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Sénégal: Alerte à la haine - Par Malick Sy


Rédigé par leral.net le Samedi 7 Mars 2015 à 13:34 | | 0 commentaire(s)|

Sénégal: Alerte à la haine - Par Malick Sy
L’incident se déroule dans la salle 4 du tribunal de Dakar. Nous sommes au premier jour du procès de Karim Wade. Une très vive empoignade oppose juste avant le début de l’audience, Victor Kantoussan, le garde du corps de l’ancien ministre d’Etat à Maitre Yérim Thiam, avocat de la partie civile. Si l’algarade n’a pas été d’ordre autre que verbal, la violence des diatribes chuchotées ce jour-là par l’avocat contre le «clan Karim», préfigurait d’entrée, le torrent de vitupérations qu’il fera entendre tout au long du procès, visant à faire passer le principal prévenu et ses proches, comme l’axe du mal absolu.

Yérim Thiam et la haine de l'autre

Pourquoi tant de haine? Cette haine qui même drapée d’une toge d’avocat, reste la haine. Cette haine qui commence toujours avec les mots et se termine souvent dans le fracas des rancunes. En ânonnant «qu’en Chine, on aurait tout simplement exécuté Karim Wade d’une balle dans la tête et demandé à sa famille de payer l’addition», Monsieur Yérim Thiam a non seulement institutionnalisé la haine dans un tribunal de la République, mais il a aussi corrompu le serment d’obligation d’humanité qui constitue la clé de voûte de la profession d’avocat. Et même si quelques médias en ont fait leurs gros titres, il ne s’est pas trouvé une seule «voix autorisée», exceptée une timide allusion de Mamoudou Ibra Kane dans une de ses chroniques du vendredi, pour condamner cette logorrhée imbibée d'une rancœur qui n’aurait jamais dû avoir droit de cité, dans une institution judiciaire de la République.

On a beau être avocat, voire même défenseur à but lucratif de la présomption de culpabilité, cela n’exonère pas de l’exigence d’éthique. A trop vouloir saigner Karim Wade, au point de regretter lors de sa plaidoirie, que les tribunaux sénégalais ne soient pas à l’image des juridictions chinoises qui, sans preuve aucune, peuvent condamner prévenu à la peine capitale, Maitre Yérim Thiam a transgressé la ligne de partage entre la pulsion et la justice. Sa plaidoirie faite d’outrances et dirigée de bout en bout contre un homme plus que contre ses actes présumés, a choqué de nombreux Sénégalais qui ne veulent pas de cette justice de bourreaux.

Alors on s'interroge. Qu'est-ce qui peut bien pousser un avocat, avec des mots de haine et de sang, à profaner son serment d’obligation d’humanité, dans ces moments de sidération qui engagent le destin d'un homme, d'un père seul avec ses enfants. Quel profit personnel Maitre Thiam aurait-il à tirer de voir Monsieur Wade s'écrouler sous les rafales d'un peloton d'exécution, fût-il chinois. L’avocat a-t-il une seule fois, envisagé combien ses mots, pouvaient engendrer de douleur chez les enfants, les parents et les proches d’un homme présumé innocent.

Code pénal contre code électoral.

Maitre Yérim Thiam, "simple" avocat de l’Etat dans la traque des biens supposés mal acquis, doit aussi nous dire, qui sert-il véritablement, au point qu’il suffise qu’un micro lui soit tendu, pour qu’il se prononce sur la candidature de l’ancien ministre d’Etat. Comme s’il avait entre autres missions, celle d’imprimer dans les esprits sénégalais, deux ans avant l’échéance, l’impossible légitimité de Karim Wade à briguer le suffrage des sénégalais. Au nom de qui et de quoi, Monsieur Yérim Thiam, peut-il décréter Karim Wade «enfant illégitime» de la République, "qui ne sera ni aujourd'hui ni demain" Président du Sénégal. Que l’Honnête juge Yaya Dia m’excuse de le paraphraser, mais «c’est quelle justice ça» qui veut troquer le code pénal contre un code électoral? «C'est quelle justice ça» qui par tous les moyens, veut ériger la culpabilité d’un homme en vérité d’Etat ? «C’est quel Etat ça» dont les avocats peuvent élever leur simple haine d’un prévenu au statut de condamnation politique et judiciaire?

