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Sénégal : éducation nationale (Dossier)


Rédigé par leral.net le Jeudi 18 Octobre 2012 à 13:01 | | 1 commentaire(s)|

Sénégal : éducation nationale (Dossier)
Voyage dans les artères d’un grand corps malade

L’Education nationale est en proie à une crise permanente au point qu’elle s’identifie à un grand corps malade et dont la thérapie appropriée semble introuvable. Entre acteurs de l’éducation (autorités politiques, enseignants, parents d’élèves et élèves) le dialogue semble être au point mort. Si les enseignants et parents d’élèves se plaignent du non-respect des accords et d’un manque de cadre de concertation, les élèves devant subir la deuxième session du bac menacent de boycotter l’examen si la date du 29 octobre reste maintenue pour le démarrage des épreuves. Comme pour dire que c’est parti pour une kyrielle de troubles contrairement au souhait du ministre de l’Education qui prône une année « zéro perturbation ». Le Témoin donne la parole aux différents acteurs de l’éducation. Notre demande de rencontrer le ministre Ibrahima Sall est restée sans suite mais nous ne désespérons pas de décrocher un entretien avec lui.

Que dirait-on d’une entreprise qui, malgré le nombre pléthorique de ses agents, ne parvient pas à fournir une bonne production ? Qu’elle n’est pas performante. Que dirait-on d’une entreprise qui, en une décennie, a fortement accru le montant de ses investissements mais voit ses résultats stagner pour ne pas dire régresser sans cesse ? Qu’elle est au bord du dépôt de bilan !
Que dirait-on d’une entreprise dont la direction ne parvient pas à créer avec ses employés un cadre de concertation pour favoriser un climat serein de travail ? Qu’elle est fébrile.
Cette entreprise existe. Elle s’appelle l’Education nationale sénégalaise. Une entreprise de service public qui est devenue un refuge ou un exutoire pour tous les rebuts du système, une énorme fabrique de chômeurs. Une entreprise qui déverse chaque année dans la rue des milliers d’enfants sans aucune qualification et qui ne valorise pas ses enseignants dont le métier devient de plus en plus précaire.
Selon le rapport financier et économique de la Direction de la Planification et de la Réforme de l’Education (Dpre) de 2011, en 2006, sur un effectif national de 1 487 846 élèves de l’élémentaire, 136 882 ont abandonné l’école et 132 882 ont redoublé la classe cette année-là. En 2007, 171 367 élèves sur 1 572 178 ont abandonné l’école et 124 359 ont redoublé. L’année suivante, c’est-à-dire 2008, 186 105 élèves sur 1 618 303 ont abandonné l’école et 124 609 ont redoublé. En 2009, 170 216 élèves sur 1 682 155 ont abandonné l’école et 105 765 ont redoublé. Ce qui fait en quatre ans un nombre impressionnant de 664 570 élèves ayant jeté l’éponge et de 491 615 ayant redoublé leur classe à l’élémentaire. L’espérance de vie scolaire est aussi préoccupante. Selon toujours le même rapport de la Dpre, en 2006, sur un échantillon de 103 élèves de CI, 9 ont atteint la terminale. En 2007 sur 110 élèves de CI, 11 sont arrivés en terminale, soit 10 % du total. En 2008, sur 113 élèves de CI, 11 sont arrivés en terminale et en 2009, sur 117 élèves de CI, 13 ont atteint la classe du baccalauréat. Last but not least, en 2010, sur 123 élèves du CI, 14 sont parvenus jusqu’en terminale.
Plus inquiétant pour l’avenir de notre système éducatif, le niveau des élèves de même que celui des enseignants baisse dangereusement d’année en année. Des études confirment ce sentiment partagé par tous et chacun. Quand les élèves de 3e faisaient en moyenne 5 fautes dans une dictée en 1980, ils en font aujourd’hui le triple avec la même épreuve.
Aujourd’hui, malade, l’institution éducative sénégalaise traverse une crise profonde, comme le constatent parents, élèves et enseignants. Et aucune solution, qu’elle ait été mise en œuvre ou simplement envisagée, n’est encore parvenue à améliorer la situation.

