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Risque d'explosion à Bopp, Hlm 5, Ouagou Niayes…


Rédigé par leral.net le Mercredi 11 Septembre 2019 à 14:55 | | 0 commentaire(s)|

"On nous a dit que si ça explose, ce serait pire que le Joola"

Mar Lô, le directeur de la Protection civile avait sorti le gros lièvre : une menace d’explosion d’un collecteur âgé et vétuste de 70 ans, risque d’emporter 51 familles dans les quartiers Bopp, Hlm 5 et 6, Ouagou Niayes, Hann etc (Dakar). 300 000 personnes seraient exposées à l’hydrogène sulfuré (H2s), un gaz mortel au bout d’une minute d’inhalation. Depuis, les populations sont partagées entre la crainte, la surprise, mais surtout la peur. IGFM propose ce reportage réalisé en 2011 et qui est d’une brûlante actualité après l’affaissement d’une partie du collecteur.

C’est un trou, un petit trou d’égout qui ouvre une gueule de bête, féroce, nauséeuse qui ne fait pas 1 mètre de diamètre. Il constitue la terreur de la famille Ndiaye installée aux Hlm 5 depuis dix ans. Au beau milieu de la maison, à deux mètres du salon et à un mètre de la cuisine, le trou d’égout (regard) est au repos. Le calme avant la tempête de déjection qu’il jette dans la maison, sans prévenir quand ça lui chante et quand la pluie s’en mêle. Sur la porte qui mène dans le salon des Ndiaye, la dalle de la porte d’entrée a été relevée, idem pour la cuisine. Mais difficile de lutter contre le flot d’eaux usées qui jaillit du trou d’égout et son lot de désagréments qu’il cause aux habitants de la maison.

Victor, la trentaine dreadlocks au vent, grand gabarit, teint noir, s’avance dans le salon pour porter la parole de la famille. « Nous sommes confrontés aux problèmes des eaux usées, pratiquement toutes les semaines. Notre maison est remplie d’eaux noirâtres et sales. Des fois, ça déborde jusque dans le salon, les couloirs, la cuisine et ça nous empeste la vie», explique-t-il, habillé de jeans bleu et d’une chemise bleu-blanc.

Dans cette demeure modeste au numéro 2438 des Hlm 5, les couleurs claires de la maison des Ndiaye sont défraîchies, les carreaux ont perdu leur éclat et une légère couche noirâtre a abîmé l’endroit. Ici, les Ndiaye ne dorment jamais les poings fermés et quand ils se réveillent, ils croisent les doigts pour que le trou d’égout ne verse pas ses «saletés» dans le salon.

«Difficile d’affronter les eaux usées, on ne sait jamais quand elles peuvent se déverser. En plus, l’odeur nauséabonde qui se dégage du trou, rend la vie impossible. Franchement, c’est irrespirable et c’est dangereux pour la santé des enfants qui sont souvent maladifs. Depuis des années, nous vivons ces choses-là. Souvent, nous sommes obligés de fermer les portes et les fenêtres, ce qui fait que nous n’avons pas d’aération», regrette Victor.

L’homme semble désabusé, désarmé par ce «vain» combat contre les eaux usées. «Si on savait que la maison était assise sur le canal, jamais on n’allait habiter ici», avoue-t-il.

Aux Hlm 5, la plupart des maisons qui jouxtent la route qui mène vers le marché, sont assises sur le collecteur du canal des eaux usées. Un collecteur qui a aujourd’hui 70 ans et qui menace d’exploser à tout moment, en dégageant de l’hydrogène sulfuré (H2s), un gaz mortel au bout d’une minute d’inhalation.

Aujourd’hui, les autorités ont fini de dresser une liste de maisons menacées d’éboulement à tout moment, parce que construites sur le collecteur du canal des eaux usées. «300 000 habitants sont menacés et 51 maisons et édifices des Hlm 5 et 6, Ouagou Niayes, Bopp, Hann Fann sont menacées», souffle Mar Lô, le directeur de la Protection civile.

Malgré le danger, les familles font comme si… Sur l’angle de la rue qui mène sur le marché Hlm, la villa 2444 et sa plaque noire, se signale. Ce matin-là, Madame Gnagna Diack Diagne prend son petit déjeuner sur le perron, elle est entourée de ses petits-enfants et de ses filles.

