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SIDY DIAGNE, FLIBUSTIER DE LA TNT ( Jeune Afrique )

L’entrepreneur achève le déploiement de la télévision numérique au Sénégal en échange d’une exclusivité pour la diffusion de contenus payants. Un comble pour les chaînes, qui lui ont intenté des procès pour piratage


Rédigé par leral.net le Mardi 17 Septembre 2019 à 00:32 | | 0 commentaire(s)|

SIDY DIAGNE, FLIBUSTIER DE LA TNT ( Jeune Afrique )
C’est une petite ligne, nichée dans un communiqué de la présidence, qui montre que les choses s’accélèrent. À quelques mois de la mort programmée de la diffusion analogique, le président Macky Sall a invité, le 23 juillet, ses ministres « à accélérer le démarrage des activités de Télédiffusion au Sénégal (TDS SA) ».

Créé par le gouvernement, TDS aura à sa charge la gestion de l’exploitation du système de Télévision numérique terrestre (TNT), mis en place par la société sénégalaise Excaf. Après cinq ans de chantier et plusieurs reports, dus notamment à des difficultés de trésorerie, Sidy Diagne, héritier du pionnier de l’audiovisuel sénégalais Ibrahima Diagne, dit « Ben Bass », est en passe de remporter son pari. La TNT devrait être diffusée dans l’ensemble du pays à partir de l’année prochaine.

À la tête d’un groupe de plusieurs centaines d’employés, l’homme d’affaires est propriétaire de deux chaînes privées de télévision (Radio Dunyaa Vision et RDV Music & Sport) et de quatre stations de radio (dont Soxna FM et Dunyaa FM). Les professionnels du secteur décrivent un « véritable entrepreneur », « infatigable », « influent », « appuyé » et « apprécié ». Le PDG a pris le risque d’assumer seul les 39 milliards de FCFA (environ 60 millions d’euros) que coûte le chantier.

Unique fournisseur de contenus payants

Ce modèle de financement inédit lui permet de devenir l’unique fournisseur de contenus payants via la TNT (deux multiplexes, soit une soixante de chaînes) pour dix ans au moins. L’opérateur commercialise actuellement un bouquet payant d’environ 60 chaînes sénégalaises et internationales vendu 10 000 F CFA par mois. Un acteur du secteur évalue le nombre de ses abonnés à quelque « 50 000 à 80 000 ». Pour rentrer dans ses frais – colossaux –, Sidy Diagne espère inonder le pays de ses décodeurs et abonnements. Avec ses bouquets TNT, il pourrait toucher près de 300 000 abonnés, selon l’un de ses conseillers.

S’il réussit son pari, il sera passé très près d’un échec retentissant. En 2017, le groupe s’était vu dans l’incapacité d’honorer une créance de 1,7 milliard de F CFA empruntés à la Banque islamique du Sénégal (BIS) pour financer ses investissements. La justice avait alors ordonné la mise en vente aux enchères d’une partie de son patrimoine immobilier.

Aujourd’hui, Sidy Diagne assure que 80 % de ses biens ont été récupérés. À la tête du groupe familial, Sidy Diagne a fait sienne la devise de son père : « Le nom de famille de notre entreprise n’est pas Diagne : c’est travail ». Touche-à-tout parti de rien, Ben Bass a œuvré à la diversification et à la modernisation de l’offre télévisuelle dans le pays, diffusant aussi bien des films pour adultes que des prêches religieux ou encore des championnats de lutte.

90 % du Sénégal est couvert selon Excaf

À la mort de Ben Bass, Sidy Diagne, qui a débuté dans le groupe en 2007 en tant que secrétaire général, reprend naturellement la direction générale. « Rien n’a été facile », concède-t-il. À la mi-2014, il remporte le chantier de la TNT face à plusieurs poids lourds du secteur (Portugal Telecom, TDF, Alcatel et Thomson, ainsi que les chinois Huawei et ZTE) et concrétise le dernier projet paternel.