L’ENSEIGNEMENT SACRIFIE SUR L’AUTEL DE L’AJUSTEMENT STRUCTUREL DES ANNEES 80
Le secteur éducatif n’a jamais été une des grandes priorités des gouvernements successifs d’Abdou Diouf ou d’Abdoulaye Wade. Sous Abdou Diouf, jamais l’enseignement ne s’était aussi mal portée. En attestent les Etats généraux de l’Education et de la Formation tenus en 1981 et dont les conclusions sont restées inexploitées. L’ancien président socialiste a réussi la prouesse de réaliser en 1987/1988 une année blanche (dans le moyen secondaire et supérieur) et en 1993/1994 une année invalide (au niveau du supérieur). Mieux, en 1984, déjà, l’université avait failli enregistrer sa première année blanche lorsque M. Ibrahima Fall, candidat malheureux à la dernière élection présidentielle, était ministre de l’Enseignement supérieur.
Soumis au joug de l’ajustement structurel imposé par les Institutions de Bretton Woods, le régime de M. Diouf, pendant vingt ans, n’a pas mis l’accent sur la construction d’infrastructures scolaires alors que pourtant, au cours de toutes ces années-là, la population scolaire et universitaire sénégalaise croissait. D’ailleurs, le professeur Iba Der Thiam, qui fut le ministre de l’Education sous le magistère de M. Diouf de 1983 à 1987, avait imaginé comme succédané, devant le déficit d’infrastructures et d’enseignants, l’instauration de classes à double flux, le renforcement de classes multigrades. Ce traitement Placébo cadrait bien avec le programme d’austérité de la Banque mondiale. Pendant toutes ces années-là, l’Etat construisait peu de salles de classes et recrutait à compte-gouttes. Mieux, toujours sous les injonctions des institutions de Bretton Woods, le pouvoir socialiste avait entrepris de dégraisser le mammouth de l’Education nationale en encourageant les départs volontaires massifs d’enseignants. Cette politique de dégraissage de la fonction politique ne sera pas stoppée malgré la tenue de la conférence de Jomtien, en Thaïlande, en 1990 qui faisait de l’éducation pour tous (Ept) une priorité. En 1995, le Sénégal, avec ses 56 % de taux de scolarisation, restait loin des objectifs de Jomtien. Mamadou Ndoye, ex-secrétaire exécutif de l’Association pour le développement de l’éducation en Afrique (Adea), nommé ministre de l’Education de base et des langues nationales, eut alors l’ingéniosité de mettre en place un programme de recrutement hyper-massif d’enseignants non fonctionnaires (plus de 1000 volontaires) payés au Smic. Le système présentait le double avantage de mettre des enseignants dans les classes sans pour autant augmenter la masse salariale. Ajustement structurel oblige. André Sonko, l’alors ministre de l’Education, en faisait de même en recrutant les diplômés chômeurs de l’UCAD (Université Cheikh Anta Diop) et de l’UGB (Université Gaston Berger) payés à l’heure (1960 francs CFA).

L’INTENSIFICATION DE LA LUTTE SYNDICALE SOUS WADE
Mais la donne sera changée avec l’avènement de l’alternance. La politique de recrutement des volontaires et des vacataires s’est poursuivie mais la lutte syndicale visant à améliorer le traitement salarial, voire le statut, de ces enseignants volontaires ou vacataires s’est intensifiée. Avancée majeure sous Wade, les programmes de construction scolaires ont repris massivement et des enseignants volontaires et vacataires ont été intégrés dans la fonction publique. Ce après avoir bénéficié d’une formation diplômante. Si le gouvernement d’Abdou Diouf a péché dans l’édification de infrastructures scolaires, il n’en est pas de même, en effet, pour son successeur, Me Abdoulaye Wade, qui en a fait une priorité. En douze ans, il a construit 692 nouveaux collèges, 108 nouveaux lycées modernes, 7 nouvelles écoles de formation d’instituteurs, plus de 184 cases des tout-petits. Cependant, l’inégalité de traitement criard des agents de la fonction publique verra l’émergence d’un syndicalisme fort et neutre idéologiquement avec le Syndicat national de l’enseignement moyen secondaire (Snems dirigé par Mamadou Mbodj) et le Syndicat autonome des enseignants du moyen secondaire du Sénégal (Saemss dirigé par Mbaye Fall Lèye) regroupés dans un premier temps dans le Cadre unitaire syndical de l’enseignement moyen et secondaire (Cusems) avant l’éclatement qui donnera le Cusems (syndicat dirigé jusqu’à récemment par Mamadou Mbodj) et le Saemss-Cusems (dirigé par Mamadou Lamine Dianté). Dans l’élémentaire, le Syndicat des enseignants libres du Sénégal (Sels), dirigé par Souleymane Diallo et qui a vu le jour après la mise en place de la politique de recrutement des volontaires, deviendra le syndicat le plus représentatif malgré quelques factions dissidentes. En même temps, on assiste au déclin des syndicats inféodés à des partis d’obédience communiste. Il s’agit de l’Union démocratique des enseignants du Sénégal (l’Uden) et du Syndicat unique et démocratique des enseignants du Sénégal (Sudes). Les syndicats participationnistes (c’est-à-dire adeptes de la participation responsable prônée par l’alors syndicat unique, la Cnts) comme le Syndicat des professeurs du Sénégal (Sypros) et le Syndicat national de l’enseignement élémentaire (Sneel) ont connu le même sort avec la disparition du Ps auquel ils étaient affiliés.