Elle porte un boubou traditionnel aux couleurs arc-en-ciel et sue à grosses gouttes, malgré l’odeur qui s’échappe des égouts. «On vit difficilement avec l’odeur qui se dégage des égouts. On peut rester tranquille pendant un moment. Mais soudain, toute la pièce est embaumée par l’odeur pestilentielle et l’on respire mal. Nous vivons cela depuis 1974, mais cela s’est aggravé ces dernières années», renseigne-t-elle, un morceau de pain à la main.

A la devanture de cette maison, une cantine est érigée sur le canal et le regard est très visible au même titre que les articles de commerce. Un jeune homme de 26 ans, teint noir, lunettes fumées qui lui barrent le visage, Amdy Moustapha Diagne est le propriétaire de la boutique achalandée. Il dit : «Nous subissons beaucoup de désagréments liés aux eaux usées qui se déversent sur la rue, car les clients n’empruntent pas la ruelle. A fortiori venir y acheter des produits. Pendant cette période, nous ne vendons rien. Pourtant, j’ai dépensé 70 000 F Cfa pour essayer de réhabiliter le regard en y construisant une dalle.»

N’empêche, ce commerçant fait avec les odeurs qui empestent sa place et il ignore tout du danger qui peut provenir à tout moment de ce regard installé sur le canal du collecteur d’évacuation des eaux usées. Un collecteur vieillissant de 70 ans, qui peut exploser à tout moment et dégager de l’hydrogène sulfuré. «J’ai entendu parler de cette menace. Mais que voulez-vous que je fasse ? je suis là et si la mort me surprend ici je ne serai pas le seul. Car, les eaux usées se déversent jusqu’au marché des Hlm», minimise Amdy Moustapha Diagne.

Ici, la menace brandie par les autorités n’est pas prise au sérieux par les propriétaires des maisons. «Comment on peut dire que le collecteur des eaux usées a plus de 70 ans. Je ne crois pas aux menaces faites par les autorités de l’Office nationale de l’assainissement du Sénégal (Onas) et la direction de la Protection civile», peste madame Diack Samb qui occupe sa maison depuis 1974. «Les autorités feraient mieux de s’occuper de ce problème plutôt que d’effrayer les populations qui ne savent plus où donner de la tête. Depuis qu’elles ont parlé de ces menaces. Qu’ont-elles fait pour venir à bout de ce problème. Elles ne sont même pas venues nous parler», regrette Victor Ndiaye.

Plus loin, dans un imposant bâtiment à deux étages, Ousmane Sène, retraité de la douane, habite la maison 2109 des Hlm 5. Lui, prend très au sérieux, les menaces brandies par les autorités. On le retrouve chez lui, habillé d’un pantalon blanc et d’une chemise jaune. Il ne cache pas son inquiétude. «Nous avons tous des craintes, car les gens ont parlé de 2200 hectares menacés. Ce qui fait que nous prenons ces menaces très au sérieux. Car, nous sommes installés sur la zone», révèle-t-il.

«Les menaces d’éboulement et du gaz mortel nous font peur»

Sur le perron de sa maison, des canaux d’évacuation internes sont visibles. «Nous souffrons beaucoup pendant la saison des pluies, car les égouts extérieurs déversent leur trop plein sur nos maisons et nous ne pouvons rien faire sinon les vider», argue-t-il. Marie Fall, une femme «Drianké» (dame de forte corpulence) habite la villa 2811 des Hlm 6. De prime abord, la maison R+2 peinte en blanc est visiblement propre, mais dès qu’on franchit la porte, le regard d’égout situé sur la porte d’entrée se signale, mais il est protégé par un mur construit pour réduire les effets néfastes de ses déjections.

Cette grande dame qui habite les lieux, dit dépenser 50 000 Francs par mois, pour vider les eaux usées qui inondent sa maison. «Le camionneur est tellement fréquent chez nous qu’il me fait maintenant la vidange à 20 000 F Cfa et il m’arrive de vider les eaux usées deux fois dans le mois», avance-t-elle.

Alors quand les menaces d’explosion du canal s’en mêlent, cette maman est forcèment inquiète. «Depuis qu’on a entendu parler des menaces d’explosion et de substance, on a vraiment peur et c’est difficile d’être tranquille», fait-elle savoir.