Plusieurs questions mais au bout du compte, une seule évidence: la gestion désastreuse de cette affaire judiciaire, qui depuis son déclenchement, charrie des relents de harcèlement et d'acharnement, a fini de diviser le Sénégal entre "pro et anti Karim." Deux camps opposés, deux opinions divergentes, deux convictions irréconciliables plus que jamais séparés par une frontière invisible faite de ressentiments.

Le calembour du Président Wade

La violente sortie de l'ancien Président Abdoulaye Wade contre Macky Sall n'aura été que le point d'orgue de ce climat de division et de haine qui enveloppe le Sénégal depuis le début du procès de Karim Wade. Les propos de Maitre Wade doivent être condamnés de la manière la plus ferme. Il s'est attaqué à l'homme Macky Sall avec des accusations d'un autre âge et en stigmatisant sa famille. Cela est inacceptable de la part d'un ancien Président de la République. Mais seulement voilà, si le calembour d'Abdoulaye Wade a quelque peu assombri cette vitrine démocratique sénégalaise qu'il aura contribué à faire briller comme personne avant lui, le tsunami de réactions généré par ses propos a de fortes remontées d'égouts. Et pour ceux qui ont loupé les épisodes précédents, voici un petit florilège de ce jeu de massacre anti Wade, qui aura mobilisé pendant plusieurs jours, tout ce qui pense, parle et écrit au sein de la majorité présidentielle.

- Mankeur Ndiaye, ministre: " une déclaration aux relents fascistes et racistes. Ce monsieur est méchant et diabolique. Il est capable de tuer, de sang-froid,"

- Mbaye Ndiaye, ministre: « Wade fait partie de cette classe de vieillards délinquants qu'il faut mettre en résidence surveillée."

- Mamadou oumar Ndiaye, journaliste : "le vieillard Abdoulaye Wade…et il est temps de l'emmener à l’asile…"

- Mbagnick Ndiaye, ministre: "Il faut que ça soit clair, on ne peut pas laisser impunément un vieillard sénile se comporter de cette manière déstabilisatrice. Abdoulaye Wade n’est pas un vieillard de la dimension de Hampathé Bâ ... Il est un Seytané (démon) qui disparait et les sérères l’appelle le Khone fafe (mort-vivant)".

Mais dans ce concours d'outrances à l'encontre de l'ancien Président, la palme revient incontestablement au journaliste et secrétaire d'Etat, Yakham Mbaye: «Chez Wade, qui est la crasse personnifiée, permanemment boudé par la grâce, devenu crassier, sa longue évolution aidant, toutes les poules du pays s'échineraient dans ce dépotoir, elles ne décèleraient que crasse, méchanceté digne d'un primate, cruauté et bassesse. Jusqu'à son extinction, on n'en tirera rien de bon...Sur le chemin menant à sa dernière demeure, des Sénégalais pourraient légitimement s'interroger comme le faisait le comédien et humoriste Français, Pierre Doris, en observant certaines figures du paysage politique de l'Hexagone : "sur le mur d'un cimetière, j'ai lu : "défense de déposer des ordures".
N'en jetez plus, le dépotoir est plein.

La tentation de relativiser les propos de Wade

Entre toutes ces réactions opportunistes, ces indignations à but lucratif et ces malaises surjoués pour faire remarquer son zèle auprès du couple présidentiel, il y a la violence des propos et leur consternante vulgarité, Cette indécente surexploitation politico-médiatique du calembour de l'ancien président a compromis tout le profit que Macky Sall espérait tirer de la sortie de route du Président Wade. Car une fois les souffles repris et les émotions retombées, certains sénégalais semblent gagnés par la tentation de relativiser les propos de l'ancien chef de l'Etat. A chacun son libre arbitre. Mais une chose est sûre, la sortie de Wade, ainsi que les réactions qu'elle a suscitée, dépassent tout ce qui est acceptable et tolérable dans le cadre d'un affrontement politique. Et nous devons tous nous interroger, avant qu'il ne soit trop tard: comment un ancien Président de la République a-t-il pu se laisser aller à de tels propos qui ont déclenché à l'échelle de tout un pays, un malaise qui a transcendé toutes les barrières politiques et sociales.