PARENTS D’ELEVES HABLEURS ET SPECTATEURS
Dans la crise que traverse l’Education, les parents d’élèves ont une grande part de responsabilité. En effet, si les rapports entre syndicalistes et autorités politiques demeurent conflictuels, c’est parce qu’en grande partie, les parents d’élèves qui doivent servir de médiateurs catalyseurs ne jouent plus leurs rôles. Ils sont plus spectateurs qu’acteurs et sapeurs. Le parent d’élève aujourd’hui ne prend plus l’enseignant comme un transmetteur de savoir, comme un réveilleur de talents mais plutôt comme un bon-à-rien qu’il n’hésite pas humilier dans son propre lieu de travail. Conséquence : aujourd’hui les menaces, rixes entre parents d’élèves et enseignants sont devenues fréquentes surtout en banlieue.

MINISTRES INCOMPETENTS ET SYNDICALISTES INFLEXIBLES
Si, sous le règne de Wade, l’Education nationale a connu des difficultés en dépit des efforts constatés dans la construction des infrastructures et l’accroissement du budget consacré à ce secteur, c’est dû essentiellement à la valse de ministres qui se sont succédé à la tête dudit département. Et qui, pour la plupart hélas !, n’ont pas été à la hauteur de la mission qui leur a été confiée. De l’éphémère Marie Lucienne Tissa Mbengue au Pr Kalidou Diallo en passant par Kansoubaly Ndiaye et Moustapha Sourang, l’école sénégalaise est allée de mal en pis parce que n’étant bâtie sur aucune vision, aucun projet réformateur. Il n’y a que la politique éducative de Diouf qui a été perpétuée sous une autre forme. Le programme de recrutement des volontaires initié pour faire face au déficit d’enseignants a fini par prendre les allures d’un grenier électoraliste ou népotiste dans lequel l’Etat puisait allègrement pour satisfaire une clientèle politique ou sa famille. Des sans-diplômes ont été recrutés avec l’institution d’un quota « sécuritaire » enveloppé dans une nébulosité totale. Des hommes et femmes qui avaient quitté l’école depuis plusieurs années ont bénéficié de ce recrutement grâce à l’appui d’autorités ayant une mainmise dans le recrutement de ces enseignants d’un nouveau genre. Et la qualité de l’enseignement en a souffert. Ce qui n’a pas manqué de déteindre sur beaucoup de jeunes apprenants.
Avec Moustapha Sourang les enseignants du secondaire, sous la houlette du Cusems, ont remporté la bataille cruciale des IRD (Indemnités de recherches documentaires). Kalidou Diallo, quant à lui, a surtout entretenu des relations plutôt conflictuelles avec les enseignants. Champion de la démagogie, il a toujours voulu jouer sur les divisions syndicales et les atermoiements pour diriger son ministère. Il s’est même permis de créer une structure d’ enseignants de la Génération du concret pour mieux briser les mouvements de grève. Il a contribué par populisme et économie budgétaire à rabaisser le niveau de l’enseignement moyen secondaire en favorisant depuis trois ans l’admission à 100 % des candidats à l’entrée en 6e. Le sureffectif des classes de 6e (plus de 100 par classe) accroit le nombre d’élèves redoublants et exclus surtout dans la banlieue dans le Moyen / Secondaire. Son refus de discuter sérieusement de la plate-forme revendicative des syndicalistes et l’inflexibilité de ces derniers ont conduit l’année scolaire 2011 / 2012, perturbée pendant cinq longs mois, au bord de l’invalidation. N’eût été le changement de régime suivi d’un assouplissement de la position des enseignants, on courait tout droit à une année blanche dans le Moyen / Secondaire. Mais les enseignants, qui croyaient que le tout nouveau ministre de l’Education, M. Ibrahima Sall, respecterait ses promesses, ont fait vite de déchanter. La crise perdure et le dialogue est dans l’impasse. Déjà, la rentrée à deux vitesses (ouverture des classes, écoles encore inondées et organisation de la deuxième session du BFEM) a été fortement décriée par les parents d’élèves, les enseignants et les élèves eux-mêmes. Les enseignants ruent déjà dans les brancards et accusent les autorités gouvernementales de ne pas ouvrir de négociations sérieuses. Ces dernières rejettent en bloc et pointent les incidences financières « insoutenables » pour le Trésor public, de certaines revendications des enseignants (lire suite en pages centrales)…