A Bopp, autre populeux quartier de Dakar les bancs installés sur le jardin n’accueillent plus grand monde. Le collecteur principal situé au beau milieu de la place forte du quartier, a fini de chasser les derniers téméraires qui squattent le jardin. Une eau noirâtre dégageant une odeur nauséabonde, a fini d’imposer sa loi aux noctambules et autres promeneurs du dimanche. Ça pue à mille lieux à la ronde, et il faut se boucher les narines pour affronter les eaux usées.

A proximité, le quartier Ouagou Niayes n’est pas mieux loti. A la maison 417, Mère Ndiaye, la soixantaine est assise sur une natte, avec à quelques mètres d’elle, un regard d’égout. Le  monstre est protégé par un couvercle en fer. C’est le regard principal du coin, la maison fait partie des domiciles listés par le préfet qui sont sous la menace à tout moment d’un éboulement.

Visiblement exaspérée par la présence de L’Observateur, la vieille Mère Ndiaye se braque et trouve inutile qu’on parle à chaque fois des dangers qui menacent les habitants de sa maison. «Nous sommes en paix. Cette maison, j’y habite et c’est mon fils qui me l’a achetée. Nous n’avons aucun problème, à chaque fois les journalistes écrivent sur ma maison. Pourtant, nous ne sommes pas le seul domicile à avoir un canal d’égout dans ce coin», martèle-t-elle, en colère.

A côté de chez elle, l’imam Idrissa Sidibé de la mosquée Cheikh Ahmed Tidiane Chèrif a participé, il y a deux mois,  à la réunion convoquée par le Préfet de Dakar pour informer les notables, imams et chefs de quartier, du danger. Il confie : «Le préfet nous a convoqués pour nous dire que nous habitons sur des canaux vétustes qui peuvent dégager des odeurs nauséabondes. Il dit également que si ça explose, on pourra l’assimiler en termes de victimes à un drame semblable à celui du bateau Le Joola (bateau qui a coulé aux larges des côtes gambiennes qui a fait près de 2000 morts, Ndlr).Ensuite, il nous a listé des maisons qui sont implantées sur les canaux des eaux usées à Ouagou Niayes.»

Dans cette liste «noire», figure le majestueux bâtiment 408 de trois étages d’un émigré qui vit en Italie. A l’intérieur, les locataires ignorent tout de la menace. Rokhaya Diop, une dame d’une quarantaine d’années vit avec sa maman malade et son fils au 3e étage du bâtiment. Elle semble tomber des nues, quand on lui fait part de la menace. «Je loge dans ce bâtiment depuis deux ans, mais je ne savais pas que c’était construit sur le canal. Comme c’est le cas, je ne vais pas continuer à vivre avec ce danger, je vais déménager et chercher un endroit plus sûr», hurle-t-elle, comme une vierge effarouchée. Pour une surprise, c’en est une pour cette dame qui ne s’est jamais doutée de rien. «J’ai entendu les gens parler des menaces d’affaissement de bâtiments, mais je ne savais pas que notre maison en faisait partie», indique-t-elle.

La surprise et la crainte sont les sentiments les mieux partagés par les locataires qui logent dans ce bâtiment de trois étages. Amadou Fall; voisin de palier de la dame Rokhaya Diop, prend les menaces d’affaissement très au sérieux. Il dit : «Je n’ai jamais été informé que ce bâtiment a été érigé sur le canal. Comme maintenant, je suis au courant de ces menaces, je pense que la solution la plus sage, c’est de déménager. Mieux vaut prévenir que guérir, j’ai trois enfants.»

A Ouagou Niayes, Bopp, Hlm 5 et 6, Hann, Fann, entre autres quartiers,  le collecteur distant de huit kilomètres a parfois provoqué des affaissements d’une rare et soudaine brutalité. Ce fut le cas, le 9 septembre 2009, l’affaissement du collecteur a précipité dans sa chute un véhicule de marque Renault 19, en 2010, l’effondrement de la dalle d’une maison à Ouagou Niayes a failli emporter avec lui un enfant … Aujourd’hui, le pire est à venir, car selon la Protection civile, 300 000 habitants sont menacés. Et l’on continue de vivre, comme si…