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Texte présenté au Séminaire de formation de cadres syndicaux organisé à Dakar par la Fédération Syndicale Mondiale (FSM) et l’Union des Travailleurs du Sénégal (UTS)

Rédigé par leral.net le Dimanche 2 Décembre 2012 à 11:05 | | 0 commentaire(s)|

Quelques aspects économiques et sociaux de l’immigration


Texte présenté au Séminaire de formation de cadres syndicaux organisé  à Dakar  par la Fédération Syndicale Mondiale (FSM) et l’Union des Travailleurs du Sénégal (UTS)
I) Introduction
L’immigration n’est pas un phénomène nouveau, encore moins un problème conjoncturel. Elle résulte historiquement, de la différenciation des villes et des campagnes sous forme d’exode rural, pour s’amplifier, à l’occasion de la différenciation entre les villes d’un même pays, et entre les pays.
Le moteur de l’immigration est le différentiel d’opportunités d’emploi et de rémunération entre les villes et les campagnes, puis entre les villes d’un même pays, et ensuite, entre les pays ensuite.
Les effets des progrès économiques et sociaux de l’immigration, en termes d’opportunités d’emploi et de rémunération du travail, dépendent de la Politique économique et sociale qui régente les rapports entre les villes et les campagnes, entre les villes d’un même pays, et entre les pays.
C’est ainsi que durant les « 30 glorieuses », après la seconde guerre mondiale, la politique économique et sociale dominante dans les pays occidentaux, avait pour souci, la maximisation du taux de profit en Europe occidentale, laminée par les conséquences de la deuxième guerre mondiale.
Il faillait, au capital, trouver les voies et moyens d’influencer à la baisse, le coût du travail, d’où le « compromis historique » entre le capital et la social démocratie, pour atténuer les exigences de leur classe ouvrière, dopée par les conquêtes sociales de leurs camarades dans les pays de l’Est, sous le socialisme, en matière de durée du travail, d’émancipation de la femme, de stabilité du travail, de sécurité sociale, de congé payé accompagné de loisirs pour les travailleurs et leurs familles.
Dans ce cadre, la maximisation du taux de profit obligeait le capital à importer une main d’œuvre bon marché, pour modérer, chez eux, le coût de leur propre main d’œuvre.
C’est pour cela que le capital a encouragé l’immigration durant les « 30 glorieuses » en Europe.
Durant cette période, il n’avait jamais été question de limiter l’immigration, encore moins de mener une lutte pour l’éliminer.
Actuellement, devant les exigences de compétitivité que la « mondialisation » impose au capital dans sa recherche de maximisation de son taux de profit, il s’est tourné vers la « délocalisation » d’activités et même d’entreprises, vers les pays d’où ;, au paravent, il encourageait l’immigration de la main d’œuvre.
C’est donc l’ère des « délocalisations » qui exige le maintien de la main d’œuvre bon marché sur les lieux, où le capital cherche à s’implanter.
L’immigration devint ainsi un « délit », et les émigrés installés de longue date dans ces pays, sont devenus « illégaux », donc « indésirables », par la magie d’une simple manipulation des lois et règlements dans ces pays.
Ces restrictions arbitraires, pour les besoins nouveaux du capital, ont enfanté le phénomène de « l’immigration clandestine », et de « séjour illégal » en Europe Occidentale, avec leur cortèges d’expulsion inhumaine des « sans papiers », et la répression féroce de ceux qui tentent de braver cette interdiction, d’immigrer, tant que persiste le développement inégal entre les pays, et au sein d’un même pays, qui est la caractéristique du développement du capitalisme.
II) Conséquences humaines de ce tournant
Actuellement, le nombre d’émigrés est estimé à 241 millions, soit 3,1% de la population au plan mondial.
C’est donc un épiphénomène à l’échelle du monde, mais qui est un problème de survie pour le capitalisme.
Ce problème de survie du capitalisme, selon l’Office International des Migrations (OIM), a causé entre 1988 et 2009, en Méditerranée, 15000 morts, soit 14OO par an !
En 2011, cinq migrants par jour meurent pour accéder aux portes de l’Europe.
Il y a eu 13000 disparus en mer, dont 6000 près du golfe de SICILE, 2500 sur GIBRALTAR, et 3000 aux larges des Îles CANARIES.
Du premier Janvier 2012 au 25 octobre, il y a eu 722 morts, et 90 morts supplémentaires dans les 15 jours de Novembre !