Serigne Saliou Guèye
Le Témoin N° 1011 –Hebdomadaire Sénégalais (Octobre 2012)



1.Posté par Citoyen le 18/10/2012 23:24 | Alerter
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Sauvons nos universités publiques du naufrage.

Malgré les moyens substantiels mis à la disposition de l'enseignement supérieur de notre pays, les résultats sont qualitativement et quantitativement loin des normes de l'UNESCO. Nos instituions d'enseignement supérieur ont surtout un problème de management (mal gouvernance, corruption, népotisme, dépenses de prestige, gestion solitaire en lieu et place de la gestion démocratique et légale, non respect des lois et des règlements, etc.) avec la complicité active ou passive de la communauté universitaire (avantages indus, intimidations, etc.), des autorités étatiques qui, jusqu'à présent, feignent de ne rien savoir (n'ont-ils pas les moyens de savoir ce qui se passe ?) pour éviter la confrontation avec ceux (les amis politiques !) qui sont nommés à la tête de ses structures et qui agissent parfois comme des monarques en gérant la chose publique à leur guise.

Face à la démission de l’État, nos universités croulent sous le poids de dettes dues aux créanciers (banques, hôpitaux, Sonatel, Senelec, SDE, fournisseurs divers) et chaque corporation s'évertue à demander toujours plus pour « améliorer ses conditions d'existence » et parfois au détriment des intérêts de la communauté. Ainsi donc, la crise est donc une conséquence logique de l'inaction de l’État.

En effet quand les dirigeants (nommés par les autorités) gèrent la chose publique en dehors des normes établies sans être inquiétés le moindre du monde (pour ne pas dire promus à des stations plus juteuses), les syndicats demanderont des chosent hors normes et c'est le début du CHAOS.

A l’État de faire l'état de la gestion de ceux qu'il a nommé, punir ceux qui se sont montrés indélicats et récompenser les autres, ensuite il serait facile de demander aux syndicalistes de faire preuve de mesure et enfin sévir dans le respect de la loi si de besoin. Il est temps de restaurer l’État de droit (et donc des devoirs) ; il est indispensable, avant toute promotion, d'étudier sérieusement la gestion présente et passée du pressenti.

L’État ne peut continuer à protéger et promouvoir ceux qui mettent à genoux nos institutions d'enseignement supérieur et jeter en pâture les syndicats. Je pense que les responsabilités sont partagées.

Des assises de l’Éducation avec ceux qui bloquent le système pour des raisons personnelles ou émotives ne serviraient à rien, je propose des assises des anciens (Recteurs, Professeurs ou hauts cadres à la retraites) du système pour faire des propositions objectives. Il est souvent difficile d'être juge et parti.


Il n'est jamais trop tard pour bien faire un devoir citoyen.

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