Dans un papier publié il y a quelques mois et intitulé "Le procès Karim Wade ou le naufrage de Macky Sall," l'auteur de cet article écrivait ceci: "Plus qu'un procès, c'est un duel entre la firme Faye-Sall et le clan Wade...Il risque de se dérouler dans un fracas de haine où tous les mensonges et manipulations seront permis. Un procès qui, plus qu'une simple affaire de justice, est l'ultime séquence emblématique de la confrontation entre les Sall et les Wade..."

Nous sommes aujourd'hui de plein pied dans ces prédictions confortées par les récentes mises en garde de Wade qui ne compte pas "rester pas les bras croisés à contempler Macky Sall détruire sa famille"

Macky Sall: "Je n'ai pas d'épouse toubab, je n'ai pas d'enfants toubabs"

Mais comment on en est arrivé à un tel niveau inédit de violence et de haine entre un président en exercice et son prédécesseur. Pour aller aux confins de cette guerre des clans Wade-Faye/Sall, il faut remonter en mars 2012. Nous sommes dans l'entre- deux tours de l'élection présidentielle la plus disputée de l'histoire avec sa dramaturgie des actes posés et des discours prononcés. Macky Sall est à Rufisque pour l'un de ses ultimes meetings de campagne. Emporté par la ferveur de ses militants et le contexte de l'époque, il lâche, sous les applaudissements de son auditoire: "Je ne suis pas Toubab, je n’ai pas une épouse toubab, je n’ai pas d’enfants toubab." Ces allusions plus que transparentes à la famille de celui qui était encore chef de l'État et dont l'épouse est blanche, n'avait pourtant à l'époque, pas choqué grand monde. Ils étaient peu nombreux ceux qui à l'époque, avaient osé dénoncer ses propos aux relents racistes proférés par le probable futur président de la République.

Dans un article publié en mars 2012 presque trois ans jour pour jour, l'auteur de ces mêmes lignes s'indignait déjà contre ces attaques ad hominem. "....les propos de Macky Sall sont scandaleux et inacceptables de la part d’un probable futur Président de la République du Sénégal. Ses déclarations stigmatisent une partie des sénégalais aux origines différentes des siennes...Un homme d’état doit avoir la maitrise de son propos et de ses pulsions...Et c'est là tout le problème de Macky Sall. Il veut paraître Président avant l'heure, mais pour le moment, il n'en est qu'une piètre réplique."

Trois ans après l'élection de Macky Sall à la tête de l'État, c'est un retour à la même case division. Le Sénégal se trouve aujourd'hui dangereusement empêtré dans un labyrinthe de rancœur et de rancune dont il peine à se sortir. Notre horizon est obscurci par la haine de l'autre et les désirs de vengeance des opposants d'hier. Le risque n'a jamais été aussi grand de voir les affrontements politiques épouser les contours de certaines divisions ethniques, confrériques voire confessionnelles. Ce qui n'est pour l'instant qu'un petit bruit de fond, pourrait se transformer en un vacarme assourdissant. Mais le sujet est si sensible pour ne pas dire tabou que chacun évite d'en parler ouvertement. Et pourtant il faudra bien un jour poser le débat, déballer, confesser mais avec toute la prudence, la responsabilité et la pédagogie requises. Le journaliste Barka Bâ, dans un papier intitulé "Le péril pulaar: thèse et foutaise" abordait déjà cette délicate question.

A quelques jours du verdict du procès Wade, la division des Sénégalais en "pro et anti Karim", ajoutée aux crispations identitaires, politiques, confrériques et parfois personnelles, sont une menace réelle pour la paix civile. Notre pays traverse une crise existentielle sans précédent, exacerbé par un Président qui peine à incarner le Peuple du Sénégal dans toute sa diversité. Un Président qui depuis son élection, est en séparation de corps avec une bonne partie de sa population. Le Sénégal ressemble aujourd'hui à un tramway nommé Haine et qui peut dérailler à tout moment. Il appartient à Macky Sall, Président de tous les Sénégalais, de tirer sur le signal d'arrêt d'urgence.

Malick SY
Journaliste