorte ? Fera-t-on nôtre, cette assertion de Saint-Augustin : «A force de tout voir on finit par tout supporter…A force de tout supporter on finit par tout tolérer…A force de tout tolérer on finit par tout accepter…A force de tout accepter on finit par tout approuver.» Comme on a oublié les autres, tous les autres crimes jamais élucidés puisque sans criminels.


Rédigé par leral.net le Dimanche 24 Août 2014 à 06:00 | | 0 commentaire(s)|

Rime mortelle d’un match de foot-balle - Par Mamoudou Ibra Kane
Oh que non ! Le président Macky Sall promet que ce ne sera pas le cas cette fois. On attend l’élucidation des lâchetés, des compromissions, des dérives. Mais on n’attendra pas comme on attend Godot.



Alain Mélas, expert balistique français – oui ! parce qu’il n’y en a pas un seul au Sénégal !- est arrivé de Paname à Ndakarou, tous frais payés par le contribuable sénégalais. Pour rappel, l’absence dans le pays d’un expert balistique sénégalais s’était également posée, il y a 21 ans maintenant, lorsque le juge constitutionnel Babacar Sèye avait été assassiné dans l’après-midi du samedi 15 mai 1993. C’est ce qu’on appelle… dormir sur ces balles. Pardon, ces lauriers. Chut ! Ne crions pas notre indignation nationale ; on nous demande d’étouffer notre fierté nationale, notre amour propre après nos cinquante-quatre ans d’indépendance illusoire. Contentons-nous, sans piper mot, que ce Mélas-ci ou ce Mélas-là soit venu nous sortir de la mélasse. Le constat est là, triste.

Capables de tirer une balle, nous sommes toujours incapables de nous tirer d’affaire en matière d’expertise balistique. Et dire que Bassirou Faye, le pauvre, étudiant en Math-Physique, s’il était encore en vie, aurait pu être ce futur expert de la balle qui l’a tué ! La honte. Mais la révolte surtout. Mais bon, ce serait déjà ça dans la volonté du président de la République de tirer au clair cette nouvelle affaire, si Monsieur Mélas nous permettait de découvrir au grand jour le visage de l’auteur du tir fatal du 14 août.

Le chef de l’Etat, dont la détermination à aller jusqu’au bout est à saluer, n’a pas pu éviter une deuxième affaire Balla Gaye. Le mal est fait, le coup (de feu) déjà parti. Irrattrapable. Et le parallèle macabre, s’il en est, plus que tentant. A Abdoulaye Wade, son Balla Gaye. A Macky Sall, son successeur, son Bassirou Faye. Balla Gaye-Bassirou Faye : ça rime mortellement bien ! Tristement. Etonnant, surprenant et choquant de voir un Abdoulaye Wade, devant photographies et caméras, se poser, se pauser et se peser, tenant un langage de médecin, après la mort, et surtout en sauveur de la situation ! Façon de se poser. C’est sa façon de s’opposer aussi. Malheureusement. Mais sauveur de qui ? Et sauveur de quoi ?

On n’est pas amnésiques encore moins naïfs. N’est-ce pas avec Wade dont le régime était encore dans ses limbes (un an après l’alternance de 2000) que Balla Gaye, il y a treize ans de cela, est tombé sous une balle policière (?) qui lui a été fatale. Comme aujourd’hui avec Bassirou Faye, au regard des circonstances présumées de la mort de celui-ci ? Un peu de respect Monsieur l’ancien Président.

Balla Gaye : 31 janvier 2001. Bassirou Faye : 14 août 2014. Entre ces deux jeunes étudiants victimes de coups de feu policiers (?), il y a Saer Boye. Ne l’oublions pas dans le décompte macabre. Il a été tué à coups de poing par son « camarade » étudiant le 23 juillet 2014. « Trois morts à zéro » en souvenir de la célèbre TV Movie des années 80 du réalisateur français Jacques Renard. « 3 morts à 0 », avions-nous dit. Surtout, 3 morts pour 0 au tableau d’affichage… d’un match de foot-balle « tripartite » à l’UCAD : politiciens, policiers et étudiants. Ce triste et sinistre film que nous regardons sans réagir depuis des années à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar dont le réalisateur n’est autre qu’une classe politique sénégalaise armée d’une police habituée à la bavure ou alors utilisée comme bras armé.

Il y a trois hypothèses dans la mort de Bassirou Faye. Une première qui tiendrait au fait que l’étudiant ait été bel et bien tué par un policier. Volontairement ou non ? Peu importe. C’est grave et abominable. Une deuxième hypothèse soutenue par certains, reposerait sur « l’infiltration » de la police d’un un corps étranger (à la police et à l’université) qui aurait tiré la balle fatale sur le jeune natif du Baol. C’est aussi grave qu’abominable pour une police toujours mal renseignée. La troisième et dernière hypothèse, moins plausible, ferait d’un étudiant le meurtrier de son camarade de la faculté de Sciences.

En conclusion de toutes ces hypothèses, qui voient gouvernants et opposants s’accuser, hier comme aujourd’hui, de tuer des étudiants ou de pauvres citoyens, renseigne sur une chose. Nous avons une classe politique dirigeante meurtrière ! Il faut cependant dépassionner les choses pour les dépasser, quand bien même « la folie des passions » est toujours préférable « à la sagesse de l’indifférence ». Dépassionner le débat, c’est d’abord œuvrer pour l’élucidation des circonstances de la mort de Bassirou Faye et punir l’auteur et le(s) commanditaire(s) éventuel(s) du crime. Ensuite, appliquer aux grands maux d’une Université sénégalaise malade, les grands remèdes. Cela appelle une réforme profonde, celle en cours, si elle est jugée bonne. Sinon, elle doit être revue et corrigée par les acteurs. Une réforme qui, à titre illustratif, fera comprendre à l’étudiant dans un langage de vérité que la bourse ne saurait être « un gagne-pain » mais bien « un gagne-savoir ». Il s’agit de viser l’excellence et non d’appliquer une politique universitaire de nivellement par le bas avec « une généralisation des bourses » qui pose problème. Au-delà de l’Université c’est tout un système éducatif sénégalais qu’il faut revoir de fond en comble. En moins de trente ans, ce système a perdu deux années, l’une blanche et l’autre invalidée, tout en enregistrant des sessions uniques à répétition ou des années scolaires à quantum horaire régulièrement insuffisant. A ce rythme ce n’est pas demain que le Sénégal sera émergent. Le Plan du même nom aura beau être le meilleur des plans, le résultat sera le même et rien ne changera. Un pays plongé dans les bas-fonds des « trous noirs de l’émergence ». Sommes-nous condamnés à dire adieu au développement ? Triste destin si tel est le cas.

Mamoudou Ibra Kane