Un Ecrivain Sénégalais en France, Oumar Ba, a tenté d’expliquer dans deux ouvrages la persistance de ce drame humain. Ces ouvrages sont : « Je suis venu, j’ai vu et je n’y crois plus », et « Soif d’Europe ».
Il soutient, qu’ « en fait, le désir d’émigrer n’a jamais quitté l’esprit des jeunes africains. Une majorité d’entre eux n’attend que le bon moment. La preuve en est que même si les embarcations de fortune ont diminué, l’immigration clandestine est restée très prégnante à travers d’autres canaux de plus en plus sophistiqués…. « Les candidats à l’immigration se voilent la face, aidés en cela par des familles persuadées que malgré la crise, l’Europe sera toujours meilleure que l’Afrique ».
Cette croyance est qualifiée à tord de « complexe d’infériorité » des Africains vis-à-vis des Européens, du fait de leur long passé de « colonisés » dont ils ne peuvent se départir.
En effet, cette croyance est entretenue par l’existence d’un différentiel de rémunération et d’opportunités de travail de plus en plus grand, entre l’Europe et la plus part des pays en développement dans le monde, qui fournissent des candidats à l’immigration.
Ce différentiel peut être illustré par l’ampleur des transferts que les émigrés envoient dans leurs pays d’origine.
C’est ainsi qu’en 2010, ces transferts ont été évalués par la CNUCED à 406 milliards de dollars, dont 351 milliards pour les pays en développement.
Pour le Sénégal, ces transferts avaient atteint 832 milliards de FCFA en 2007, en pleine crise de l’immigration clandestine par mer à partir des côtes sénégalaises, pour atteindre 9OO milliards de F CFA en 2011, malgré la forte répression, à nos frontières maritimes et au large des Îles Canaries, déclenchée par l’Union Européenne, en accord avec le gouvernement du Sénégal, à travers l’ « Opération Frontex ».
L’importance de ces transferts, pour l’Economie du Sénégal et les conditions de vie des populations, est illustrée dans le Document portant « Stratégie nationale de Développement économique et sociale », qui renseigne « qu’en moyenne, ces transferts apportent 800 milliards de FCFA par an, dont 90% à des fins de consommation ».
Ce niveau des transferts est incomparable avec le niveau de l’Aide Publique au Développement (APD,) estimé en moyenne à 500 milliards de FCFA par an, avec celui de la Masse salariale versée par l’Etat à ses Fonctionnaires, qui s’est élevée à 428 milliards de FCFA en 2011, et même avec ce que le secteur privé formel a versé à ses travailleurs comme masse salariale, qui s’est chiffrée à 666 milliards FCFA en 2010.
L’immigration procure donc aux populations sénégalaises, plus de revenus que l’Etat, et même plus le secteur privé national, et apporte plus de devises à l’Economie nationale que l’APD !
Comment, dans ces conditions, est- il possible de convaincre les populations, qui vivent de ces transferts, et celles qui voient leurs voisins qui en bénéficient, faire face à leurs besoins, que l’immigration est une chimère, un « rêve de nègre complexé qui n’a pas foi en son pays et en son continent » !
Ce sont donc ces transferts qui nourrissent le « besoin d’Europe » chez les jeunes, encouragés par leurs familles, même s’ils doivent y laisser leur vie.
III) Comment s’en sortir ?
Les politiques de découragement de l’immigration, même légale, se sont avérées inopérantes en Europe, et plus singulièrement en France.
Malgré les mesures prises pour rendre l’immigration économiquement moins attractive , en prenant des mesures administratives pour mettre dans l’illégalité des émigrés pour pouvoir les expulser à coup de grande publicité, et d’autres mesures répressives, pour la rendre humainement risquée et humiliante, le « désir d’Europe » reste indestructible chez les jeunes africains.
Cela traduit l’échec des politiques de rapatriement volontaire, accompagnées de financements de projets de réinsertion, que l’on a baptisés pompeusement de « Politique de Co-développement ».
Ainsi, tant que le différentiel de rémunération et d’opportunités d’emploi se creuse entre l’Europe et l’Afrique, il est impossible de prétendre contrôler l’immigration, dont l’attractivité économique a fait naître des réseaux de plus en plus performants, pour l’organiser au prix fort, et au risque de la vie des candidats.
Cependant, les délocalisations des grandes entreprises vont vers les pays à main d’œuvre plus qualifiée que les nôtres, et moins coûteuse que celle de leurs pays d’origine, et bouche les perspectives d’emploi autant chez eux, qu’en Afrique.