Une source proche de la présidence estime que le contrat conclu entre l’État et Excaf était d’ailleurs inégal. « Le modèle proposé était alléchant, trop favorable à l’État », glisse notre interlocuteur, qui assure toutefois que « l’ensemble du territoire national est quasiment couvert » par le signal TNT (90 %, selon Excaf). Une « réussite » pour le Sénégal, une énorme prise de risque pour Sidy Diagne, « cerné de tous côtés », « lâché » financièrement par certaines banques qui se seraient engagées pour lui.

La transmission des infrastructures de la TNT d’Excaf à l’État se fera-t-elle sans anicroche ? « Rien n’est encore fait », reconnaît El Hadj N’diaye, le président du conseil d’administration de TDS, qui estime à « deux ou trois semaines » le délai de passation de la charge du transport du signal. Parallèlement, une évaluation technique du chantier menée par Excaf a débuté dans certaines régions, comme Thiès et Diourbel.

La TNT, joyau national

Cet audit pourrait-il remettre en question le respect du contrat signé par l’État ? Pour l’heure, Sidy Diagne conserve ses soutiens à la présidence. « C’est un opérateur privé sénégalais qui, aujourd’hui, a doté le pays d’une télévision terrestre numérique », se félicite un proche du palais, qui qualifie Excaf de « joyau national ». Si le chantier de la TNT, très lourd financièrement, a failli couler son entreprise, le patron y aurait gagné une certaine protection, estiment ses détracteurs.

« C’est un pirate notoire, et c’est d’autant plus grave qu’il est détenteur d’une licence TNT », assène Caroline Guenneteau, directrice juridique de BeIN Sports France. Le groupe a diligenté des actions dès 2015 pour obtenir l’arrêt de la diffusion de ses programmes. Condamné en 2016 à verser 20 millions de F CFA par jour et par chaîne diffusée, Excaf mettra plusieurs mois à stopper la diffusion de ses chaînes.

« Cela a été extrêmement difficile de faire adopter ces décisions, et très difficile de les faire respecter », lâche Caroline Guenneteau. à la mi-2016, le Conseil national de régulation de l’audiovisuel sénégalais (CNRA) adressait également au groupe une mise en demeure lui enjoignant d’arrêter la diffusion des chaînes BeIN Media Group, TF1 Distribution et Turner, et à s’acquitter d’une amende de 8 millions de F CFA.

Des contentieux en justice en France et au Sénégal

Certains groupes, tels que Canal+, la Liga, BeIN Media Group et France Télévisions, ont porté leur contentieux devant les justices française et sénégalaise, qui leur ont donné raison, sans pouvoir obtenir finalement le règlement des amendes. Sidy Diagne n’a cure des critiques. « Certaines entreprises étrangères ne souhaitent pas que ce modèle de financement réussisse et veulent ternir notre expertise. » Le patron réfute le terme de « pirate » et se veut rassurant : « Nos relations ne sont pas au beau fixe, mais nous nous efforçons de respecter nos engagements. Nous avons le potentiel pour payer nos dettes. »

À Paris, Nathalie Bobineau, directrice du développement international chez France Télévisions, s’impatiente devant une situation « catastrophique ». « Tout le monde est au fait de cette situation, à Paris comme à Dakar », déplore-t-elle : « J’ai été jusqu’à contacter Franck Paris [le « Monsieur Afrique » d’Emmanuel Macron], qui ne m’a pas répondu. » Pendant ce temps, « les dettes de Sidy Diagne s’accumulent, et il continue de diffuser nos chaînes de manière frauduleuse. »

Selon France Télévisions, leur montant s’élève à plusieurs dizaines de millions d’euros. D’autres créanciers évoquent une facture totale qui dépasse 100 millions d’euros. « Si Excaf devait s’acquitter de la totalité de ses dettes, la société n’existerait plus », affirme l’un d’eux. Pas de quoi émouvoir au plus haut sommet de l’État sénégalais, enchanté de ne pas avoir versé 1 F CFA pour mettre en place la TNT.

Jeune Afrique | Marième Soumare |

La rédaction de leral...