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Sénégal: "Juger Macron sur ses actes, non sur ses promesses"

Face à l'accession d'Emmanuel Macron à l'Élysée, le ton oscille entre soulagement, espoir et scepticisme chez nos confrères sénégalais.


Rédigé par leral.net le Mardi 9 Mai 2017 à 17:13 | | 0 commentaire(s)|

« 66,1 %, c'est un chiffre qui témoigne de la large victoire du candidat d'En marche ! sur sa rivale du Front national », rapporte L'Observateur, le quotidien le plus populaire au pays de la Téranga, non sans relever au passage, qu'avec un tel score le candidat d'En marche ! « fait comme Macky Sall en 2012 ».

Celui-ci avait obtenu 65,8 % des suffrages. Pour Le Soleil, un autre grand titre de la presse sénégalaise, c'est « l'épilogue d'une campagne à suspense, marquée par de multiples rebondissements, puis l'élection de celui qui se définit comme progressiste, et à droite et à gauche ».

Une victoire qui, selon ce quotidien, « symbolise l'audace de croire en sa destinée » et qui, très tôt dans la soirée, a été saluée en ces termes par le président Macky Sall : « Je suis heureux de vous adresser mes chaleureuses félicitations… Le Sénégal et la France entretiennent de solides relations d'amitié conviviale et de coopération multiforme, fondées sur des valeurs partagées et une confiance mutuelle. »

Dans l'ensemble, c'est un « ouf » de soulagement que pousse la presse sénégalaise. « Avec ce vote, la France sort ragaillardie. Elle a refusé le repli sur soi, le populisme et l'exclusion de l'autre », se félicite Rewmi.

Un succès à relativiser…

Pour autant, il y a quelques ombres au tableau. L'Observateur pointe ainsi du doigt le score élevé de l'abstention, de l'ordre de 25,8 %, un record depuis 1969. Il n'y aura, toutefois, pas eu d'effet de surprise. « On s'y attendait. On le savait même, vu la piètre campagne battue par les deux candidats admis au second tour… Malgré la peur de voir Marine Le Pen passer, les Français qui n'ont pas non plus trop confiance en Emmanuel Macron, sont restés chez eux », déplore ce grand quotidien dakarois.

« Entre l'abstention mais aussi les votes blancs et nuls, plus d'un Français sur trois a refusé de choisir, dimanche, entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen », relève quant à lui Le Soleil. Nombreux sont, par ailleurs, les journaux à s'inquiéter de la forte progression du score du Front national, notamment par rapport à l'élection de 2002 où il s'était également hissé au second tour.

… d'autant que le plus dur commence

Si c'était la liesse hier dans la cour Napoléon du Louvre pour fêter la victoire du nouvel impétrant, celui-ci n'aura pas le temps de se reposer sur ses lauriers. Et pour cause : « À six semaines des élections législatives, l'ancien ministre de l'Économie doit s'atteler à des chantiers majeurs : trouver une majorité pour gouverner avec un chômage endémique, une menace terroriste puissante et une Europe affaiblie », souligne Le Soleil, qui fait remarquer que les jeux sont loin – très loin même – d'être faits...

« Élu, le plus dur commence pour celui qui n'a toujours pas un parti (En marche ! est un mouvement politique). » Et d'ajouter : « Le troisième tour de l'élection présidentielle se jouera sur les élections législatives. Le prochain mandat de Macron va se jouer dans les deux mois à venir. A-t-il un ancrage électoral assez solide pour construire sur ce succès une adhésion à sa politique ? » Autant dire qu'Emmanuel Macron a d'autant plus la pression que son échec ouvrirait une voie royale aux extrêmes, de droite comme de gauche, s'inquiètent nombre d'éditorialistes dans le pays.

Avec Emmanuel Macron, le changement pour l'Afrique est-il pour maintenant ?
Mais, au fond, pour l'Afrique, l'élection d'Emmanuel Macron changera-t-elle réellement la donne ? Sur ce point, la presse sénégalaise est mitigée. Le ton n'est pas franchement à l'optimisme et les questions sont plus nombreuses que les réponses. Pour Rewmi, « Macron risque de ne pas trop innover ».

L'homme dit « avoir un projet ambitieux pour l'Afrique, certes, mais saura-t-il révolutionner les relations France-Afrique pour les inscrire dans un partenariat gagnant-gagnant en y extrayant toute démarche de nature à faire perdurer les vieux réflexes d'ancien colonisateur qui aurait un droit de regard sur tout ce qui se fait, se décide, avec en échange une protection sécuritaire, des échanges universitaires, un certain transfert de technologie, etc. ? C'est toute la question », s'interroge le quotidien, avant d'adresser cette mise en garde : « En tout état de cause, la France doit davantage aider l'Afrique à grandir et à s'émanciper pour réussir par elle-même sur le chemin de l'émergence.

Le paternalisme coûte très cher à la France et infantilise les Africains dans un monde ouvert où les partenariats se font à tous les niveaux et avec tous les pays. L'intérêt de la France doit être de voir l'Afrique se développer, s'émanciper, grandir et se démocratiser davantage.
»

« Alors, quelle place pour l'Afrique, cette pauvre Afrique ? » se demande quant à elle La Tribune, toujours à Dakar. « À dire vrai, il est difficile d'être optimiste sur la relation que Macron voudra bien établir avec le continent africain, notamment avec les anciennes colonies francophones. Pour une raison historique, essentielle et transversale : ses prédécesseurs ont tous été gentils avec les Africains. Mais, dans le fond, ils ont toujours été intraitables et sans états d'âme dans la protection des intérêts vitaux de l'Hexagone, même quand il a fallu piétiner ceux du Sénégal, de la Côte d'Ivoire, de la Guinée, du Congo, du Togo, du Mali, etc. ».

Finalement, « que peut faire M. Macron en direction de l'Afrique ? » se demande La Tribune, avant de suggérer deux options possibles : « Pas grand-chose s'il reste dans le carcan politique et bureaucratique où tous ses devanciers, souvent plus expérimentés et prestigieux que lui, ont été bloqués par un legs puissamment établi.

Énormément, en revanche, s'il a le courage et le temps de révolutionner les pratiques complètement hors d'usage qui privilégient une certaine idée de la relation franco-africaine en sacrifiant d'une manière ou d'une autre, des dizaines de millions de personnes sur notre continent
. »

Cet âge qui peut faire la différence

Walf Quotidien préfère, lui, insister sur l'âge du nouveau président français, 39 ans seulement, afin de ne pas céder au scepticisme. « Même s'ils ne doivent pas espérer beaucoup sur lui pour changer leur sort, les Africains, particulièrement les jeunes, peuvent quand même s'inspirer du meneur d'En marche !. L'Afrique a aussi besoin de sang neuf pour se développer, car ce ne sont pas les ressources qui manquent, mais plutôt ceux qui sont capables de prendre de bonnes et sages décisions et de les appliquer pour le bien-être des populations. » Quoi qu'il en soit, finalement, rappelle le quotidien Rewmi, « Macron sera jugé sur les actes et non sur les promesses ».

Pour rappel, au Sénégal, 13 819 électeurs inscrits étaient appelés à voter à l'occasion du deuxième tour de l'élection présidentielle française. Emmanuel Macron est ressorti net vainqueur du scrutin avec 86,81 % des suffrages exprimés (soit un total de 4 417 voix) contre 13,19 % pour Marine Le Pen (équivalant à 671 bulletins de vote). Le taux de participation, en très légère baisse par rapport au premier tour, s'est élevé à 39,01 %.

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