Devant l’aggravation du chômage chez eux, et les contraintes de compétitivité aux quelles font face les entreprises européennes, la Droite et la Social- démocratie ne voient que la réduction du coût de leurs propres travailleurs pour permettre le retour des entreprises « délocalisées », et pour inciter le capital à investir pour créer de nouveaux emplois.
Elles ne voient donc de solutions de sortie de leur grave crise, que dans la régression sociale des travailleurs en Europe, pour faire face au chômage, tout en réduisant, de cette manière, le différentiel de rémunération et d’opportunités d’emploi avec les pays d’Afrique, qui sert à attirer l’immigration.
Les travailleurs Européens rejoignent ainsi ceux d’Afrique, dans le processus de régression sociale mis en branle par les gouvernements européens, sous la férule de la Bourse, du FMI, de la Banque mondiale, et des Organismes de notation, qui sont les bras armés du Capital Financier, qui n’est rien d’autre que le résultat de la fusion, entre les mains d’une étroite oligarchie, du Capital Bancaire, du Capital Industriel, et du Capital Commercial y compris les Services, en fait l’Impérialisme, que constituent les « Conglomérats » dans les pays capitalistes développés, les « Entreprises Multinationales et Trans-nationales » qui régentent le monde.
C’est pour cette raison, que la lutte contre les « programmes d’austérité » en Europe comme en Afrique, devrait être l’axe principal de la solidarité entre nos organisations syndicales et nos organisations anti-impérialistes, pour relever les « standards économiques et sociaux » en Europe et en Afrique, au dépends du Capital financier, pour lutter efficacement contre le chômage en Europe, et gérer mieux l’immigration en Afrique, au bénéfice de nos peuples et de la fraternité humaine.
A cet égard, la grande manifestation du 14 Novembre des syndicats en Europe contre les « Programmes d’austérité » montre la voix à suivre.
L’Afrique subit ces « Programmes d’austérité » depuis les années 90, et l’Europe vient de rejoindre le peloton.
Dans cette lutte, la Chine, dont le programme économique et social adopté par le 18e Congrès du Parti Communiste, est axé sur le relèvement des standards économiques et sociaux des travailleurs, et une plus grande liberté syndicale, devrait être considérée comme un allié stratégique dans le contexte actuel.
En outre, faisons en sorte, qu’en Afrique, émerge la même solidarité dans la lutte entre les organisations syndicales, pour, en coopération avec les syndicats d’Europe, définir une stratégie de lutte commune contre les « Programmes d’austérité », pour nous libérer des stratégies d’exploitation de nos travailleurs et de nos richesses naturelles, et de domination de nos peuples, par la corruption, et leur idéologie xénophobe, raciste et exclusiviste.
Le développement de l’extrême - droite est une stratégie de pression que le Capital exerce sur le monde du travail en Europe, tandis que la stratégie de lutte contre l’ « Islamisme radical », est le moyen de lutte qu’il utilise aujourd’hui, contre les mouvements anti-impérialistes, pan arabe et pan africain.
Les mouvements syndicaux, en Europe et en Afrique, ne devraient jamais perdre de vue, que leur ennemi c’est l’impérialisme, et non les substituts qu’il nous oppose, comme l’immigration « clandestine », ou le « terrorisme islamiste » qu’il a fabriqué contre l’Union Soviétique, et aujourd’hui, contre le « nationalisme » pan arabe et pan africain.
Après la chute des régimes Tunisien, Libyen et Egyptien, qui sont tombés, grâce à l’aide des grandes puissances occidentales, entre les mains des « Frères musulmans », considérés comme des « islamistes modérés » et des alliés des USA au Moyen Orient, ce sont ces substituts qui sont, aujourd’hui, utilisés pour faire sauter le « verrou Syrien et Iranien », et en Afrique, le « verrou Algérien, dans le cadre de l’agression contre le Mali.
Ces derniers pays empêchent la France, les Etats Unis et Israël, de régenter cette partie du monde, du Maroc aux Emirats du Golfe, pour le contrôle du pétrole et des voies de son acheminement.
Ce sont tous ces défis que le mouvement syndical africain et européen ont à relever ensemble, pour mettre en échec les « Programmes d’austérité » de régression sociale, et de guerre pour le contrôle exclusif des ressources énergétiques, minières, agricoles, pour y exclure les pays émergents regroupés au sein du « BRICS ».
Dans cette perspective la Fédération Syndicale Mondiale (FSM) a un rôle irremplaçable à jouer.
Ibrahima Sène, Responsable
Du Département Economique et Social, et des Questions paysannes
Du Comité Central du Parti de l’Indépendance et du Travail du Sénégal,
(PIT/SENEGAL)